Parkman* Francis

LAPRISE DE QUEBEC ET SES CONSEQUENCES

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FC 386 .P3314 1708

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F. PARKMAN

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DE

QUEBEC

ET SES CONSÉQUENCES

TRADUCTION DE ULRIC BARTHE

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LA PRISE de QUÉBEC

ET SES CONSEQUENCES

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Traduction d'une partie de l'ouvrage " Montcalm and Woîfe " de

FRANCIS PARKMAN

~>

PAR

ULRIC BARTHE

pubijic par le traducteur

a Québec

1908

1

Enregistré par Ulric Barthe au ministère de l'Agriculture et de la Statistique, à Ottawa, conformément aux dispositions de l'acte du Parlement du Canada concernant la propriété littéraire et artistique.

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le foadactew* déctce rs^kecàesa^ment ceà /uiaeb c/uxâœb de l'éÂcAée mtficwkefme.

TABLE DES MATIERES

Dédicace iii

Un mot au lecteur vii

1759 WOLFE A QUÉBEC

Préparatifs du côté des Français Concentration des forces à Québec Gasconnades de Vaudreuil Plan de défense Les forces de Montcaîm Approche de Wolfe Débarquement des Anglais Difficulté de leur tâche Une tempête sur le Saint-Laurent Les brûlots Confiance des commandants français- - Occupation de la Pointe de vis par Wolfe Coup de main manqué Québec bombardé Wolfe à Montmorenci Escarmouches Dangers de la posi- tion des troupes anglaises Effets du bombardement Désertions des Canadiens Les Anglais à l'ouest de Québec Ordres cruels de Wolfe Nouvelle ten- tative d'incendie contre la flotte anglaise Projet désespéré de Wolfe Les hauteurs du Montmorenci Les anglais répoussés 3

1759

LES PLAINES D'ABRAHAM

Enthousiasme des Français Wolfe abattu Paroisses dévastées Opérations autour de Québec Maladie de Wolfe Nouveau plan d'attaque Faible lueur d'espérance Dernière dépêche de Wolfe Vau- dreuil confiant Dernières lettres de Montcaîm Les Français en alerte Escadrille anglaise au Cap- Rouge Derniers ordres de Wolfe Embarquement des troupes Navigation nocturne Escalade des Plaines Les troupes anglaises en ligne de bataille Dernière nuit de Montcaîm L'alarme Marche des troupes françaises La bataille La déroute La poursuite Wolfe tué et Montcaîm blessé 42

TABLE DES MATIÈRES

1759 CHUTE DE QUÉBEC

Après la bataille Résistance des Canadiens Arrivée de Vaudreuil Scène dans la Redoute Panique Mou- vements des vainqueurs Conseil de guerre de Vau- dreuil— Retraite précipitée de l'armée française Derniers moments de Montcalm ; sa mort et ses funé- railles— Québec abandonné à son sort Désespoir de la garnison Lévis rejoint l'armée— Effort tenté pour délivrer Québec Reddition Les Anglais occupent la ville Calomnies de Vaudreuil Comment la nou- velle de la victoire et de la mort de Wolfe est reçue en Angleterre Prédiction de Jonathan Mayhew 85

T 7 59- 1760

SAINTE-FOY

Québec après le siège Le capitaine Knox et les Reli- gieuses— Les vaisseaux français s' esquivent Un hiver à Québec Menaces de Lévis Attaques et escar- mouches— Exploits des "rangers" Situation de la garnison Les Français s'apprêtent à reprendre Québec Lévis en marche L'alarme Sortie des Anglais Témérité de Murray La bataille de Sainte- Foy Retraite des Anglais Lévis assiège Québec La garnison en péril Arrivée des secours Sauvés Retraite de Lévis La nouvelle en Angleterre. ... 115

1760

CHUTE DU CANADA

Situation désespérée Efforts de Vaudreuil et de Lévis Les plans d'Amherst Triple attaque— Murray, Haviland et Amherst en marche sur Montréal Ca- pitulation du Canada Protestations de Lévis Injus- tice de Louis XV Réjouissances dans les colonies anglaises Philosophie de la guerre 151

vi TABLE DES MATIÈRES

1758-1763 LA PAIX DE PARIS

Exode des chefs du Canada français Naufrage de V Au- guste— Procès de Bigot et de ses associés Frédéric de Prusse : ses triomphes et ses revers ; sa force dans l'adversité Mort de George II Changement de politique Choiseul : ses propositions de paix Le pacte de famille Chute de Pitt Mort de la Tzarine Frédéric sauvé Guerre contre l'Espagne Cap- ture de la Havane Négociations Conditions de la paix Rendra-t-on le Canada ? Discours de Pitt Traité signé Fin de la guerre de Sept Ans 175

1763- 1884

CONCLUSION

Conséquences de la guerre L'Allemagne La France

L'Angleterre— Le Canada Les provinces anglaises. . 202

Appendice . 209

Index 221

UN MOT AU LECTEUR

LA publication de ce volume est le fruit de réflexions diverses, le patriotisme avait naturellement sa large part. J'ai cru me rendre utile à la jeunesse franco-canadienne en lui fournissant l'occasion de lire dans sa langue quelques chapitres de l'œuvre impérissable de Francis Parkman.

Voici un homme qui n'était ni de notre pays, ni de notre race, et qui a consacré à vrai dire toute sa vie à l'étude de l'histoire du Canada français, dont il s'était épris tout jeune, dès l'école. Le fruit de ses laborieuses et passionnantes recherches forme la matière de douze forts volumes de luxe, aujourd'hui répandus dans toutes les bibliothèques du continent. Une couple seulement ont été traduits et publiés en France ; ici, au Canada, personne n'avait encore tenté ce travail. Les pages qu'on va lire sont peut- être un commencement de réparation de cette in- différence.

Francis Parkman, à Boston en 1823, y est mort en 1893. Dès sa jeunesse, à Harvard, il se destinait et s'entraînait aux études historiques, et

viii UN MOT AU LECTEUR

s'assignait un champ jusque-là incomplètement ex- ploré : celui des luttes des deux plus grandes races d'Europe pour la suprématie dans l'Amérique du Nord. Au sortir de l'école, il allait séjourner parmi les indiens du Maine, et plus tard vivre pendant cinq mois de la vie nomade des Dakotas de l'Orégon, pour s'imprégner de ce que Pierre Loti appelle l'âme des choses, pour s'acclimater au milieu s'étaient jouées les parties héroïques qu'il allait raconter. Aussi en le lisant croit-on percevoir le bruissement et les âpres parfums particuliers à la forêt canadienne, le grondement de nos eaux géantes, le langage mystérieux des bois, pistes empreintes sur la neige ou dans les jonchées de feuilles mortes, cris d'ani- maux souvent cris de guerre, signaux bizarres le coureur de bois de jadis lisait comme dans un livre. Parkman fouilla les bibliothèques, les archives, des deux continents ; lui protestant, il s'enferma dans les monastères pour mieux se rendre compte et se pénétrer du mysticisme intrépide qui anima les premiers missionnaires du Canada français ; aussi l'un de ses plus admirables ouvrages est-il le volume qu'il a consacré aux Jésuites dans l'Amérique du Nord. Son livre sur Lasalle, Marquette et les autres découvreurs de l'Ouest a les allures d'une épopée antique. Enfin, son œuvre, d'une vaste envergure et profusément documentée, embrasse tout le régime français en Amérique, depuis les exploits des pion-

UN MOT AU LECTEUR ix

niers français, Dominique de Gourgues en Floride, Samuel de Champlain au Canada, jusqu'à la conspi- ration de Pontiac.

J'y ai choisi quelques-unes des scènes finales de ce qu'on peut appeler avec raison l'époque romantique de l'histoire du Canada. Ce n'est qu'un fragment, formé de quelques chapitres extraits du Montcalm & Wolfe de Parkman. se révèle l'art consommé qu'a apporté l'historien dans la disposition et le plan de son travail. Il se trouve que ces pages détachées, prises un peu au hasard, se lisent comme le roman le mieux mené. Au premier plan, l'exposition du sujet ; puis la bataille des Plaines d'Abraham ame- nant la reddition de Québec ; la bataille de Sainte- Foy suivie de la reddition du Canada ; et enfin, comme épilogue, le Traité de Paris et la fin de la guerre de Sept Ans, avec leurs lointaines consé- quences sur l'avenir du Nouveau Monde.

Le Traducteur.

LA PRISE DE QUEBEC

(TRADUIT DE FRANCIS PARKMAN) 1759

WOLFE A QUÉBEC

AU petit printemps, les chefs du Canada se réunirent à Montréal pour arrêter un plan de défense. Ils redoutaient tout d'abord une invasion ennemie du côté du lac Champlain. Bour- lamaque, avec trois bataillons, reçut ordre de prendre position à Ticonderoga (Carillon), de s'y maintenir tant qu'il pourrait, et devant le nombre de se replier sur l'Ile aux Noix, à l'entrée du lac. De la Corne fut envoyé avec un fort détachement se retrancher, à la tête des rapides du St-Laurent, contre tout mouve- ment hostile du côté du lac Ontario. Tous les hommes valides de la colonie, tous les jeunes garçons capables de porter un fusil, étaient appelés en cam- pagne. Vaudreuil envoya une lettre circulaire aux capitaines de milice de chaque paroisse avec ordre d'en donner lecture aux paroissiens. Il les exhortait à défendre leur religion, leurs femmes, leurs enfants et leurs biens contre la fureur des hérétiques, déclarant que lui, le gouverneur, ne rendrait jamais le Canada

4 WOLFE A QUEBEC

à aucune condition, et leur ordonnant de joindre l'armée sur le champ, ne laissant en arrière que les vieillards, les malades, les femmes et les enfants, (i) L'évêque lança une lettre pastorale : "De tous côtés, Nos Très Chers Frères, l'ennemi fait des préparatifs immenses, ses forces, au moins six fois supérieures aux nôtres, se mettent déjà en mouvement. . . Jamais nous n'avons été si dépourvus et menacés d'une manière si vive, si universelle, si opiniâtre. C'est véritablement aujourd'hui plus que jamais que nous devons dire que notre unique ressource est le secours puissant du Seigneur. Faites donc, Nos Très Chers Frères, tous vos efforts pour le mériter, cherchez d'abord le royaume de Dieu, et tout vous viendra par surcroît." (2)

Puis il réprouve leurs péchés, les exhorte au repentir, et ordonne des processions, des messes et des prières.

Grande exaltation et vantardises de Vaudreuil. En mai, il écrit au ministre: " Le zèle dont je suis animé pour le service du Roi me fera toujours sur- monter les pires obstacles. Je prends les mesures les plus propres à donner à l'ennemi une chaude récep- tion de quelque côté qu'il nous attaque. J'ai en vue

la défense de Québec J'ai donné ordre aux

paroisses d'en bas de mobiliser les habitants en état de porter les armes, et de mettre les femmes, les enfants, le bétail, et même le pain et le grain, en lieu de sûreté. Permettez-moi, Monseigneur, de vous demander d'avoir la bonté d'assurer Sa Majesté qu'à

[1] Mémoires sur le Canada, 1749- 1760.

[2] Mandements des évêques de Québec, vol. 2, page 133.

WOLFE A QUEBEC 5

quelque dure extrémité que je sois réduit, mon zèle restera également ardent et infatigable, et que je tenterai l'impossible pour empêcher l'ennemi de faire le moindre progrès de quelque côté que ce soit, ou du moins pour le lui faire payer cher." (1) Il écrit ensuite qu'il est informé qu'Amherst, avec une forte armée, va attaquer Ticonderoga ; que Bradstreet, à la tête de 6000 hommes, marchera sur le lac Ontario ; qu'un autre corps de 6000 hommes viendra par l'Ohio. "Quelques progrès qu'ils fassent, dit-il, je suis déter- miné à ne rien céder, mais à tenir bon jusqu'à annihilation." Il promet de faire de son mieux pour rester en bons termes avec Montcalm, et termine par un chaleureux éloge de Bigot. (2)

C'est au milieu de ces préparatifs que Bougain- ville arriva de France avec la nouvelle qu'une grosse flotte était en route pour attaquer Québec. La ville fut surprise et consternée, car les Canadiens s'étaient faits à l'idée que les dangers de la navigation du Saint- Laurent dissuaderaient l'ennemi d'une pareille entre- prise. "Tout le monde, écrivait-on, fut stupéfait d'une tentative aussi audacieuse." Peu de jours après, on voyait s'approcher un groupe de vaisseaux ; mais c'étaient des voiles amies. C'était la flotte de l'entre- preneur Cadet, commandée par un officier du nom de Kanon, et chargé d'approvisionnements pour la colonie. Elle mouilla dans le havre, au nombre de dix-huit voiles, et cet arrivage causa une réjouissance générale. L'amiral Durell était arrivé trop tard pour l'intercepter, et n'avait pu capturer que trois mauvais

[1] Vaudreuil au ministre, 8 mai 1759. [2] Ibid. 20 [?] mai 1759.

6 WOLFE A OUÉBEC

marcheurs restés en arrière. D'autres purent encore lui échapper, et avant le ier juin cinq autres vaisseaux atteignaient le port sains et saufs.

Lorsque la nouvelle apportée par Bougainville parvint à Montréal, les forces presque entières de la colonie, à l'exception des détachements de Bourla- maque et de La Corne, reçurent l'ordre de se porter à Québec. Montcalm s'empressa de s'y rendre, et Vaudreuil le suivit. Le gouverneur général écrivit au ministre à sa manière habituelle, comme si tout l'espoir du Canada reposait sur lui. Telle fut son activité, dit-il, que, malgré la pression des affaires, il arrivait à Québec une journée et demie après Mont- calm, juste à temps pour y apprendre par ses vigies de la côte que les vaisseaux de guerre anglais avaient déjà paru à l'Ile aux Coudres. C'était l'escadre de Durell. "Je m'attends à être vivement attaqué, et que l'ennemi va tenter un suprême effort pour conquérir cette colonie ; mais il n'est ni ruses, ni ressources, ni moyens quelconques que mon zèle ne m'inspirera pour lui tendre des pièges, et au besoin pour le combattre avec une ardeur, avec une fureur même, supérieure à ses ambitieux desseins. Les troupes, les Canadiens et les Sauvages n'ignorent pas la résolu- tion que j'en ai prise, et rien ne saurait m'en écarter. Les bourgeois de cette ville ont déjà mis leurs biens et leurs effets en lieux de sûreté. Les vieillards, les infirmes et les enfants se tiennent prêts à quitter la ville. Ma fermeté est généralement applaudie. Elle a pénétré tous les cœurs, chacun dit tout haut : Le Canada, notre terre natale, nous ensevelira sous ses ruines avant que nous ne nous rendions aux Anglais !

WOLFE A QUÉBEC 7

Telle est bien ma détermination, et je m'y tiendrai inviolablement." Puis il se perd en éloges sur l'entre- preneur Cadet, dont le zèle pour le service du Roi et pour la défense de la colonie triomphera, dit-il, de toute difficulté. Il est nécessaire, ajoute-t-il, que de forts ravitaillements soient envoyés à l'automne, Cadet se chargeant de les distribuer et d'en rendre compte au prix coûtant ; seulement il ne dit pas à quels prix son désintéressé ami les fera payer aux malheureux Canadiens. (1)

Cinq bataillons de France, presque toutes les troupes de la colonie, et les milices de toutes les parties du Canada envahirent Québec, avec un millier ou plus de sauvages qui, à l'appel de Vaudreuil, apportaient leurs couteaux à scalper au service de la défense. Telle fut l'ardeur populaire qu'on vit dans le camp des enfants de 15 ans aux côtés d'octogénaires. Ordre fut donné d'évacuer l'Ile aux Coudres et l'Ile d'Orléans, et l'on s'attroupait sur les sommets de Québec pour guetter d'heure en heure l'arrivée de la flotte. Les jours, les semaines se passèrent, sans qu'elle n'apparût. Dans l'intervalle, Vaudreuil tenait conseil sur conseil pour arrêter le plan de défense. Il y eut d'étranges scènes dans ce tohu-bohu d'officiers de tout rang, entassés pêle-mêle dans une salle étroite, s'agitant, criant, jouant du coude, s'inter- pellant ; en désespoir de cause, Montcalm, prenant chacun en particulier à la sortie du conseil, lui faisait donner son opinion par écrit. (2)

[1] Vaudreuil au ministre, 28 mai 1759.

[2] Journal dusiègeide Québec, déposé à la Bibliothèque de Hartwell, en Angleterre. [Printed at Québec, 1836.]

8 WOLFE A QUEBEC

Il avait lui-même d'abord proposé de camper sur les Plaines d'Abraham et dans les prairies de Saint- Charles, faisant de cette rivière sa ligne de défense (i) ; mais il modifia son plan et, avec le concours de Vaudreuil, résolut de porter toutes ses forces sur le Saint-Laurent au-dessous de la ville, sa droite reposant sur la rivière Saint-Charles, la gauche sur la rivière Montmorenci. Ce fut là, en effet, que les troupes et les milices furent stationnées à mesure qu'elles arrivèrent. De bonne heure en juin, on pouvait envisager la position d'un coup d'œil, de la hauteur Nord-Est du promontoire de Québec.

Tout le long de la ligne courbe que forme la rive du fleuve depuis la rivière Saint-Charles jusqu'à la gorge rocheuse du Montmorenci, sur une distance de sept à huit milles, les blanches habitations de Beauport dessinaient en double haie le tracé du chemin public, chaque côté duquel les champs étaient piqués de tentes, de huttes et de wigwams indiens. Sur la grève du Saint-Laurent, aussi loin que portait le regard, on pouvait voir des groupes d'hommes travaillant à construire des redoutes, des batteries et des retran- chements. A peu près à mi-chemin entre les deux extrémités du camp, serpentait la minuscule rivière de Beauport, et sur une éminence voisine s'élevait une vaste maison de pierre autour de laquelle se multipliaient les tentes ; c'est que Montcalm avait établi ses quartiers généraux. (2)

Une estacade de billots enchaînés les uns aux

[1] Livre d'Ordres, Dispositions pour s'opposer à la Descente. [2] Aujourd'hui, habitation de M. François Parent Note du tra- ducteur.

WOLFE A QUÉBEC 9

autres traversait l'embouchure de la rivière Saint- Charles, qui était de plus gardée par deux vieilles coques armées de canon. Environ un mille plus haut, un pont de bateaux jeté en travers de la rivière servait de principale voie de communication entre la ville et le camp. Du côté de Beauport, la tête du pont était protégée par un ouvrage en terre d'une grande étendue ; la rive du côté de Québec était aussi retranchée, de manière à offrir une seconde ligne de défense pour le cas celle de Beauport serait for- cée.

Dans la ville elle-même, toutes les portes, sauf celle du Palais, qui donnait accès au pont, étaient closes et barricadées. Cent six pièces de canon étaient montées sur les murailles. (1)

Une batterie flottante de douze grosses pièces, nombre de canonnières, huit brûlots et plusieurs radeaux à feu formaient les défenses du fleuve. Les plus gros vaisseaux marchands de la flotte de Kanon avaient été sacrifiés pour servir de brûlots ; le reste, avec les frégates d'escorte, avait été envoyé pour plus de sûreté dans le haut du fleuve au-delà du Richelieu, d'où environ un millier d'hommes d'équi- page étaient revenus pour faire la manœuvre des batteries et des canonnières.

Il y avait dans les camps le long de la côte de Beauport environ 14,000 hommes sans compter les Sauvages. Les troupes réglées occupaient le centre ; les milices de Québec et de Trois-Rivières formaient l'aile droite, celles de Montréal l'aile gauche.

[1] C'est le nombre qu'on y trouva après le siège [Knox]. Quelques chroniqueurs français disent qu'il y en avait beaucoup plus.

io WOLFE A OUEBEC

Dans Québec même, il y avait comme garnison de iooo à 2000 hommes sous les ordres du chevalier de Ramesay. L'effectif total, y compris les Sauvages, était donc de plus de 16,000 hommes, (1), et bien que les Canadiens qui en formaient le gros fussent de peu d'utilité en rase campagne, on pouvait compter sur eux pour bien se battre derrière les retranchements. Contre cette force, postée derrière des travaux de défense, occupant des positions que la nature avait faites presque imprenables, Wolfe amenait moins de 9,000 hommes disponibles pour les opérations de terre. Les hauteurs escarpées et imposantes qui bordent le fleuve rendaient à peu près inutile le canon des vaisseaux, et les exigences du service naval ne per- mettaient pas d'employer les marins à terre. Dans deux ou trois cas seulement, pendant le sièg*e, quel- ques petites escouades débarquèrent pour aider au transport et à la manœuvre des canons ; aussi toute la corvée du combat véritable échut-elle aux troupes seules.

Vaudreuil et Bigot avaient pris leurs quartiers avec l'armée. Le gouverneur général avait délégué le commandement des troupes de terre à Montcalm, que, d'après ses propres termes, il avait autorisé donner des ordres partout, provisoirement." Plus que jamais, leurs relations mutuelles étaient anormales et tendues ; car, si Vaudreuil, par son rang officiel, avait droit au commandement suprême, Montcalm, devenu lieutenant général, avait un grade militaire qui le mettait bien au-dessus de lui, et le g-ouverneur, tout en se désignant lui-même, dans ses dépêches,

[1] V. Appendice A.

WOLFE A QUÉBEC n

comme la tête dirigeante de chaque mouvement, avait trop peu de confiance en soi-même pour ne pas laisser aux mains de son rival la véritable tâche du com- mandement.

Les jours, les semaines s'écoulaient, et la surex- citation du premier moment faisait place à une nerveuse impatience. Pourquoi les Anglais n'arri- vaient-ils pas ?

Beaucoup de Canadiens avaient en tête que le ciel s'interposerait et anéantirait la flotte anglaise, comme il avait fait pour celle de l'amiral Walker un demi-siècle auparavant. Il y eut des processions, des prières, des vœux à cette heureuse intention. Les vivres se faisaient rares. Bigot et Cadet vivaient dans le luxe ; pour leurs tables, on engraissait les poules au blé par milliers, tandis que le peuple était réduit à la ration de deux onces de pain par jour, (i) On rapportait que Durell et ses navires étaient toujours immobiles à l'Ile aux Coudres. Vaudreuil y avait dépêché un parti de Canadiens, qui avaient capturé trois cadets de marine descendus à terre "pour polissonner ", suivant l'expression de Mont- calm. Ces jeunes gens furent amenés à Québec, ils accrurent l'anxiété générale en exagérant outre mesure la force numérique des Anglais.

Enfin, la nouvelle se répandit que huit navires anglais avaient jeté l'ancre dans le chenal nord d'Orléans, et le 21 juin on pouvait nettement distin- guer la mâture de trois d'entre eux. L'un des brûlots fut consumé dans une vaine tentative d'incendier ces

[1] Mémoires sur le Canada, 1749- 1760.

12 WOLFE A QUÉBEC

vaisseaux, plusieurs radeaux à feu et une sorte de machine infernale n'eurent pas plus de succès ; les malencontreux visiteurs restaient invulnérables sur leurs ancres.

Dans l'intervalle, le gros de la flotte anglaise avançait lentement, piloté par Denis de Vitré, un Canadien de bonne naissance, pris en mer quelque temps auparavant, et maintenant forcé de servir sous peine d'être pendu s'il refusait, (i) Il n'était pas seul, car, lorsque Durell était arrivé à l'endroit d'ordi- naire on prenait les pilotes à bord, il avait hissé un pavillon français au grand mât, au vif plaisir des Canadiens de la côte, qui crurent qu'une flotte venait à leurs secours et que leur pays était sauvé. Les pilotes lancèrent leurs canots à la mer et se rendirent aux vaisseaux, tous furent faits prisonniers ; alors le pavillon français disparut pour faire place à la croix rouge. Les spectateurs du rivage passèrent de la joie au désespoir, et l'on rapporte qu'un prêtre qui exami- nait l'escadre avec une lunette d'approche en eut un tel saisissement qu'il tomba mort.

Vers la fin de juin, le gros de la flotte était près de la montagne du Cap Tourmente. Le passage appelé la Traverse, entre le Cap et l'extrémité infé- rieure de l'Ile d'Orléans, était réputé l'un des plus dangereux endroits du Saint-Laurent, et à mesure que les vaisseaux y arrivaient, les pilotes captifs étaient amenés à bord avec ordre de passer sans accident, sous peine de mort.

(L'auteur place ici une anecdote dans laquelle

[i] Mémorial de Jean Denis de Vitré au Très honorable William Pitt.

WOLFE A QUÉBEC 13

un vieux loup de mer, le capitaine Killick, du trans- port le " Goodwill," joue le beau rôle, refusant obstinément les services du pilote français, malgré les ordres de l'officier commandant, et dirigeant lui-même son vaisseau à travers les zigzags du chenal, qu'il trouvait bien moins hasardeux que la Tamise, le tout au grand ébahissement du pilote, qui ne pouvait comprendre qu'on pût se passer de ses services dans un pareil endroit.)

Vaudreuil fut blâmé pour n'avoir pas planté du canon sur un certain plateau au flanc de la montagne du Cap Tourmente, d'où les canonniers, hors d'at- teinte eux-mêmes, eussent pu foudroyer chaque vaisseau au passage par un feu plongeant. En tout cas, la flotte entière passa saine et sauve ; le 26, elle était toute mouillée au large de la rive sud de Pile d'Orléans, à quelques milles de Québec. M Ici, écrit Knox, de toutes parts nous avons l'agréable spectacle d'un pays délicieux ; moulins à vent, moulins hydrau- liques, églises, chapelles, métairies substantielles, toutes construites en pierre, couvertes, les unes en bois, les autres en chaume. Partout la terre paraît en très bon état de culture ; avec ma lunette, je puis discerner qu'elle est ensemencée en lin, blé, orge, pois, etc., et que les champs sont enclos de palissades en bois. Aujourd'hui, il fait une chaleur agréable. Parfois de légères brumes flottent sur les hauteurs, mais sur le fleuve l'atmosphère est d'une clarté lim- pide. Au tournant du fleuve, lorsque nous étions à la voile, nous eûmes le spectacle passager d'une merveil- leuse curiosité naturelle, qu'on appelle le Sault de Montmorenci."

i4 WOLFE A OUÉBEC

Ce soir-là, le lieutenant Meech fit une descente sur l'île d'Orléans avec quarante " rangers" de la Nouvelle Angleterre, et y trouva un corps d'Habitants en armes, qui cherchèrent à le cerner. Il les repoussa, et prit possession d'une maison de ferme voisine, il demeura jusqu'au jour; s' étant alors mis à la recherche de l'ennemi, il s'aperçut qu'il avait passé le fleuve à la côte nord. Toute l'armée descendit alors à terre et fut alignée sur le rivage. Comme elle y stationna quelque temps, Knox et plusieurs autres officiers allèrent visiter l'église voisine, celle de Saint- Laurent, ils trouvèrent une lettre du curé de la paroisse, adressée "aux dignes officiers de l'armée anglaise," les priant de protéger le saint édifice ainsi que sa propre résidence à côté, et ajoutant, par une civilité plutôt inutile, qu'il aurait désiré qu'ils fussent venus plustôt, car ils auraient goûté aux asperges et aux radis de son jardin, malheureusement montés à graine maintenant. L'épître se terminait par force compliments et bons souhaits, dans lesquels les Saxons auxquels ils s'adressaient ne virent qu'une marque de "cette politesse obséquieuse si particulière aux Français." L'armée se mit en mouvement vers l'Ouest, et campa. Wolfe, avec son ingénieur en chef le Major Mackellar, et une escorte d'infanterie légère, s'avança jusqu'à la pointe extrême de l'Ile.

Il put entrevoir, de là, en partie du moins, la nature désespérée de la tâche qu'il avait entreprise. Devant lui, à une distance de trois ou quatre milles, Québec se dressait perchée sur son rocher, offrant une agglomération de constructions en pierre, maisons,

WOLFE A OUÉBEC 15

églises, palais, couvents et hôpitaux, avec les arbres verts du jardin du Sémiuaire, les flèches de la Cathé- drale, des Ursulines, des Récollets et des Jésuites. Au-delà, s'élevait la cime du Cap Diamant, bordée de palissades et surmontée d'une redoute avec parapet. Partout fronçaient des batteries de canon, celles du Château, du Clergé, de l'Hôpital sur la hauteur ; les batteries du Roi, du Dauphin et de la Reine en bas sur la grève, les habitations et entrepôts de la basse-ville s'adossaient au rocher.

Bien en vue, s'étendait la ligne du camp de Montcalm, depuis la rivière Saint-Charles, sous les murs de la ville, jusqu'au précipice de la cataracte de Montmorenci. De la cataracte à la rivière de Beauport, le front était à l'abri d'ouvrages en terre alignés tout le long de la cime abrupte du coteau ; de la rivière de Beauport à la rivière Saint-Charles, il était protégé par de larges battures de vase que pouvait balayer le feu des redoutes, des tranchées, d'une batterie flottante et de la ville elle-même. Le Cap Diamant lui cachait la vue de ce qu'il y avait au-dessus de la ville ; mais si Wolfe avait pu voir au delà du promontoire, c'eût été de quoi le décourager davantage. Là, sur une distance de plusieurs milles, le Saint-Laurent est emmuraillé entre deux côtes escarpées, souvent inac- cessibles, et toujours si difficiles à aborder que quelques pelotons sur les sommets pouvaient y tenir une armée en échec ; puis, au Cap Rouge, à environ huit milles de là, le plateau élevé était coupé par un cours d'eau formant une ligne de défense tout aussi forte que celle du Montmorenci. La nature avait fait de Québec

i6 WOLFE A QUÉBEC

une forteresse. Bougainville disait, après un examen attentif des lieux : " Avec quelques retranchements, faciles à établir en peu de temps, et défendus par trois ou quatre mille hommes, je crois que la ville serait en sûreté. Je ne crois pas que les Anglais tentent rien contre elle ; ils peuvent cependant en avoir la folle envie, et il serait bon de se préparer aux surprises."

Ce n'était pas quatre mille hommes, mais quatre fois quatre mille, qui en avaient la défense, et leurs commandants résolurent sagement de ne pas sacrifier les avantages de leurs positions. On n'entendait plus parler du plan hardi de Vaudreuil, lequel consistait à attaquer l'envahisseur lorsqu'il débarquerait ; Mont- calm déclarait qu'il imiterait la stratégie, non d'An- nibal, mais de Fabius. Son plan était d'éviter une mêlée générale, de ne rien risquer, de prolonger la défensive jusqu'à ce que les ressources de l'ennemi fussent épuisées, ou que l'approche de l'hiver les forçât à déguerpir. Sauf pour une raison, la théorie était bonne et presque assurée du succès. Amherst, avec des forces supérieures à celle de Wolfe, avançait sur Ticonderoga. S'il s'en emparait et pénétrait dans la colonie, Montcalm se verrait obligé d'affaiblir son armée en envoyant force détachements pour lui barrer le chemin. C'était ce que Wolfe pouvait espérer de mieux. Sans cela, son unique ressource était un coup d'audace. La partie était désespérée ; mais Wolfe était beau joueur à la guerre, et homme à tout ris- quer, en suprême ressource, sur un coup de dés.

Les éléments favorisèrent les Français. Dans l'après-midi du jour même l'armée de Wolfe était

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descendue à terre, un violent coup de vent s'abattit sur le Saint-Laurent, bousculant les navires les uns sur les autres, en jeta plusieurs à la côte, et mit en pièces plusieurs des bateaux plats qui avaient servi au débarquement. "De ma vie je n'avais vu pareil désarroi naval," écrivait un officier à l'un de ses amis à Boston. Par bonheur, l'ouragan s'apaisa aussi soudainement qu'il était venu. Vaudreuil, voyant cet espoir de déli- vrance s'évanouir, et la flotte anglaise non anéantie par la tempête, résolut d'éprouver la vertu de ses brûlots. uJ'ai bien peur, dit Montcalm, que ces ma- chines, qui nous ont coûté un million, ne servent pas à grand'chose." C'est ce qu'il fallait voir. Vaudreuil en donna le commandement en chef à un officier naval nommé De Louche, et le soir du 28, après de longues consultations et un vif débat entre leurs capitaines respectifs, les brûlots partirent de conserve à 10 heures. C'était une nuit sans lune, très noire. En moins d'une heure, ils étaient à l'entrée du chenal nord. De Louche était parti avec enthousiasme ; mais à l'approche du danger, le cœur lui manqua, et il mit le feu à son bateau une demi-heure trop tôt, les autres suivant son exemple. (1)

Les Anglais avaient un poste avancé à la pointe de l'Ile d'Orléans ; vers onze heures, les sentinelles discernèrent dans les ténèbres les ombres fantastiques des vaisseaux qui s'approchaient. Comme elles regardaient, des langues de feu parurent sortir de la mystérieuse flotte ; les flammes jaillirent comme

[1] Foligny, journal mémoratif. Vaudreuil au ministre, 5 octobre 1759. Journal (lu Siège [Bibliothèque de Hartwell.]

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des éclairs jusqu'au haut des mâts et des voiles, et alors éclatèrent comme des volcans. Tout cela était imprégné de poix, de goudron, de toutes sortes de matières inflammables, plein de pièces d'artifice, de bombes, de grenades, de vieux canons, pierriers, mousquets chargés jusqu'à la gueule : l'effet fut horripilant.

Les troupes de la Pointe, terrifiées de cette éruption soudaine, du tintamarre des explosions, et de la grêle de projectiles qui s'abattait sur les arbres, perdirent la tête et prirent la fuite. Les dragons de feu sifflaient et grondaient, lançaient des trombes enflammées, vomissaient d'épais nuages de fumée noire chargée de bitume et de lueurs infernales, illuminant au loin la ville, les tentes du camp de Montcalm et les long'ues lignes rouges de l'armée anglaise, qui s'était rangée en bataille dans la crainte que les Français ne profitassent de la confusion pour traverser le fleuve et tenter une attaque. Knox parle du spectacle comme "du plus grandiose feu d'artifice qu'on pût imaginer." Tout de même, les brûlots ne firent d'autre mal que de brûler vifs l'un de leurs capitaines, avec six ou sept de leurs matelots qui n'avaient pu s'esquiver dans leurs canots. Quelques- uns des vaisseaux en feu allèrent à la côte avant d'atteindre la flotte ; les autres furent pris par d'in- trépides marins anglais qui s'en approchèrent en canots, y jetèrent le grappin et les touèrent du côté de terre jusqu'à ce qu'ils s'échouassent en tournoyant. Là, après avoir épuisé leur rage pendant un temps, les brûlots s'amortirent en un tranquille incendie qui dura jusqu'au lever du jour. Vaudreuil était monté

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dans le clocher de l'église de Beauport pour mieux jouir de son œuvre ; après quoi, il rentra à Québec, très déconfit.

Wolfe brûlait de se mesurer avec l'ennemi ; mais il comptait sans la sagacité de celui-ci. Des hauteurs de Beauport, du promontoire de Québec, ou du som- met du Cap Diamant, Montcalm pouvait lire sur le fleuve et sur les rives comme sur une carte, et guetter I2S moindres mouvements des envahisseurs. Il était plein d'espérance, peut-être de confiance, et pendant un mois ou plus il écrivait quotidiennement à Bour- lamaque à Ticonderoga sur un ton enjoué, souvent lég'er, entremêlant ses ordres et instructions de plai- santeries et de menues nouvelles. Cependant sa vigilance était incessante : "Nous passons toutes les nuits en bivouac, ou sinon dormons tout habillés. Peut-être en faites-vous autant, mon cher Bourla- maque." (1)

Des deux commandants, Vaudreuil était le plus confiant, il ne cessait de proclamer que tout irait bien. Lui aussi correspondait avec Bourlamaque, à qui il confiait son opinion, fondée sur des dires de déserteurs, que Wolfe n'avait aucune chance de succès à moins que les Américains ne vinssent à son aide. Et cela lui paraissait impossible ; il exprimait le vif désir de voir les Anglais l'attaquer, "de sorte que nous puissions nous en débarrasser d'un seul coup" (2). Il était plein de courage, sauf à l'approche immédiate du danger, et ne perdait pied qu'au mo-

[1] Montcalm à Bourlamaque, 27 juin 1759. J'ai toutes ces lettres sous les yeux.

[2] Vaudreuil à Bourlamaque, 8 juillet 1759.

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ment critique. Wolfe, tenu en échec sur tous les autres points, avait la ressource d'un mouvement stratégique. C'était de s'emparer des hauteurs de la Pointe de Lévis, en face de la ville : ce qui, avec son occupation de l'Ile d'Orléans, lui permettait de commander le Bassin de Québec. Il pouvait de canonner la place à travers le Saint-Laurent, qui en cet endroit est large de moins d'un mille. Le mouve- ment fut commencé dans l'après-midi du 29 ; grelot- tante sous un grand vent du nord, par une forte gelée, une partie de la brigade de Monckton passait en bateau à la rive sud, à Beaumont, suivie du reste le lendemain matin. Les " rangers" eurent quelques escarmouches avec un parti de Canadiens qu'ils repoussèrent ; les réguliers purent ensuite débarquer sans opposition. Sur l'ordre de Monckton, une proclamation, signée de Wolfe, fut placardée à la porte de l'église. Elle demandait péremptoirement aux Canadiens de rester neutres, leur promettant, en ce cas, l'entière protection de leurs biens et de leur religion, les menaçant au contraire, s'ils s'avisaient de résister aux envahisseurs, de la destruction ',de leurs propriétés et de leurs moissons, et de la spolia- tion de leurs églises. Dès que les troupes furent hors de vue, les habitants enlevèrent l'écriteau et l'allèrent porter à Vaudreuil.

La brigade marcha le long du fleuve jusqu'à la Pointe de Lévis, d'où elle mit en fuite un corps de Canadiens et de Sauvages qui s'était embusqué dans l'église, et prit possession des maisons et des hauteurs environnantes. Dans la matinée, les soldats étaient en train de se retrancher, lorsqu'ils furent salués

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d'une vive fusillade partant de la lisière du bois. L'attaque venait d'un parti de Sauvages, que les " rangers" eurent bientôt mis en fuite ; imitant leur férocité, ils en scalpèrent neuf. Wolfe arriva au camp le lendemain ; il se rendit avec son escorte jusqu'aux hauteurs vis-à-vis de Québec, en fit l'examen à l'aide d'une lunette, et choisit une bonne position pour bombarder la place. On amena des canons et des mortiers, on fit des fascines et des gabions, on éleva des retranchements et planta des batteries. Knox, qui y vint des quartiers-généraux, dit qu'il eut "de cet endroit la plus belle vue de la ville de Québec, objectif superbe pour notre artillerie, surtout la Basse-Ville." Mais à quoi bon ce désir de bombar- dement de la part de Wolfe ? Les fortifications étaient très peu exposées à son feu ; brûler des maisons, des couvents et des églises n'avancerait guère ses affaires. Ses canons de la Pointe de Lévis pouvait détruire la ville, mais non la prendre ; tout de même, il y avait un certain effet moral à jeter le découragement chez les Français, et du même coup à relever le courage de ses propres soldats en leur donnant au moins l'illusion qu'ils accomplissaient quelque chose.

Le canon de Québec faisait pleuvoir une grêle de boulets et de bombes sur ses ouvriers, mais ceux- ci n'en persistaient pas moins, et les Français voyaient les fatales batteries bientôt achevées. Les citoyens, alarmés de cette perspective de destruction, supplièrent le gouverneur de leur permettre de tra- verser le fleuve pour déloger les agresseurs. Il finit par y consentir. Un parti de douze à quinze cents

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hommes fut formé de civiliens armés, avec des Canadiens tirés du camp, quelques Sauvages, quel- ques élèves du Séminaire, et une centaine de volon- taires pris dans les troupes réglées. Dumas, officier plein d'expérience, prit le commandement du corps, qui se rendit à Sillery, d'où il traversa le fleuve dans la soirée du 12 juillet. La bande avait à peine escaladé l'escarpement de la côte sud qu'elle fut prise d'une sorte de terreur nerveuse, bien que l'ennemi fût encore à trois milles de là. Les écoliers du Séminaire firent feu sur quelques-uns des leurs, qu'ils prirent pour des Anglais ; cette mésaventure se répéta deux et même trois fois. La panique devint si générale, que Dumas fut incapable de la maîtriser. Tous tournèrent les talons, regagnèrent les canots, culbutant les uns sur les autres en dévalant de la hauteur, et rentrèrent à Québec à six heures du matin, dépités et confus. (1)

Le pressentiment des malheureux citoyens n'était que trop fondé. Les batteries anglaises se mirent à l'œuvre, et les familles durent émigrer dans les campagnes par mesure de sûreté. En une seule journée, dix-huit habitations et la Cathédale furent incendiées par l'explosion des obus ; la trombe de fer et de feu s'abattait de plus en plus impitoyablement sur Québec.

[1] Evénements de la Guerre en Canada [Soc. Hist. de Québec, 1861]. Mémoires sur le Canada, 1749-60. Vaudreuil au Ministre, 5 octobre 1759. L'Abeille, ii No. 14 [publication du Séminaire de Québec]. Journal du siège de Québec [Bibliothèque de Hartwell]. Panet, Journal du Siège. Foligny, Journal mémoratif. Memoirs of the Siège of Québec, by Johu Johnson, commis et sergent-quartier-maître du 58e régiment.

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Wolfe ne se contenta pas de la détresse de l'ennemi. Avec une ardeur et une audace que nul obstacle ne ralentissait, il cherchait le moyen de frapper un coup décisif. Ce n'était rien de mettre Québec en ruines s'il ne pouvait défaire l'armée qui la défendait. Risquer une descente en bateaux et attaquer Montcalm de front dans la vase des battures de Beauport ou par les hauteurs de la rive adjacente, l'entreprise était au-dessus de sa témérité, si grande qu'elle fût. Opérer un débarquement au pied de la cataracte de Montmorenci, traverser le gué un peu plus haut, prendre l'armée française de flanc ou par derrière, était peut-être chose possible ; il n'eut pas plus tôt établi ses positions à la Pointe de Lévis et au bout de l'Ile d'Orléans, qu'il décida de tenter l'aventure. Le 8, plusieurs frégates et une galiotte à bombes prirent position en face du camp du chevalier de Lévis qui, avec sa division de milices canadiennes, occupait les hauteurs juste au-dessus de la chute. Pendant toute la journée, il eut à subir le feu de leurs bombes et de leurs canons, sans grand effet cepen- dant, vu sa position élevée. Sur le soir, les troupes de la Pointe d'Orléans sortirent du camp. Le major Hardy resta pour garder ce poste, avec un détache- ment de marins, tandis que le reste s'embarquait de nuit dans les canots de la flotte. C'étaient les brigades de Townshend et de Murray, consistant en cinq bataillons, avec un corps de grenadiers, d'infan- terie légère et de "rangers", en tout 3,000 hommes. Ils atterrirent avant le lever du jour vis-à-vis la paroisse de l'Ange-Gardien, à quelque distance de la cataracte. Le seul obstacle qu'ils rencontrèrent fut

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une troupe de Canadiens et de Sauvages, qu'ils mirent en déroute au prix de quelques pertes ; puis ils escaladèrent la hauteur, gagnèrent le plateau qui la surmonte et commencèrent à s'y retrancher. Une compagnie de "rangers," soutenue de détachements de réguliers, fut dépêchée dans le bois voisin pour protéger les hommes qui coupaient les fascines et aussi, apparemment, pour chercher un gué. Lévis, accompagné de son aide-de-camp l'Ecossais jacobite Johnstone, avait, de la hauteur sur la rive opposée de la chute, épié les mouvements de Wolfe. John- stone rapporte qu'il demanda à son commandant s'il était bien sûr qu'il n'y eût pas de gué plus haut sur le Montmorenci, pour livrer passage aux Anglais. Lévis affirma qu'il n'y en avait pas, qu'il avait lui- même étudié le cours d'eau jusqu'à sa source ; sur quoi, un Canadien qui se trouvait chuchota à l'oreille de l'aide-de-camp : "Le général se trompe, il y a un gué." Johnstone répéta le propos à Lévis, qui n'en voulut rien croire, et le Canadien fut si décontenancé qu'il n'osa pas soutenir son affirmation. Johnstone, le prenant à part, lui dit d'aller chercher quelqu'un qui avait récemment franchi le gué et de l'amener sur-le-champ aux quartiers du général ; l'homme revint bientôt accompagné *de quelqu'un qui avait, la nuit précédente, traversé la rivière avec un sac de blé sur le dos. Un détachement fut de suite envoyé en cet endroit, avec ordre de s'y retrancher, et Repentigny, lieutenant de Lévis, tut aposté à quelque distance de avec onze cents Canadiens.

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Quatre cents Sauvages traversèrent le gué sous les ordres du partisan Langlade, reconnurent le détachement de Wolfe, se cachèrent et envoyèrent leur chef dire à Repentigny qu'il y avait un corps d'Anglais dans le bois, qu'il pouvait anéantir s'il s'y portait sur-le-champ avec ses Canadiens. Repen- tigny envoya demander des ordres à Lévis, qui lui- même envoya prendre les ordres de Vaudreuil, dont les quartiers étaient à trois ou quatre milles de là. Vaudreuil fit réponse qu'il ne fallait rien risquer, qu'il viendrait lui-même se rendre compte en per- sonne. Il était environ 2 heures quand il arriva ; dans l'intervalle, les Sauvages, devenus impatients, étaient sortis de leurs cachettes, avaient tiré sur les "rangers'' et les avaient refoulés avec grandes pertes sur le corps de réguliers, qui avait tenu bon et avait fini par repousser les assaillants.

Les Sauvages repassèrent le gué avec trente-six chevelures. Si Repentigny avait avancé, et que Levis eût suivi avec son principal corps d'armée, les conséquences eussent pu être sérieuses pour les Anglais ; car, ainsi que le dit Johnstone, "un Cana- dien vaut dix soldats disciplinés dans les bois, de même qu'un soldat en plaine vaut dix Canadiens."

Vaudreuil convoqua un conseil de guerre. Il s'agissait de savoir si l'on devait tenter un effort pour déloger les forces principales de Wolfe. Cette fois, Montcalm et le gouverneur furent du même avis ; l'un et l'autre crurent inopportun d'attaquer avec des miliciens un corps de troupes réglées dont la force numérique et la position étaient imparfaitement

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connues. Bigot opina pour l'assaut. Il eut le dessous et Wolfe put se fortifier en paix, (i)

Le fait d'occuper les hauteurs de Montmorenci exposait celui-ci à des risques sérieux. L'aile gauche de son armée à la Pointe de Lévis était à six milles de son aile droite à la Chute, et le détachement du Major Hardy à la Pointe d'Orléans, entre les deux, était isolé de chacune d'elles par un large bras du Saint-Laurent. L'un ou l'autre de ces trois camps pouvait être pris par surprise avant de recevoir du secours des autres ; Hardy surtout, avec sa petite troupe, était en grand danger d'être mis en pièces. Heureusement, les Français persistaient à rester sur la défensive ; depuis l'échec de Dumas à déloger les Anglais de la Pointe de Lévis, Vaudreuil ne voulait plus entendre parler d'aucun coup d'essai de ce genre. Wolfe fut bientôt parfaitement retranché ; mais il lui était plus facile de se défendre que d'at- teindre l'ennemi. On prête à Montcalm la réponse suivante lorsqu'on lui parla d'attaquer Wolfe : "Qu'il s'amuse il est. Si nous l'en chassions, il cher- cherait une autre position d'où il pourrait nous faire du mal." Son dernier mouvement, cependant, avait jeté le découragement parmi les Canadiens, qui de ce moment commencèrent à déserter les rangs pour la première fois. Ajoutons que le feu des batteries à travers le torrent de Montmorenci fatiguait singu- lièrement l'aile gauche de l'armée française.

[i] Ce qui précède ressort d'une confrontation de la relation assez contradictoire de Johiistone, du journal tenu à l'armée, et du journal de Panet avec celui de la Bibliothèque Hartwell. Celui-ci dit que Lévis franchit la rivière Montmorenci. En ce cas, il n'accomplit rien. Ne pas confondre cette affaire avec celle qui eut lieu le 26.

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La position des forces hostiles en cet endroit était intéressante. Elles étaient séparées l'une de l'autre par le vaste gouffre qui donne sur le Saint- Laurent, un amphithéâtre de vertigineux précipices, dont la crête était couverte de forêt, avec quelques bouleaux et conifères disséminés sur leurs sombres flancs. C'est dans cet abîme que le Montmorenci s'élance à pic dans un bond gigantesque de 250 pieds, formant une colonne blanche comme du lait, nimbée de poussière d'eau, d'écume, de brouillards et d'arc- en-ciels, s'épandant ensuite en larges et minces nappes sur un fond de roc et de gravier, pour se perdre enfin nonchalamment dans le Saint-Laurent. D'une rive à l'autre du golfe, on était à portée de mousquet et les sentinelles ennemies se défiaient mutuellement à travers la grondante cataracte. Le capitaine Knox, venu un jour de la Pointe de Lévis pour recevoir les ordres de Wolfe, voulut profiter d'une heure de loisir pour contempler cette merveille de la nature. "Je faillis payer cher ma curiosité, dit-il ; car, pendant que je m'attardais sur la hauteur, m'en- tendant rappeler en arrière par l'une de nos senti- nelles, je jetai un regard aux alentours, et aperçus un Français qui rampait sous l'extrémité du retran- chement du côté du fleuve avec son fusil braqué sur moi. Je retraitai aussi vite que je pus et allai remercier la sentinelle qui m'avait prévenu du danger ; j'appris alors que le Français avait à deux reprises amorcé son arme, et que je m'étais esquivé juste au moment l'étincelle jaillissait pour la seconde fois. '' Un autre officier, moins heureux, avait eu la jambe brisée par un coup de feu parti de la rive opposée.

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Les jours s'écoulaient, mais les envahisseurs n'avançaientfpas à grand'chose. Des drapeaux blancs passaient souvent d'un camp à l'autre. " Vous pouvez démolir la ville, disait l'un de ces parlemen- taires, mais vous n'y pénétrerez jamais." A quoi Wolfe répondit : ' 'J'aurai Québec quand je devrais tenir ici jusqu'à la fin de novembre." Parfois la chaleur était intense, parfois aussi les averses d'été inondaient les tentes. Le long du fleuve, de Mont- morenci à la Pointe de Lévis, c'étaient d'interminables duels d'artillerie entre les canonnières et frég*ates et les batteries de la rive. Des bandes de Sauvages infestaient les confins du camp, tuant les sentinelles et les patrouilles. Les "rang-ers" les pourchassaient dans les bois ; vives escarmouches, pertes et gains de chevelures. Les troupes réglées prenaient parfois part à ces batailles sous bois ; il arriva une fois que l'ordre du jour portait que "le général avait ordonné de servir deux moutons et du rhum à la compagnie de grenadiers du capitaine Cosnan pour sa belle conduite de ce matin en repoussant ces monstres de Sauvages." Ceux-ci se plaignaient de ce que les An- glais eussent appris à se battre et à ne plus se masser en rangs serrés pour recevoir les coups de fusil, comme du temps de Braddock. Les coureurs de bois canadiens se mêlaient à leurs alliés Peaux-Rouges dont ils portaient la livrée. L'un d'eux fut capturé le 18. Il était nu, couvert de peinture rouge et bleue, et portait au sommet de la tête la traditionnelle parure de plumes multicolores. Lui et ses compa- gnons se servaient du couteau à scalper comme les Sauvages eux-mêmes, et les "rangers" de la Nouvelle

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Angleterre ne leur en cédaient guère sous ce rapport, jusqu'à ce qu'un ordre vînt de Wolfe, interdisant la barbare pratique du scalp ' 'sauf lorsqu'on aura affaire à des Sauvages ou à des Canadiens déguisés comme tels."

Une partie de la flotte s'était avancée dans la rade au-delà de la Pointe d'Orléans, et là, par les chaudes nuits d'été, officiers et soldats suivaient du regard l'éclair et la foudre des canons qui se répon- daient des hauteurs de Montmorenci et de Lévis, ainsi que la rouge trajectoire décrite en l'air par les bombes. Souvent les ténèbres s'illuminaient des lueurs d'incendie détruisant les habitations de Québec, allumées par des obus incendiaires. La haute et la basse-ville avaient été désertées par les résidents, dont les uns s'étaient retirés à la campagne, d'autres dans le faubourg Saint-Roch ; les religieuses des Ursulines et de l'hôpital avaient abandonné leurs monastères pour se mettre hors de la portée des canons. La ville était la proie des voleurs, qui pillaient les maisons désertes jusqu'à ce que vînt des quartiers généraux l'ordre de pendre quiconque serait pris en flagrant délit. Les Français ayant reçu la nouvelle d'un assaut sur Niagara et de la marche de l'armée d'Amherst sur Ticonderoga, les Canadiens se mirent à déserter de plus en plus. Ils étaient dégoûtés de l'attitude passive persistaient Vau- dreuil et Montcalm ; habitués aux marches forcées, aux hardis coups de main et aux non moins rapides retours dans leurs foyers, ils se lassaient de ces longues semaines d'inaction. Une patrouille anglaise

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s'empara d'un de ces hommes pendant qu'il s'amusait à pêcher à la ligne.

" Il nous fit l'effet, dit Knox, d'un vieux rusé compère ; il déclara avoir soixante-dix ans. Quand nous l'eûmes copieusement traité au vin de Porto, sa langue commença à se délier, et, voyant que nous nous amusions des récits hyperboliques qu'il nous faisait, il finit par avouer que l'affaire était bien finie d'un côté ou de l'autre, que tous ses camarades étaient mécontents et disposés à se rendre, ou à se disperser et à rester neutres sans les objurgations de leurs prêtres et la crainte d'être maltraités par les Sauvages, qui ne cessaient de les menacer. Le 19 juillet, un déserteur rapporta de nouveau que la crainte des Sauvages était la seule chose qui retînt les Canadiens au camp."

La proclamation de Wolfe, d'abord stérile, com- mençait à faire effet. Un grand nombre de prisonniers canadiens, capturés le 25, lui déclarèrent que leurs compatriotes accepteraient volontiers ses offres sans la menace des commandants de lancer les Sauvages sur eux à la première défection. Ces prisonniers ajoutèrent que "depuis plusieurs jours ils vivaient dans la mortelle crainte de voir une bande de quatre cents barbares saccager leur village et leurs habita- tions. (1) Ces menaces n'eurent pas tout l'effet qu'on en attendait. Un chroniqueur français du temps écrit : "De jour en jour, les Canadiens trahissaient leur dégoût, et désertaient en toute occasion, en dépit des moyens qu'on prenait pour les retenir Le

[1] Knox, i, 347 ; confronter pages 339, 341, 346.

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peuple était intimidé, voyant toute notre armée con- centrée sur un point, et gardant la défensive ; tandis que les Anglais, bien que beaucoup plus faibles en nombre, divisaient leurs forces, et variaient les entre- prises audacieuses sans rencontrer de résistance." (1) Le 18, les Anglais accomplirent un exploit qui promettait d'importants résultats. Les commandants français avaient toujours cru que pas un vaisseau ennemi ne pourrait passer sous les batteries de Québec ; cependant, vers onze heures de nuit ce soir- là, favorisés par le vent, et couverts par une furieuse cannonnade de la Pointe de Lévis, le "Sutherland," avec une frégate et plusieurs petits vaisseaux, cinglèrent sains et saufs et remontèrent le fleuve jusqu'au-dessus de la ville. Une fois là, ils attaquèrent sur le champ et détruisirent un brûlot et quelques autres embarcations qui se trouvaient dans leurs eaux. Pour la première fois, Montcalm dût affaiblir son armée de Beauport en dépêchant six cents hommes sous les ordres de Dumas, pour défendre les points accessibles de la côte escarpée qui sépare Québec du Cap-Rouge. Le lendemain, un autre détachement de plusieurs centaines d'hommes fut envoyé dans la même direction lorsqu'il fut connu que les Anglais avaient "portage" une flottille de bateaux à travers la Pointe de Lévis, les avaient lancés à l'eau au-dessus de la ville, et avaient expédié des troupes pour s'y embarquer. Les opérations du siège entraient dans une nouvelle phase, et le danger se montrait sur un point que les Français avaient jusque-là négligé. Par

[1] Journal du Siège [Bibliothèque de Hartwell].

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contre, Wolfe s'était rendu plus vulnérable que jamais.

Son armée se trouvait divisée, non plus en trois tronçons, mais en quatre, chacun si isolé du reste que, dans le cas d'une surprise, chaque corps se trouvait réduit à se défendre tout seul. Si Montcalm ne saisit pas l'occasion, ce fut apparemment faute de confiance dans ses milices.

Les forces au-dessus de la ville ne restèrent pas les bras croisés. Le soir du 20, le colonel Carleton, avec six cents hommes, fit dix-huit milles à la rame dans le haut du fleuve, et débarqua à la Pointe-aux- Trembles, sur la rive nord, quelques familles de Québec s'étaient réfugiées. Wolfe avait appris par des prisonniers qu'on y trouverait non seulement des approvisionnements en grande quantité, mais aussi des lettres et des papiers qui l' éclaireraient sur les plans des Français. Carleton et ses hommes repous- sèrent une bande de Sauvages qui faisaient feu sur eux, et passèrent la journée tranquillement autour de l'église paroissiale ; mais ils y trouvèrent peu de papiers, et encore moins d'approvisionnements. Sur le soir, ils en repartirent, emmenant avec eux près d'une centaine de femmes, d'enfants et de vieillards, et n'eurent pas plutôt disparu que les Sauvages revinrent piller les maisons abandonnées par leurs infortunés alliés. On traita les prisonniers avec la plus grande bonté. Les femmes en particulier furent invitées à souper avec Wolfe, qui plaisanta avec elles sur la prudente tactique des généraux français, disant : "Je leur ai pourtant donné d'excellentes chances de m'attaquer ; ce qui m'étonne, c'est qu'ils n'en aient

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pas profité." (1) Le lendemain, les prisonniers furent tous renvoyés à Québec sous la protection du drapeau blanc.

Jusque-là, Wolfe s'était abstenu de mettre à exécution les menaces qu'il avait fait afficher le mois précédent sur l'église de Beaumont. Il lança une nouvelle proclamation, dans laquelle il était dit que, puisque les Canadiens s'étaient montrés indignes des offres qu'il leur avait faites, il avait en conséquence donné à ses troupes légères l'ordre de ravager leur pays et de les emmener prisonniers à son camp. Les miliciens canadiens appartenant au voisinage de Québec se virent dans un terrible dilemme : menacés d'r.n côté par Montcalm, de l'autre par Wolfe. Ils avaient à choisir entre déserter et rentrer dans leurs fn ers, ou rester autour de leurs drapeaux. Dans un ca. , leurs maisons seraient mises à feu par les Sau- vages de l'armée française, dans l'autre par l'infan- ter.e légère des Anglais.

Wolfe s'empressa de donner des ordres à l'avenant de ;a dernière proclamation ; il prescrivait cependant que les églises ne seraient pas profanées et qu'on ne ferait pas de mal aux femmes ni aux enfants. Voici comment Knox décrit les premiers effets de ces mesures sévères : "Cet après-midi, l'infanterie légère du major Dalling a amené au camp deux cent cin- quante prisonniers des deux sexes, parmi lesquels se trouvait un prêtre d'apparence très respectable et une quarantaine d'hommes en état de porter les armes. Il y avait un nombre à peu près égal de gros bétail,

[1] Journal tenu à l'Armée que commandait feu M. le marquis de Montcalm.

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avec une soixantaine de moutons et d'agneaux et quelques chevaux. Le brigadier Monckton reçut dans sa tente le révérend abbé et quelques autres person- nages fashionables, et fit servir des rafraîchissements à tous les autres captifs ; Ge noble exemple fut suivi par les soldats, qui s'attroupèrent courtoisement autour de ces malheureuses gens, partageant avec eux leurs provisions, leur rhum et leur tabac. Dans la soirée, on les embarqua dans les vaisseaux en rade.'' Le même, deux jours plus tard : " Le déta- chement du colonel Fraser est rentré ce matin, nous apportant une nouvelle représentation des tragédies qui sont les conséquences de la guerre, amenant avec lui une multitude de malheureuses familles captives, avec une partie de leurs effets et près de troix cents animaux, bêtes à cornes, moutons, porcs et chevaux."' Le lendemain soir, l'excellent chroniqueur voyait son attention attirée d'autre façon. Vaudreuil tentait de nouveau d'incendier la flotte anglaise. " Tard hier soir, écrit Knox en date du 28, l'ennemi nous envoya un formidable radeau à feu, composé d'une remorque de goélettes, chaloupes et "cajeux'' en- chaînés ensemble. Il n'avait pas moins de cent brasses de longueur et était couvert de grenades, de vieux pierriers, de canons, de mousquets et de pisto- lets chargés jusqu'à la gueule, avec force autres engins de destruction et matières inflammables. C'était apparemment leur dernier effort contre notre flotte ; heureusement il échoua, comme les précé- dents, car nos vaillants marins, avec leur adresse habituelle, y mirent les grappins avant que le tout eût franchi le tiers du Bassin, et le remorquèrent sans

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accident au rivage, ils l'échouèrent en criant, tout le temps : All's well ! Je ne puis passer sous silence le mot typique d'un de ces intrépides gaillards à ses camarades dans cette occasion ; je le cite à cause de sa rudesse: "Dieu me damne, Jack, avais-tu jamais hâlé l'enfer ?'*

D'après une relation française, cette machine infernale consistait en soixante-dix radeaux, bateaux et goélettes. Si elle manqua son coup, ce ne fut pas la faute de ceux qui la conduisaient ; sous les ordres d'un brave Canadien, du nom de Courval, ils se comportèrent avec un énergique sang-froid. Ce qui sauva la flotte, ce fut uniquement la bravoure des matelots, qui se jetèrent en masse dans leurs canots pour barrer le chemin à la conflagration mouvante.

On était alors à la fin de juillet. Plus de la moitié de l'été était passé, et Québec paraissait plus que jamais hors des atteintes de Wolfe. Les maisons étaient en ruines, et les paroisses du voisinage avaient été incendiées et ravagées ; mais son rempart vivant, l'armée de Montcalm, était toujours là, pa- tiente et défiante, sur la rive de Beauport, tandis qu'au delà de la ville chaque point de la falaise seul un chat sauvage aurait pu grimper était gardé à vue ; Dumas, avec un millier d'hommes, occupait les hau- teurs imprenables du Cap-Rouge. Montcalm persis- tait à ne rien faire de ce que son ennemi aurait voulu qu'il fît. Comme il n'acceptait pas le combat comme Wolfe le lui offrait, celui-ci résolut de porter la guerre chez lui, en allant l'attaquer de front.

C'était un projet désespéré, car, après avoir laissé assez de troupes pour garder la Pointe de

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Lévis et les hauteurs de Montmorenci, il restait moins de 5,000 hommes pour tenter l'assaut d'une position supérieurement forte, Montcalm pouvait à une heure d'avis rassembler un nombre de com- battants deux fois plus considérable. Mais Wolfe avait une confiance illimitée dans la discipline et la valeur de ses soldats, et professait un profond dédain pour la milice qui formait le gros de la force ennemie.

Nous avons déjà vu qu'aux abords du Montmo- renci, le Saint-Laurent est bordé d'escarpements d'une grande hauteur et extrêmement abrupts. A un mille de la gorge de cette cataracte, une batture large d'un huitième de mille, à marée haute, sépare le pied des collines du fleuve ; le flot en se retirant y laisse à découvert un fond de boue d'une largeur de près d'un demi-mille. Sur la lisière de cette grève, les Français avaient élevé une redoute montée de canons, et à un quart de mille plus près de la chute, il y avait sur la rive d'autres ouvrages de même nature. Du fleuve, Wolfe n'avait pu voir que ces redoutes étaient commandées par la mousqueterie des retranchements pratiqués le long du coteau au-dessus. Retranche- ments ainsi construits que par leurs feux fcroisés ils balayaient le versant entier de la colline, tout en verdure et très escarpé. Wolfe espérait qu'en le voyant attaquer l'une des redoutes, les Français descendraient la défendre et qu'il s'en suivrait un engagement général ; sinon, qu'il aurait du moins la chance de reconnaître les hauteurs, et d'y trouver un point susceptible d'être pris d'assaut avec quelque espoir de succès.

Au pied de la gorge du Montmorenci, la rivière

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offrait un gué franchissable pendant plusieurs heures, à marée basse ; les troupes du camp anglais tout près de pouvaient donc le franchir et se joindre à leurs camarades venus en canots de la Pointe de Lévis et de l'Ile d'Orléans. Le matin du 31 juillet, la marée étant alors à «on apogée, les Français virent le "Centurion," vaisseau de 64 canons, mouiller au large du Montmorenci, et ouvrir le feu sur les redoutes. Alors deux transports armés, chacun de 14 canons, s'approchèrent le plus près possible de la première redoute, sur laquelle ils tirèrent, s'échouant avec le jusant, qui dans l'après-midi les laissa com- plètement à sec dans la vase. En même temps, une batterie de plus de quarante fortes pièces, plantée sur la cime avancée du promontoire de l'autre côté du Montmorenci, ouvrait une canonnade furieuse sur le flanc des retranchements français, sans trop leur faire de mal du reste, car ces travaux étaient protégés par des épaulements qui amortissaient les boulets. Les Canadiens, qui, avaient charge de cette partie des lignes, conservèrent leurs positions avec une fermeté remarquable.

Vers onze heures, une flotte d'embarcations pleines de soldats, venus surtout de la Pointe de Lévis, apparut sur le fleuve et vint longer la rive à l'ouest de l'église paroissiale de Beauport, faisant mine d'y atterrir. Montcalm, très perplexe, se de- mandait si l'attaque réelle viendrait de ce côté, ou par l'embouchure du Montmorenci. D'heure en heure, les bateaux allaient et venaient, comme pour déjouer ses plans et cacher le véritable dessein de l'ennemi ; mais il se fut bientôt convaincu que le camp de Lévis

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à Montmorenci était le point menacé, et vers deux heures il s'y rendit à cheval, salué le long des lignes par des cris de "Vive notre général !" Avec sa sagacité habituelle, Lévis avait déjà fait ses prépa- ratifs de défense. Ses Canadiens furent renforcés par les bataillons de Béarn, Guienne et Royal-Roussillon, et à mesure que les plans de Wolfe se dévoilaient, la droite du camp devenait presque entièrement déserte, toute la force de l'armée se concentrant entre les rivières Beauport et Montmorenci, où, d'après un chroniqueur français, près de douze mille hommes se trouvèrent réunis vers la fin de Paprès-midi.

A 5 heures et demie, la marée était complètement basse ; ce fut le moment critique. Les batteries de Pautre côté du Montmorenci, celles plus lointaines de la Pointe de Lévis, le canon du "Centurion" et ceux des deux transports échoués, tous reprirent le feu avec une énergie redoublée. Les batteries fran- çaises ripostèrent, et au milieu de cette étourdissante musique, les canots anglais descendirent leurs troupes sur la plage boueuse que l'eau, en se retirant, avait laissée à sec sur une vaste étendue. A la même heure, on pouvait voir une colonne de 2,000 hommes s'avancer en bon ordre à travers le gué du Montmo- renci, à un mille de là.

Les premières troupes qui sautèrent hors des canots sur la grève furent treize compagnies de grenadiers et un détachement du "Royal American." Elles s'avancèrent au pas de course ; à quelque distance en arrière, venait la brigade de Monckton, composée du 15e ou régiment d'Amherst, et du 78e ou Highlanders de Fraser. La journée avait été

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jusque-là belle et chaude ; mais le ciel était peu à peu devenu noir de nuages, et de grosses gouttes d'eau commençaient à tomber, avant-coureurs d'un orage d'été.

Avec la plus grande précipitation, sans attendre les ordres, sans attendre non plus d'être rejoints par la brigade de Monckton, les grenadiers qui battaient la marche s'étaient élancés au pas redoublé vers la redoute au pied de la côte. Les Français l'aban- donnèrent, mais à peine les assaillants s'en étaient-ils rendus maîtres que sur les hauteurs voisines des milliers de mousquets faisaient feu, vomissant sur eux une grêle de balles. Non déconcertés, ils s'élan- cèrent de nouveau en avant, réservant leur feu et cherchant à escalader l'escarpement, tandis qu'aux cris retentissants de "Vive le Roi !" les troupiers et Canadiens leur servaient d'en haut une trombe de balles de mousquets et de plomb de chasse ; tués et blessés roulaient pêle-mêle sur le flanc du coteau. A l'instant même, les nuages crevèrent et la pluie tomba par torrents. "Nous ne pouvions voir plus loin qu'à mi-côte,'' dit le chevalier Johnstone, qui se trouvait sur ce point de la ligne. De part et d'autre, la munition était trempée, et le gazon du flanc de la colline était devenu si glissant qu'il n'était guère possible de s'y tenir debout. Les Anglais disent que cet orage sauva les Français ; ceux-ci disent avec non moins de raison que ce fut le salut des Anglais.

Les grenadiers déroutés retraitèrent jusqu'à la redoute. Wolfe comprit que toute persistance était inutile, et ordonna la retraite. La pluie cessa, et des bandes de Sauvages dévalèrent du coteau pour

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scalper ceux qui étaient tombés. Quelques-uns cou- rurent au lieutenant Peyton, du Royal American, qu'une balle de mousquet avait couché par terre. Avec son fusil à deux coups, il abattit deux de ses assaillants ; un sergent des Highlanders, le prenant dans ses bras, le traîna sur une distance d'un demi- mille dans la boue de la batture, et le déposa dans un canot. Un ami de Peyton, le capitaine Ochterlony, avait reçu une blessure mortelle et un Sauvage l'aurait scalpé sans la généreuse intrépidité d'un soldat du bataillon de Guiennequi, saisissant l'enragé Sauvage, le tint en respect jusqu'à l'arrivée de plu- sieurs officiers français, lesquels s'interposèrent et firent porter le mourant en lieu de sûreté.

Les Anglais opérèrent leur retraite en bon ordre, après avoir mis le feu à leurs deux bateaux échoués. Ce qui restait debout des grenadiers et du Royal American regagna la pointe d'Orléans à la rame, le 15e régiment retourna à la Pointe de Levis, et les Highlanders, conduits par Wolfe lui-même, rejoi- gnirent la colonne venue du Montmorenci, marchant derrière elle comme elle se retirait lentement le long des battures et à travers la rivière ; aux cris poussés par les Sauvages et les Français sur les hauteurs, les Anglais répondirent en agitant leurs chapeaux, comme pour les défier de descendre et de se mesurer avec eux.

Les grenadiers et le Royal American, qui avaient supporté le gros du feu, avaient aussi subi presque toute la perte, qui était énorme, eu égard à leur nombre. Knox la porte à 443 tués, blessés et

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manquants à l'appel, y compris un colonel, huit capitaines, vingt-un lieutenants et trois enseignes.

Vaudreuil, au comble de la joie, écrivit un récit de l'affaire à Bourlamaque. "Je n'ai plus d'inquiétude pour Québec, dit-il. Je puis vous assurer que M. Wolfe ne fera aucun progrès. Il est heureux pour lui que sa circonspection l'ait sauvé des suites de cette folle entreprise ; il s'en retire avec une perte d'environ cinq cents de ses meilleurs soldats. Des déserteurs disent qu'il recommencera dans quelques jours. C'est ce que nous voulons ; il trouvera à qui parler."

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JK T^OLFE se montra profondément mortifié ^/ ^r du désastre de Montmorenci ; le lende- main, dans un ordre général, il répri- mandait en ces termes les grenadiers pour leur précipitation : "De tels mouvements impétueux, contraires à toute règle et à toute discipline militaire, détruisent l'ordre, mettent les commandants dans l'impossibilité de prendre les dispositions nécessaires d'une attaque et empêchent le général de mettre ses plans à exécution. Les grenadiers ne pouvaient se supposer à eux seuls capables de battre les Français.'' Les Français furent enchantés de leur succès. "Tout le monde, dit le commissaire Berniers, croyait la campagne terminée du coup, et à notre gloire." Ils avaient toujours été assez confiants, même avant cette victoire ; un parlementaire avait dit aux officiers anglais qu'il ne les aurait jamais crus assez insensés pour attaquer Québec avec une aussi faible armée. De son côté, Wolfe avait tout lieu de se désespérer. Au début, avant d'avoir vu Québec et de s'être ainsi rendu compte des conditions locales, il avait conçu le projet de commencer les opérations en prenant position sur les Plaines d'Abraham, et d'y faire le siège de la ville ; mais il s'était bientôt aperçu que les Plaines d'Abraham n'étaient pas plus à sa portée que Québec même. Ses seules chances désormais

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dépendaient de la composition de l'armée de Mont- calm. Il professait du respect pour le général français dont les troupes réglées lui paraissaient dignes du fer britannique, mais en même temps le plus profond dédain pour les milices, dont il comptait bien ne faire qu'une bouchée si seulement il pouvait les rencontrer en rase campagne. Mais Montcalm n'avait lui non plus nulle confiance en elles ; aussi persistait-il à refuser la rencontre que Wolfe appelait de tous ses vœux.

Wolfe était donc forcément amené à conclure que ses chances étaient bien faibles. On dit que, désespérant de rien faire de décisif, il eut un instant l'idée de fortifier TOe-aux-Coudres, et d'y laisser une partie de ses troupes pendant qu'il irait en Angleterre préparer une autre expédition pour le printemps suivant. Pour affaiblir davantage l'ennemi et tou- jours en vue de sa future conquête, il adopta au même moment des mesures qu'on voudrait pouvoir effacer par respect pour sa mémoire ; bien que la férocité fût loin d'être dans sa nature, quand il entre- prenait quelque chose, il y apportait une telle intensité de volonté que, pour en venir à bout, il n'épargnait pas plus les autres qu'il ne se ménageait lui-même. Vers le milieu d'août, il lança une troisième procla- mation aux Canadiens, déclarant que, puisqu'ils repoussaient ses offres de protection, "et l'en avaient si ingratement payé en pratiquant des actes de dernière barbarie sur ses troupes en toute occasion, il ne pouvait plus, en justice pour lui-même et pour son armée, s'empêcher de les châtier comme ils le méritaient." Il faisait allusion aux mutilations et aux

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levées de chevelures dont les sentinelles et éclaireurs de l'armée étaient les fréquentes victimes, crimes que les Canadiens ne perpétraient guère moins que les Sauvages. Wolfe avait un double objet en vue : amener les miliciens à déserter les rangs, épuiser la colonie. Les "rangers," l'infanterie légère, les Highlanders furent dépêchés avec ordre de raser tous les établissements qu'ils trouveraient sur leur chemin. Partout on leur résista, fermes et villages furent incendiés ; les églises furent généra- lement épargnées. Saint- Paul, en bas de Québec, fut mis à sao et réduit en cendres, et les établissements sur la rive d'en face partiellement détruits. Les paroisses de l'Ange-Gardien, de Château-Richer et de Saint-Joachim furent dévastées par le fer et le feu. Toutes les nuits, la garnison de Québec pouvait voir des lueurs d'incendies aussi loin que la montagne du Cap Tourmente. Près de Saint-Joachim, il y eutune terrible escarmouche, suivie d'atrocités révoltantes. Le capitaine Alexander Montgomery, du 43e régi- ment, qui commandait le détachement, et qu'on a très injustement confondu avec le général révolutionnaire Richard Montgomery, fit fusiller ses prisonniers séance tenante, malgré les protestations indignées de ses propres officiers. (1) Robineau de Portneuf, curé de Saint-Joachim, se mit à la tête d'une tren- taine de ses paroissiens ; ils se barricadèrent dans une spacieuse maison de pierre dans la paroisse voisine, Château-Richer, ils tinrent les Anglais à distance pendant un certain temps. Le curé et ses

[1] Fraser, Journal. Fraser était officier sous Montgomery, dont il parle avec mépris.

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compagnons furent enfin attirés dans une embus- cade, où ils furent cernés et massacrés ; des rangers déguisés en Sauvages les scalpèrent du premier au dernier. (1)

La plupart des écrivains français de l'époque mentionnent ces atrocités sans beaucoup de commen- taires, mais Vaudreuil les dénonce énergiquement. Il était cependant lui-même responsable de crimes incomparablement pires et en bien plus grand nombre, ayant lancé ses Sauvages, à peau rouge ou blanche, sur une frontière de six cents milles, avec pleine liberté de dévaster, de brûler et de tuer. L'ordre de Wolfe disait : "Les femmes et les enfants seront traités avec humanité ; s'il est fait violence à une femme, le coupable sera puni de mort.'' Cet ordre fut généralement r~srer i. A l'unique excep- tion de Montgomery, les A; ^lais ne donnèrent la mort qu'aux hommes armés faî sant acte de résistance ou d'attaque ; les partis de gu.-rre de Vaudreuil, eux, n'épargnaient ni l'âge ni le sexe.

Montcalm laissa brûler (es villages et resta passivement retranché dans son camp de Beauport. Il ne voulait pas mettre tout le Canada en péril pour sauver quelques centaines de fermes. Wolfe parais- sait donc aussi loin que jamais de^la bataille qu'il désirait. Jusque-là ses assauts avaient été surtout tentés au-dessous de la ville ; comme ils avaient échoué, il remania ses plans et reprit sur une plus grande échelle les mouvements qu'il avait com- mencés en juillet au-dessus de la ville. A chaque vent

[1] Knox, ii. 32. L'incident est rapporté dans la plupart des chroni- ques du temps.

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favorable, des vaisseaux et des transports passaient sous les batteries de Québec, à la faveur d'un feu nourri du côté de la Pointe de Lévis ; la manœuvre réussissait généralement, et les vaisseaux, plus ou moins avariés, atteignaient le haut du fleuve. Une flottille de bateaux plats y fut aussi envoyée, et douze cents soldats s'y rendirent par terre pour s'y embar- quer, sous les ordres du brigadier Murray.

L'amiral Holmes prit le commandement de la petite flotte ainsi formée au-dessus de la ville, et les opérations purent être systématiquement reprises de ce côté.

Pour faire face à la situation, Bougain ville fut dépêché du camp de Beauport avec quinze cents hommes. Ce fut une tâche ardue, épuisante, que la sienne. Il avait à surveiller les côtes sur une distance de quinze à vingt milles, ce qui l'obligeait à diviser ses forces par petits détachements et lui imposait, à lui et à ses partisans, une pénible corvée d'incessante vigi- lance et de marches sans fin. Murray, ayant opéré une descente à la Pointe-aux-Trembles, fut repoussé avec perte. Il tenta l'aventure dans un autre endroit où, avant même démettre pied à terre, il tomba dans une embuscade de Canadiens, qui remplirent ses premiers canots de morts et de blessés. Une troisième tentative lui réussit mieux; il débarqua à Deschambault, y brûla un bâtiment spacieux rempli de marchandises et des équipages des officiers de l'armée française. Ce coup de main causa de telles alarmes que Mont- calm accourut de Beauport pour prendre le comman- dement en personne ; mais à son arrivée les Anglais étaient repartis.

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Vaudreuil comprit alors l'erreur qu'il avait commise en envoyant les frégates françaises dans le haut du fleuve, hors de la zone périlleuse, et en en détachant les équipages pour le service des batteries de Québec. Les vaisseaux restés sur les lieux eussent pu s'emparer de ceux de l'ennemi en détail, au fur et à mesure qu'ils passaient devant la ville. On tenta de réparer cette bévue. Les marins furent renvoyés à leurs bords, pour attaquer l'escadre de Holmes. Il était trop tard. Holmes était déjà trop fort pour eux, et on les rappela. Tout de même, les difficultés auxquelles les Anglais avaient à faire face paraissaient encore insurmontables. La dysenterie et la fièvre éclatèrent dans leur camp, réduisant nota- blement l'effectif disponible, et comme la saison avançait, tout leur disait d'agir promptement, sous peine de n'aboutir à rien du tout.

D'autre part, la détresse des Français s'aggravait de jour en jour. Leur armée était à la petite ration. Les opérations des Anglais à l'ouest de la ville jetaient le découragement dans le camp de Beauport, car les troupes de même que les Canadiens craignaient de se voir couper les vivres, lesquelles étaient entiè- rement tirées du district de Trois-Rivières et de Montréal. Le danger était grand dans tous les cas, car, lorsque les vivres étaient convoyées de nuit par eau, elles couraient risque d'être interceptées, et d'un autre côté il était très difficile de les transporter par terre, à cause de la rareté des chevaux et bêtes de somme. La discipline se relâchait, le désordre et le pillage se généralisaient, et les Canadiens désertaient si vite que vers la fin d'août il en partait une couple

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de cents, dit-on, en une seule nuit. Au commencement du mois, on avait reçu de désolantes nouvelles de Ticonderoga et de la Pointe de la Couronne : retraite de Bourlamaque, prise de Niagara, perspective de voir Amherst marcher sur Montréal. C'est alors que Lévis fut dépêché sur la scène du danger ; son départ affaiblit déplorablement Québec. Vers le même temps, la Basse- Ville fut de nouveau mise en feu par les batteries anglaises, et cent soixante-sept maisons furent consumées en une nuit. Au premier plan de la Haute-Ville, presque chaque immeuble était en ruines. A l'Hôpital Général, qui était assez loin pour échapper au bombardement, les granges, hangars, greniers, la chapelle elle-même, étaient encombrés de malades et de blessés, de femmes et d'enfants venus de la ville, ainsi que de religieuses Ursulines et de l'Hôtel-Dieu qui s'y étaient réfugiés. L'évêque Pontbriand, bien qu'atteint de maladie mortelle, venait presque tous les jours, du presbytère du curé de Charlesbourg il s'était réfugié, visiter et consoler ces malheureux.

Vers la fin d'août, l'horizon s'éclaircit de nouveau. On apprit qu' Amherst ne marchait pas sur Montréal, et Bourlamaque mandait que sa position à l'Ile-aux- Noix était imprenable. Le 27, un déserteur de l'armée de Wolfe apportait l'assurance que l'ennemi déses- pérait de réussir et repartirait bientôt pour ses foyers ; ce que semblaient confirmer certains mouvements dans le camp et la flotte anglaise. Vaudreuil respira plus à l'aise, et l'espoir et la confiance renaquirent dans l'armée de Beauport.

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Dans l'intervalle, un gros nuage vint assombrir l'armée anglaise. Depuis le commencement du siège, Wolfe s'était multiplié, allant sans cesse d'un camp à l'autre, aiguillonnant le zèle des troupes, observant tout, voyant à tout ; mais depuis peu ce grand jeune homme pâle et maigre n'avait plus reparu ; le bruit se répandit que le général était dangereusement malade. La vérité est qu'il avait été repris d'une attaque de la maladie qui le minait depuis un certain temps ; la fièvre s'était mise de la partie. Ses quartiers étaient dans une maison d'habitant, au camp de Montmorenci ; là, dans une chambre de l'étage supérieur, il restait inerte sur son lit, et rien ne ressemblait moins à un héros que cet homme aux traits singuliers et si peu guerriers, convulsés par la souffrance physique. Mais, de même que l'aiguille aimantée frissonne, mais cherche toujours le pôle, ainsi, à travers les tortures, les langueurs et les ardeurs de la fièvre, la pensée de Wolfe ne perdait pas de vue son idée fixe, la prise de Québec. Sa maladie, qui avait commencé avant le 20 août, avait si bien perdu de son intensité le 25 que Knox écrivait dans son journal à cette dernière date : "Son Excellence le général Wolfe est en bonne voie de guérison, à l'exprimable joie de toute l'armée." Le 29, il était en état d'écrire ou de dicter la lettre suivante aux trois brigadiers Monckton, Townshend et Murray : "Afin que le service ne souffre point de l'indisposition du général, il prie les brigadiers de se réunir et de se concerter pour le bien et l'avantage de tous, et de délibérer sur la meilleure méthode à adopter pour attaquer l'ennemi." La lettre proposait trois plans, tous audacieux jusqu'à la témérité. Le

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premier consistait à envoyer une partie de l'armée traverser le Montmorenci à gué à huit ou neuf milles de son embouchure, marcher à travers bois et tomber sur les derrières de l'armée française à Beauport, pendant que le reste débarquerait et attaquerait de front. Le deuxième était de franchir la rivière Mont- morenci à son embouchure et de suivre la grève sous les retranchements français jusqu'à ce qu'on eût trouvé un endroit favorable pour escalader la hauteur. Le troisième proposait un assaut général en bateaux par les battures de Beauport. Wolfe avait antérieu- rement caressé deux autres projets, dont l'un consis- tait à escalader les hauteurs à Saint-Michel, à une lieue environ en amont de Québec ; mais il avait rejeté l'idée dès qu'il eût appris que les Français étaient en force pour le recevoir. L'autre plan con- sistait à prendre la Basse-Ville d'assaut ; il avait aussi abandonné celui-là, parceque la Haute-Ville, qui commandait la position, n'en resterait pas moins inaccessible.

Les brigadiers se réunirent en consultation et rejetèrent les trois plans énoncés dans la lettre de Wolfe, suggérant de préférence de tenter un effort pour prendre position sur la rive nord au-dessus de la ville, de manière à placer l'armée entre Montcalm et sa base de ravitaillement et à le forcer ainsi à se battre ou à se rendre. La proposition ressemblait au projet d'attaque par les hauteurs de Saint-Michel. Elle était désespérée en apparence, mais il en était de même de toutes les autres, et si par bonheur le succès la couronnait, on en tirerait beaucoup plus de

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profit que d'aucun autre coup de main en bas de la ville. Wolfe l'accepta d'emblée.

Non qu'il y vît beaucoup à espérer. Il savait que toutes les chances étaient contre lui. Les déceptions passées, les noires perspectives d'avenir, l'épuisement physique causé par la maladie ; des tracas et des fatigues, suivant l'expression de Burke, "au-dessus des forces d'un organisme délicat et d'un corps trop débile pour l'âme robuste et intrépide qu'il contenait'': tout cela le plongeait par moments dans de profonds marasmes. Ses intimes lui entendaient dire qu'il ne voulait pas s'en retourner défait, "s'exposant par à la censure et aux récriminations d'une ignare populace." Dans d'autres moments, il se reprochait de sacrifier oe qui restait de son armée décimée dans une vaine obstination contre des impossibilités trop manifestes. Mais, une fois son plan finalement arrêté, il n'en voulut plus démordre. Sa seule crainte était de ne pas pouvoir commander ses troupes en personne. "Je sais parfaitement bien que vous ne pouvez me guérir, disait-il à son médecin ; mais mettez-moi seulement sur pied pour quelques jours, que je ne souffre pas trop, et que je sois en état de vaquer à mes devoirs : c'est tout ce que je demande."

Wolfe avait écrit une dépêche à Pitt, dans laquelle l'amiral Saunders trouvait qu'on faisait une part trop large à la flotte dans le désastre de Mont- morenci. L'amiral lui avait envoyé à ce sujet une lettre, que le major Barré avait cachée au malade tant que la fièvre ne l'eut pas quitté. Wolfe y répondit par une longue épître, trahissant le combat de découragement et de ferme résolution qui se livrait

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en lui. Tout en admettant la justesse des représen- tations de Saunders, il ajoutait : * baissons de côté cette partie de ma lettre à M. Pitt à laquelle vous prenez exception. J'ai conscience de mes erreurs dans cette campagne, je vois clairement j'ai manqué ; un peu plus ou un peu moins de blâme sur la tête d'un homme qui est fatalement ruiné, cela ne tire guère à conséquence. Aussi assumé-je sur mes propres épaules tout le blâme de cette malheureuse journée ; et je m'attends à en porter les conséquences. '' Puis, revenant à son nouveau plan d'attaque au- dessus de Québec, il ajoutait tristement : 4< Mon misérable état de santé m'empêche de me charger moi-même de l'affaire, dont la nature est trop désespérée pour que je donne à d'autres l'ordre de l'exécuter.'5 Il n'en indique pas moins la direction à suivre : "Il faudra passer autant de petits vaisseaux que possible au-delà de la ville, avec assez de vivres pour nourrir environ 5,000 hommes pendant six semaines ; c'est toute la force que j'entends prendre avec moi. J'espère que mes lettres seront prêtes demain, et que j'aurai la force de conduire ces hommes quelque part nous rencontrerons l'ennemi."

Le jour suivant, le dernier d'août, il pouvait quitter la maison pour la première fois. C'est ce même jour qu'il écrit sa dernière lettre à sa mère : "Le fait de vous écrire, disait-il, vous prouvera que je n'ai d'autre mal que celui de la défaite et du désappointement. L'ennemi ne risque rien au dehors, et de mon côté je ne puis en conscience exposer toute mon armée. Mon antagoniste s'est sagement confiné

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derrière des retranchements inabordables, de sorte qu'il m'est impossible d'arriver à lui sans faire couler des torrents de sang, peut-être sans grand résultat. Le marquis de Montcalm est à la tête d'un grand nombre de mauvais combattants, tandis que je suis à la tête d'un petit nombre de bons soldats, qui ne demanderaient pas mieux que de se mesurer avec lui : mais le rusé gaillard évite l'action, tant il doute de la valeur de son armée. Il faut être du métier pour se rendre compte des désavantages et des difficultés de notre tâche, résultat de la singulière force naturelle du pays."

Le 2 septembre, un navire partait pour l'Angle- terre avec sa dernière dépêche à Pitt, qui débutait en ces termes : "Les obstacles auxquels nous avons eu à faire face dans les opérations de cette campagne sont beaucoup plus grands que nous n'avions raison d'attendre ou que nous ne pouvions le prévoir ; non pas tant par la force numérique de l'ennemi (encore qu'elle soit supérieure à la nôtre) que de la force naturelle du pays, sur laquelle le marquis de Mont- calm semble sagement se fier.

"Lorsque j'eus appris que des secours de toute espèce avaient été jetés dans Québec, que cinq bataillons de troupes réglées, renforcés des meilleurs habitants du pays, de quelques-unes des troupes de la colonie, de tous les Canadiens en état de porter les armes, sans compter plusieurs nations de Sauvages, étaient entrés en campagne et avaient pris une position des plus avantageuses, je ne pouvais plus espérer réduire la place. J'ai tout de même recherché l'occasion d'attaquer cette armée, sachant bien

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qu'avec mes troupes j'étais en position de combattre, et espérant qu'une victoire disperserait l'ennemi." Puis, après une narration très lucide des événements de la campagne : " Je me suis vu si malade, et suis encore dans un tel état de faiblesse, que j'ai prié les principaux officiers de se consulter pour l'utilité générale. Tous sont d'avis qu'ayant maintenant réussi à faire passer au-dessus de la ville plus de vaisseaux et de ravitaillements, on devrait tenter, en y transportant un corps de quatre ou cinq mille hommes (ce qui est à peu près le gros de l'armée en laissant la Pointe de Lévis et Orléans en état con- venable de défense), de faire sortir l'ennemi de sa présente position et de le forcer ainsi à l'action. J'ai acquiescé à cette proposition, et nous nous apprêtons à la mettre à exécution." La lettre se termine ainsi : 4 * Vous verrez, par la liste des officiers mis hors de combat, dont bon nombre sont de haut rang, que l'armée est notablement affaiblie. La configuration du fleuve est telle que la plus formidable partie de notre armement se trouve réduite à l'inaction, et cependant nous avons contre nous presque toutes les forces du Canada. Cette situation forme un tel ensemble de difficultés que j'avoue presque m'y perdre. Je sais que les affaires de la Grande-Bre- tagne exigent les mesures les plus énergiques ; mais le courage d'une poignée de braves soldats ne doit être mis à contribution que lorsqu'il y a quelque chance de succès. Vous pouvez cependant rester assuré que le peu de temps qui reste pour cette campagne sera employé, en autant que je le pourrai, à l'honneur de Sa Majesté et pour le plus grand bien

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de la nation, en quoi je suis sûr d'être bien secondé par l'amiral et par les généraux, heureux si nos efforts en ce pays peuvent contribuer au succès des armes de Sa Majesté dans d'autres parties de l'Amérique."

Peu de jours après, il écrivait au comte de Holdernesse : " Le marquis de Montcalm a un nombreux corps d'hommes armés (je ne puis appeler cela une armée), et peut-être la plus forte place du monde. Notre flotte bloque le fleuve en amont et en aval de la ville, sans pouvoir cependant seconder d'aucune manière un assaut sur l'armée canadienne. Nous sommes ici en ce moment (au large du Cap Rouge), avec environ 3,600 hommes, guettant le moment d'attaquer à l'heure et à l'endroit nous pourrons le plus facilement arriver à eux. Je suis assez remis pour m'occuper des affaires ; mais ma constitution n'en est pas moins ruinée de fond en comble, sans la consolation d'avoir pu rendre quelque service notable à l'Etat, sans même l'espoir de pouvoir le faire." Il venait justement d'apprendre, par une lettre d'Amherst, apportée par Penseigne Hutchins, qu'il ne devait attendre aucun secours de ce côté.

Peut-être était-il aussi près du désespoir que pouvait l'être une nature aussi fortement trempée que la sienne. Dans cet état d'âme et de corps, c'était un héros, moins la flamme et l'enthousiasme de l'héroïsme. Il ne caressait plus d'illusions, mais voyait venir, sans sourciller, l'heure fatale. Il semble qu'à partir de ce moment rien ne le surexcita plus. La langueur causée par la maladie, les apparences

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décourageantes de l'entreprise, la grandeur même de la partie qui allait se jouer, tout cela put concourir à sa torpeur. Toute son énergie était absorbée par deux idées fixes : soutenir jusqu'au bout ses forces chan- celantes, consommer quelque fait d'armes désespéré.

Tout audacieux qu'il fût, on ne saurait dire que son plan fût téméraire, si l'on accepte sur ce point le témoig-nage de deux écrivains bien renseignés du côté français. Ces autorités rapportent que le 10 septembre les commandants de la marine anglaise tinrent conseil sur le vaisseau amiral, et qu'il y fut résolu que, vu la saison avancée, la flotte quitterait Québec sans plus de retard. Ils ajoutent que là-dessus Wolfe alla trouver l'amiral, lui représenta qu'il avait trouvé un endroit la côte pouvait être escaladée, qu'il y enverrait un piquet de cent cinquante hommes pour sonder le terrain, et que, si ces éclaireurs pou- vaient atteindre le sommet, les troupes les suivraient; que d'un autre côté, si les Français s'y trouvaient en force pour barrer le passage, il s'engageait à ne plus insister à sacrifier l'armée en tentatives stériles, et la ferait rembarqner pour rentrer au pays, ayant au moins la consolation d'avoir tenté tout ce qui pouvait l'être humainement. Sur quoi, conclut la chronique, l'amiral et ses officiers consentirent à attendre le résultat de ce dernier effort, (i)

Ainsi que Wolfe en avait informé Pitt, son

[i] Ce récit est fait par le chevalier Johnstone, et corroboré avec quelque variante par l'auteur du précieux journal tenu à l'Armée que commandait feu M. le Marquis de Mo?itcalm. Bigot rapporte qu'après la bataille dee officiers anglais lui dirent que Wolfe n'entendait risquer qu'une avant-garde de deux eents hommes, et devait se rembarquer s'ils étaient repoussés.

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armée était fort affaiblie* Depuis fin juin, ses pertes en tués et blessés dépassaient 850 hommes, y compris deux colonels, deux majors, dix-neuf capitaines et trente-quatre subalternes ; à quoi il fallait ajouter un plus grand nombre encore, invalidés par la maladie.

L'escadre de l'amiral Saunders au-dessus de Québec s'élevait alors à vingt-deux vaisseaux de tout tonnage. L'un des derniers venus était un minuscule schooner, armée de pierriers, qu'on avait plaisam- ment baptisé "Terror of France." Il avait passé devant la ville en plein jour, à la barbe des Français qui, furieux d'une telle impertinence, avaient tiré sur lui de toutes leurs batteries ; il n'eut pas cependant le moindre mal, et alla s'embosser près du vaisseau amiral qu'il salua triomphalement du feu de ses pierriers.

Le premier pas de Wolfe vers l'exécution de son plan fut l'évacuation du camp de Montmorenci, opération délicate qui se fit le 3 septembre. Montcalm dépêcha un gros détachement pour tomber sur l'arrière-garde anglaise en retraite. Monckton, qui vit le mouvement de la Pointe de Lévis, embarqua deux bataillons dans les chaloupes de la flotte et fit mine de tenter une descente à Beauport.

Montcalm ramena ses troupes pour repousser cette attaque, qui n'était qu'une feinte, et les Anglais purent quitter Montmorenci sans être inquiétés et gagner, les uns la Pointe d'Orléans, les autres la Pointe de Lévis. Le soir du 4, une flotte de bateaux plats passa au-dessus de la ville avec des bagages et des vivres. Le 5, Murray, avec 4 bataillons, longeait la rivière Etchemin, qu'il traversa à gué sous le feu

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animé des batteries françaises de Sillery. Monckton et Townshend suivirent aveG trois autres bataillons, et toutes ces forces réunies, environ 3,600 hommes, furent embarquées sur les vaisseaux de Holmes, Wolfe les rejoignit le même soir.

Ce mouvement des Anglais provoqua chez les commandants français un mélange de perplexité, d'inquiétude et d'espérance. Un déserteur leur avait rapporté que l'amiral Saunders brûlait de s'en aller. Vaudreuil devint de plus en plus confiant. "La levée du camp de Montmorenci, dit-il, l'abandon des retranchements qu'on y avait construits, le départ des troupes campées sur la rive sud et leur embar- quement à bord des vaisseaux mouillés en amont de la ville, les allées et venues de ces vaisseaux, l'enlè- vement des plus grosses pièces d'artillerie des batteries de la Pointe de Lévis : tout cela, étant donné la saison avancée, concourait à faire prévoir le prochain départ de la flotte, quelques-uns des vaisseaux étant déjà partis pour le bas du fleuve. Les prisonniers et les déserteurs qui arrivaient chaque jour nous rapportaient que c'était le bruit courant dans leur armée." Le 1er septembre, il écrivait à Bourlamaque : "Tout fait voir que le grand projet des Anglais est tombé à Peau."

Sa vigilance ne demeura pas moins incessante. De même pour Montcalm ; lui aussi, le soir du 2, dérobait un moment pour écrire à Bourlamaque de ses quartiers dans la maison de pierre près de la rivière Beauport : "La nuit est noire ; il pleut, nos troupes sont sous la tente tout habillées, prêtes pour les alertes ; je suis botté ; mes chevaux sellés.

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Comme à l'ordinaire, du reste. Je voudrais vous voir ici, car je ne puis être partout, bien que je me mul- tiplie ; je ne me suis pas déshabillé depuis le 23 juin." Le 1 1 septembre, il adresse sa dernière lettre à Bourlamaque, probablement les dernières lignes qu'ait tracées sa plume : "Je suis accablé d'ouvrage, et comme vous je perdrais souvent patience, si je ne me souvenais que l'Europe me paie pour me contenir. Rien de nouveau depuis ma dernière. Je donne à l'ennemi un mois de plus, ou même moins, à rester ici." Encore plus confiant, Vaudreuil leur donnait à peine la semaine. (1)

Dans l'intervalle, on ne négligeait aucune pré- caution. Les forces sous les ordres de Bougainville au-dessus de Québec étaient portées à 3,000 hommes. Il avait ordre de surveiller la rive jusqu'à Jacques- Cartier, et de suivre avec le gros de son corps d'armée les moindres mouvements de l'escadre de Holmes. Il y avait peu à craindre pour les hauteurs dans le voisinage de la ville ; elles passaient pour inaccessibles. (2)

Montcalm lui-même les croyait absolument sûres ; peu de temps auparavant, il avait exprimé cette opinion. "Nous ne pouvons supposer, écrivait-il à Vaudreuil, que l'ennemi ait des ailes" ; puis, dési- gnant l'endroit même Wolfe devait bientôt débarquer : "Je vous assure qu'une centaine d'hom- mes postés arrêterait toute leur armée.'' (3) Il

[1] Vaudreuil au ministre, 5 octobre 1759.

[2] Journal du siège [Bibl. de Hartwell]. Journal tenu à l'Armée, etc. Vaudreuil au ministre, 5 octobre 1759. [3] Pontbriand, jugement impartial.

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avait raison ; une centaine d'hommes vigilants et déterminés auraient pu défendre la position jusqu'à l'arrivée des renforts.

Les cent hommes étaient là. Le capitaine de Verg*or, des troupes coloniales, les commandait, et les renforts étaient à portée de signaux, car le bataillon de Guienne avait reçu ordre de camper tout près de là, sur les Plaines d'Abraham, (i) Le poste de Vergor, appelé Anse du Foulon, était à un mille et demi de Québec. Un peu plus loin, sur la cime des falaises, était un autre poste appelé Samos, et gardé par soixante-dix hommes, aussi avec du canon. (2) C'étaient les postes avancés de Bougainville, dont les quartiers généraux étaient au Cap Rouge, à six milles au delà de Sillery, et dont les troupes étaient sans cesse en mouvement le long de la côte intermédiaire. Il y avait donc bonne garde partout, car les Français, tout en ayant le ferme espoir d'être bientôt débarrassés de l'ennemi, comprenaient qu'il n'y aurait de sûreté pour eux que lorsque les tentes de l'envahisseur auraient disparu de leurs côtes et ses vaisseaux de leur fleuve. "Ce que nous connais- sions, dit l'un deux, du caractère de M. Wolfe, ce soldat impétueux, hardi et intrépide, nous faisait prévoir qu'il ne partirait point sans tenter un suprême effort.' '

Dans la soirée du 4 septembre, Wolfe avait été très malade. Les troupes l'avaient su, et cela les avait démoralisées ; mais après une nuit souffrante, il avait repris le dessus, et était bientôt revenu au

[1] Montcalm à Vaudreuil, 27 juillet, Ibid,, 29 juillet 1759. [2] Foligny, journal mémoratif. Journal tenu à l'Armée, etc.

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milieu d'elles, rallumant leur courage, s' efforçant de leur communiquer l'enthousiasme qui était loin de son cœur. Pour lui-même, il était sans pitié ; mais, ayant appris que deux des officiers d'un des vaisseaux étaient tombés malades, il leur envoya un message sympathique, leur conseillant de retourner à la Pointe de Lévis, leur offrant sa propre chaloupe et une escorte. Ils le remercièrent, et lui firent répondre que, quoi qu'il arrivât, ils resteraient à leur poste jusqu'au bout. Un autre officier ayant fait remarquer en sa présence qu'un des invalides était d'une constitution très délicate : "Ne me parlez pas de constitution, dit Wolfe ; il a la tête bonne, et avec cela un homme peut passer au travers de tout.'' (i) C'est cette force morale, colossale chez lui, qui soutenait son propre organisme, chétif et frêle, et le stimulait au travail. Vers ce temps-là, le major Stobo, qui cinq ans auparavant avait été livré en otage aux Français à la prise du Fort Nécessité, était arrivé sur un vais- seau d'Halifax. Ayant été pendant longtemps prisonnier à Québec, il avait souvent joui d'une liberté relative, il en avait profité pour explorer le voisinage de la ville. Au printemps de cette même année, lui et un officier de "rangers," du nom de Stevens, avaient réussi à s'évader par un coup d'audace vraiment remarquable ; il revenait mainte- nant parmi ses compatriotes, qu'il allait faire bénéficier de sa connaissance des lieux. (2) Son biographe dit que c'est lui qui guida Wolfe dans le

[1] Knox, ii, 61, 65.

[2] Lettre au Boston Post Boy, No, 67, et au Boston Erening Post No. 1258.

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choix de l'endroit du débarquement, (i) Quoi qu'il en soit, Wolfe explora la rive du fleuve jusqu'à la Pointe-aux-Trembles, jusqu'à ce qu'un jour, étant descendu à terre sur la rive à une petite distance au-dessus de la ville, en promenant sa lunette sur la rive d'en face, il remarqua un sentier tracé en pente douce sur le flanc de la colline boisée et au sommet vit un groupement de tentes : c'était le corps de garde de Vergor, à l'endroit aujourd'hui appelé Wolfe's Cove. Comme il ne pouvait compter que dix ou douze tentes, il conclut que la garde ne devait pas être nombreuse et qu'on en viendrait aisément à bout. Il aurait été encore plus sûr de son fak s'il eût su que Vergor avait antérieurement subi un procès pour mauvaise conduite et lâcheté à la capitulation de Beauséjour, et n'avait échappé à une disgrâce bien méritée que grâce à l'amitié de Bigot et à la protection de Vaudreuil.

Dans la matinée du 7, par un beau temps chaud, les vaisseaux de Holmes, gaiement tapissés d'uni- formes écarlates, remontèrent le fleuve à la voile jusqu'au Cap Rouge. Un spectacle animé les y attendait, car c'était que Bougainville avait ses quartiers généraux et que campait le gros de ses troupes, tandis que le reste faisait le guet en amont et en aval. La baie dans laquelle vient se perdre la minuscule rivière était garnie de batteries flottantes, la rive aux alentours protégée par des parapets, et sur les hauteurs à l'arrière-plan, on pouvait voir aller et venir, très affairés, une multitude de soldats

[1] Memoirs of Major Robert Stobo. Curieux, mais souvent inexact.

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réguliers, de miliciens et de Canadiens à cheval, en uniformes bleus. Lorsque les vaisseaux jetèrent l'ancre, les cavaliers sautèrent à bas de leurs montures et prirent place dans les rangs de l'infanterie ; puis, poussant de grands cris, toute la troupe dégringola de la hauteur pour prendre position derrière les retranchements sur la grève. Le capitaine Knox, en vrai Breton, ayant curieusement suivi cette scène bruyante de la coupée de son vaisseau, écrivait le soir même en faisant son journal que ce tapage lui avait paru bien ridicule. "Quelle différence, dit-il, avec le soldat anglais ! Comme son traditionnel mutisme devant l'ennemi est bien plus majestueux, et l'indice de la vraie valeur !"

Dans l'après-midi, les vaisseaux ouvrirent le feu, pendant que les troupes sautaient dans les embarca- tions et ramaient de ci de comme si elles eussent cherché un endroit propice pour opérer une descente. Cette manœuvre n'était qu'une feinte de Wolfe pour mystifier Bougainville sur ses véritables desseins. Le lendemain matin, une pluie abondante fouettée par le vent d'Est se mit de la partie, et dura deux jours sans interruption. Toutes les opérations furent sus- pendues, et les troupes parquées dans les transports furent très incommodées.

Il fallut en ramener la moitié à terre du côté sud ; les hommes s'installèrent dans le village de Saint-Nicolas, ils purent se réconforter, faire sécher leurs linge, leurs havresacs et leurs couvertes.

Pendant plusieurs jours de suite, l'escadre de Holmes se laissa dériver avec le courant, dans un sens ou dans l'autre, suivant le mouvement de la

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marée, passant et repassant depuis le voisinage de Québec jusqu'à une certaine distance à l'ouest du Cap Rouge. Bougainville, très intrigué, s'attendant constamment à être attaqué, allait et venait le long des côtes, suivant la marche des vaisseaux, jour et nuit, jusqu'à ce que ses hommes fussent littéralement épuisés de ces incessantes marches forcées, (i)

Enfin, le moment d'agir arriva. Le mercredi 12, les troupes cantonnées à Saint-Nicolas se rembar- quèrent de nouveau, et tous reçurent ordre de se tenir prêts. Du vaisseau -amiral le "Sutherland," Wolfe lança ses derniers ordres. "Les forces ennemies sont maintenant divisées, il y a rareté de vivres dans leur camp, et mécontentement général parmi les Canadiens. Nos troupes d'en bas sont prêtes à nous joindre, toute l'artillerie légère avec ses accessoires a été embarquée à la Pointe de Lévis, et les troupes descendront à terre à l'endroit les Français semblent le moins s'y attendre. Le premier corps qui atteindra le rivage marchera droit à l'ennemi et le délogera de chaque petit poste qu'il pourrait occuper ; les officiers auront l'œil à ce que les troupes qui suivront ne commettent pas l'erreur de tirer sur celles qui les précèdent. Sur la hauteur, les bataillons se formeront rapidement et devront être prêts à charger tout ce qui se présentera. Lorsque l'artillerie et les troupes auront mis pied à terre, un corps sera laissé au débarcadère pour garder la position, pendant que le reste marchera et provo- quera les Canadiens et les Français au combat. Officiers et soldats se rappelleront ce que leur pays

[1] Joannès, major de Québec, Mémoire sur la campagne de 1759.

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attend d'eux et ce qu'un corps de soldats déterminés et aguerris peut faire contre cinq faibles bataillons français mêlés à une bande de paysans indisciplinés."

L'esprit qui animait l'armée correspondait à celui de son chef. Les soldats aimaient et admiraient leur général, avaient pleine confiance en leurs officiers, étaient prêts à tout. "Eh quoi ! comment pouvait- il eu être autrement, demande naïvement le brave sergent John Johnson, du 58e régiment, puisque nous marchions sur les traces de gentilshommes qui, comme leur général, n'avaient d'autre objet en vue que la gloire ? Nous les avions vus à l'épreuve, et les avions toujours trouvés francs comme l'épée du roi. Nous savions qu'ils resteraient avec nous jusqu'à la dernière extrémité."

Wolfe avait avec lui 3,600 hommes et officiers à bord des vaisseaux de Holmes : il envoya au colonel Burton à la Pointe de Lévis l'ordre d'amener comme renfort tout ce qui pouvait être détaché de cette place et de la pointe d'Orléans. Ces troupes devaient se mettre en marche le long de la rive sud après la chute du jour et attendre de nouveaux ordres sur un point de la côte propice à l'embarquement. Leur force numérique était d'environ 1,200 hommes, de sorte que la force entière destinée à l'entreprise était d'au plus 4,800 hommes. C'est avec cela que Wolfe enten- dait escalader les hauteurs d'Abraham à la barbe d'un effectif ennemi qui, bien que considérablement réduit, était encore deux fois nombreux comme le corps d'attaque. (2)

[2] Y compris le corps de Bougainville. Un prisonnier évadé avait dit à Wolfe, quelques jours auparavant, que Montcalm était encore à la tête de 1,000 hommes. .Journal cV "une expédition par le fleuve Saint-

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L'amiral Saunders restait en rade de Québec avec le gros de la flotte. Cet excellent officier, quelles que pussent être ses vues quant à la nécessité d'un départ précipité, seconda Wolfe jusqu'au bout avec une énergie et un zèle inaltérables. Il était convenu entre eux que, tandis que le général ferait le véritable assaut, l'amiral engagerait l'attention de Montcalm par une feinte. Aux approches de la nuit, la flotte vint se ranger le long du rivage de Beauport ; les chaloupes de bord furent mises à l'eau et se rempli- rent de matelots, de gabiers, et des quelques hommes de troupe qui étaient restés en arrière ; en même temps les vaisseaux échangeaient entre eux force signaux, les canons lançaient des éclairs et du ton- nerre, et les boulets labouraient la grève comme pour frayer le chemin à une descente. Dans les ténèbres du soir, tout cela était d'un effet imposant. Montcalm fut complètement dérouté ; persuadé que les mouve- ments de l'ennemi au-dessus de la ville n'étaient qu'une feinte, que le gros des forces anglaises était resté en bas de la ville et que c'était ici que viendrait la véritable attaque, il massa ses troupes devant Beau- port pour repousser la tentative de débarquement à laquelle il s'attendait. Mais, tandis que du côté de la flotte de Saunders tout était vacarme et menace, le danger était à dix milles de là, à l'endroit l'escadre de Holmes restait tranquille et muette à son mouillage au large de Cap Rouge.

Laurent. Ce chiffre ne comprenait que la force en ville et dans le camp de Beauport. Je ne crois pas, écrivait Wolfe au colonel Burton le 10, que toute leur armée atteigne ce> nombre. Il savait cependant que, si Montcalm pouvait concentrer toutes ses troupes, les Français seraient plus de deux contre un contre lui.

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Elle était moins oalme qu'elle ne le paraissait. Tous à bord savaient que cette nuit même on frap- perait un coup, bien que quelques-uns des principaux officiers fussent seuls à savoir où. Le colonel Howe, de l'infanterie légère, demanda des hommes de bonne volonté pour diriger la mystérieuse et aventureuse expédition, leur promettant ce sont les propres paroles de l'un deux que "si l'un de nous en revient nous pourrons compter d'être cités au général." (1) Le nombre requis vingt-quatre en tout fut bientôt trouvé. Trente grands bateaux et quelques chaloupes appartenant à l'escadre étaient amarrés le long des navires ; tard dans la soirée, les troupes reçurent ordre de s'y embarquer, les vingt-quatre volontaires prenant place dans les premières embarcations. Cette flottille logea en tout environ dix-sept cents hommes. Le reste demeuna à bord.

Bougainville pouvait discerner le mouvement, mais s'y trompa, croyant que l'attaque se ferait de son côté. La marée montait encore et, pour mieux lui donner le change, les vaisseaux et chaloupes se laissèrent dériver avec la marée montante sur une petite distance, comme pour préparer un débarque- ment au-dessus de Cap-Rouge.

La journée avait été heureuse pour Wolfe. Deux déserteurs venus du camp de Bougainville avaient rapporté que la nuit suivante, à l'heure du reflux, l'officier français devait expédier un convoi de vivres à Montcalm. Les besoins du camp de

[1] Jotirnal of the Pariicular Transactions dur ing the Siège of Québec, L'auteur, un soldat de l'infanterie légère, dit avoir été l'un des huit pre- miers à répondre à l'appel.

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Beauport et les difficultés de transport par terre avaient forcé les Français à recourir à ce périlleux mode de ravitaillement, et leurs berges avaient jusque-là généralement réussi à passer impunément au fil de l'eau à la faveur des ténèbres de la nuit, se glissant dans l'ombre des falaises de la rive nord. Wolfe ne fut pas lent à saisir la précieuse importance du renseignement que lui apportaient les déserteurs ; il n'avait qu'à faire prendre à ses bateaux de quelque avance sur le convoi en question.

Il était resté à bord du "Sutherland." Tous les préparatifs étaient accomplis, tous les ordres donnés, il n'y avait plus qu'à attendre le retour de la marée. Assis avec lui dans la cabine, était le commandant du sloop de guerre le " Porcupine," son ancien camarade de classe, John Jervis, plus tard comte Saint-Vincent. Wolfe lui confia qu'il s'attendait à mourir dans la bataille du lendemain et, tirant de son sein une miniature de sa fiancée Miss Lowther, il la remit à son ami, en lui faisant promettre, si ses pressentiments se réalisaient, d'aller rendre le portrait à la jeune personne elle-même, (i)

Sur les deux heures de nuit, le reflux commença, et un vent frais s'éleva dans le sens du|courant. Deux lanternes furent hissées au grand mât du "Sutherland." C'était le signal convenu ; les bateaux furent détachés et s'éloignèrent avec le courant, ceux de l'infanterie légère prenant les devants. Les vais- seaux, avec le reste des troupes, avaient ordre de suivre un peu plus tard.

[r] Tucker, Life of Earl St. Vincent, i, 19. Londres, 1844.

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Examinons un instant à quels fils tenait le dénouement de cette audacieuse aventure. D'abord, Wolfe savait par les déserteurs que des bateaux de vivres avaient ordre de descendre à Québec cette nuit-là ; deuxièmement, Bougainville, avait contre- mandé le convoi ; troisièmement, les sentinelles apos- tées le long des hauteurs avaient été prévenues de l'expédition du convoi, mais non du contre-ordre (1) ; quatrièmement, Vergor à l'Anse du Foulon avait permis à la plupart de ses hommes, en grande partie des Canadiens de Lorette, de retourner chez eux pour vaquer à leurs récoltes, à condition, dit-on, qu'ils iraient ensuite travailler dans un champ voisin, qui lui appartenait (2) ; cinquièmement, il faisait mauvaise garde, et se mit tranquillement au lit ; sixièmement, le bataillon de Guienne, qui avait reçu ordre de prendre position sur les Plaines d'Abraham, était, pour des raisons qui sont restées inexpliquées, demeuré campé sur les bords de la rivière Saint- Charles (3) ; enfin, lorsque Bougainville vit les vais- seaux de Holmes descendre le courant à la dérive, il ne crut pas devoir imposera ses troupes accablées de fatigue la tâche de les suivre, croyant qu'ils revien- draient comme de coutume à la marée suivante. (4) Sans cet enchaînement de circonstances, la Nouvelle- France aurait pu subsister un peu plus longtemps, et le stérile héroïsme de Wolfe se serait perdu, comme bien d'autres, dans l'oubli.

[1] Journal tenu à V Armée, etc.

[2] Mémoires sur le Canada, 1749- 1760.

[3] Foligny, Journal mémo} atif. Joui-nal tenu à V Armée \ etc.

[4] Joknstone, Dialogue. Vaudreuil au ministre, 5 octobre 1759.

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Pendant deux bonnes heures, la silencieuse procession de bateaux se laissa entraîner par le courant du fleuve. Les étoiles étaient visibles, mais c'était une nuit sans lune et suffisamment noire. Le général était dans Tune des premières embarcations, et près de lui se trouvait un jeune aspirant de marine, John Robison, parla suite professeur de philosophie naturelle à l'Université d'Edimbourg-. Plus tard, il aimait à raconter que Wolfe, dans cette circonstance, récita d'une voix sourde, aux officiers qui l'entou- raient, l'Elégie de Gray sur un cimetière de village. Etait-ce la détente d'un esprit chargé de sombres pensées ? Le poëme renferme ce beau vers que le sort allait bientôt lui appliquer :

" The paths of glory lead but to the grave."

[Le sentier de la gloire ne conduit qu'au tombeau.]

"Messieurs, dit-il quand il eut fini de réciter Pélégie, j'aimerais encore mieux avoir écrit ces lignes que de prendre Québec." Il n'y eut personne pour lui répondre qu'un héros est plus qu'un poète.

Comme ils approchaient du but, la marée les poussa vers le rivage, et l'imposante muraille de rochers se dressa de toute sa hauteur dans l'ombre à leur gauche. Soudainement, le silence de mort fut rompu par le "Qui vive ?" aigu d'une sentinelle française, invisible dans l'épaisseur des ténèbres. "France !'' répondit un officier highlander du régi- ment de Fraser, monté sur un des bateaux de l'infanterie légère. Il avait servi en Hollande, et parlait couramment le français.

"A quel régiment?"

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"De la Reine," reprit le Montagnard. Il savait qu'une partie de ce corps était avec Bougainville. La sentinelle, croyant avoir affaire au convoi de vivres, fut sans doute satisfaite, car elle ne demanda pas le mot de passe.

Peu après, les premières chaloupes longeaient les hauteurs de Samos, lorsqu'une autre sentinelle les hêla ; on put la voir dans l'ombre accourir jusqu'au bord de l'eau, à portée de pistolet. Le même officier répondit à ses questions, en français : "Bateaux de vivres. Ne faites pas de bruit ; les Anglais pourraient nous entendre.'' (1) Effectivement, le sloop-de-guerre le "Hunter" était à l'ancre dans le courant non loin de là. Cette fois encore, la sentinelle les laissa passer. Quelques instants après, ils doublaient la pointe au-dessus de l'Anse du Foulon. Là, pas une seule sentinelle. La force du courant entraîna les chaloupes de l'infanterie légère un peu au-dessous du point elle devait débar- quer. (2) On mit pied à terre sur une grève étroite, au pied de hauteurs aussi escarpées que peut l'être une colline boisée. Les vingt-quatre volontaires prirent le devant, escaladant la cote en faisant le moins de bruit possible, suivis de près par une troupe beaucoup plus nombreuse. Une fois au sommet, apercevant dans les premières lueurs du jour un groupe de tentes à quelque distance, ils se précipitèrent dans

[1] Voir note de Sinollett, Historv of England, v. 56 [édition 1805]. Le sergent Johnson, Vaudreuil, Foligny, et le Journal of Parti cul ar Transactions font le même récit.

[2] Saunders à Pitt, 20 septembre. Journal of Sergeant Johnson. Voir Knox, ii., 67.

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cette direction. Vergor, sautant à bas de son lit, voulut prendre la fuite, mais reçut une balle au talon, et fut fait prisonnier. Ses hommes, pris par surprise, offrirent peu de résistance. Un ou deux furent faits captifs, et le reste se sauva.

Le gros des troupes attendait dans les chaloupes au bord de l'eau. La hauteur, en cet endroit, était coupée d'une grande ravine bloquée d'arbres fores- tiers, et au fond de laquelle coulait un minuscule cours d'eau appelé le ruisseau Saint-Denis, lequel, grossi par les récentes pluies, clapotait dans l'ombre silencieuse en tombant sur les cailloux. Aucun autre bruit n'arrivait à l'oreille tendue de Wolfe, si ce n'est le murmure du ressac et le son étouffé des pas de ses éclaireurs, gravissant l'escarpement à une petite distance de l'endroit il restait aux aguets. Enfin, de la hauteur arrivèrent des détonations de mous- quets, suivies de bruyants hourras, lui apprenant que ses hommes étaient maîtres de la position. L'ordre fut donné d'avancer ; les troupes sautèrent hors des chaloupes et se mirent à escalader la falaise, de-ci de-là, en s'accrochant aux arbres et aux broussailles, le mousquet sur le dos. La tradition indique encore la place, près de la bouche du ravin, les premiers atteignirent le sommet. Wolfe dit à un officier près de lui : "Vous pouvez essayer, mais je doute que vous réussissiez à arriver là-haut." Lui-même cepen- dant trouva la force de se hisser jusqu'au sommet avec les autres. L'étroit sentier tracé à pic sur le rocher avait été rendu impassable par des tranchées et des abattis ; mais tous ces obstacles eurent bientôt été renversés, et alors la montée fut assez facile. A

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la faveur des premières lueurs grises de l'aurore, la longue file d'uniformes rouges, gravissant rapide- ment la hauteur, put se former en ordre de bataille sur le plateau supérieur.

Avant que le plus grand nombre eût atteint le sommet, le canon se fit entendre à peu de distance sur leur gauche. C'était la batterie de Samos qui tirait sur les dernières chaloupes et sur les vaisseaux qui descendaient de Cap-Rouge. Un piquet fut déta- ché pour la faire taire, ce qui fut vite fait ; après quoi la batterie plus lointaine de Sillery fut à son tour attaquée et prise. A mesure que les chaloupes se vidaient, elles retournaient à la flotte pour amener les soldats restés à bord, de même que les troupes qui attendaient sur la rive d'en face sous les ordres du colonel Burton.

Le jour se leva ennuagé et menaçant la pluie. Les bataillons de Wolfe s'alignèrent le long de la cime du rocher. Pas d'ennemi en vue, bien qu'un détachement de Canadiens fût sorti de la ville, le long de la grève, dans la direction du point de débarquement, d'où on les avait bientôt fait reculer. Wolfe avait accompli une partie, non la moins critique de son entreprise ; mais ce premier succès tant désiré le mettait dans un danger imminent. D'un côté, la garnison de Québec et l'armée de Beauport ; de l'autre Bougainville. Son alternative était de vaincre ou périr ; si ces troupes réunies l'accablaient par le nombre, toute retraite lui deve- nait impossible. Nul homme ne sait quel fut son état d'âme en ce moment ; on peut dire à coup sûr tout

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de même que ni l'hésitation ni l'indécision n'y furent pour rien.

S'étant porté en avant pour reconnaître le terrain, il arriva bientôt aux Plaines d'Abraham, ainsi dénommées d'Abraham Martin, un pilote connu sous le nom de Maître Abraham, qui dans les premiers temps de la colonie avait possédé un morceau de terre en cet endroit. Les plaines étaient une vaste pelouse, généralement pas trop accidentée, coupée ça et de cultures de maïs et de massifs de buissons, et faisaient partie du plateau élevé à l'extrémité duquel se dressait Québec du côté de l'est. Du côté sud, elles étaient bornées par le versant abrupt donnant sur le fleuve ; vers le nord, par le coteau longeant la rivière Saint-Charles, ou plutôt la pkiine ce paresseux cours d'eau déroule ses anneaux comme un gigantesque reptile. A l'endroit choisi par Wolfe pour son champ de bataille, le plateau avait moins d'un mille de largeur.

C'est que les troupes arrivaient, défilant jusqu'à l'endroit choisi, évoluant ensuite à droite et à gauche pour former une ligne de bataille qui s'éten- dait sur la largeur du plateau et faisait face à la ville. La force consistait en six bataillons, plus les grena- diers détachés de Louisbourg, tout cela déployé sur trois rangs de profondeur. L'aile droite s'étendait non loin du bord escarpé qui dominait le fleuve. La gauche n'atteignait pas la crête du versant opposé, du côté de la rivière Saint-Charles ; il y avait un large espace ouvert, et par conséquent danger d'y être pris de flanc. Pour parer à cette éventualité, le Brigadier Townshend y fut aposté avec deux

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bataillons alignés à angle droit sur la ligne principale, et faisant face à la rivière Saint-Charles. Le bataillon du régiment de Webb, commandé par le colonel Burton, formait la réserve ; au 3e bataillon du Royal American fut confiée la garde du débarquement, et à l'infanterie légère de Howe l'occupation d'une forêt à une certaine distance en arrière. Wolfe, avec Monckton et Murray, avait le commandement de la ligne de front, qui allait avoir à essuyer le fort de la bataille et qui, lorsque toutes les troupes furent arrivées, comptait moins de 3,500 hommes.

Québec n'était pas à un mille de là; cependant on ne pouvait voir la ville, masquée qu'elle était par une ondulation de terrain appelée les Buttes à Nepveu, à quelque six cents pas de l'armée anglaise. A peine la première division avait-elle pris position sur les six heures du matin, cette éminence s'était soudai- nement couverte d'uniformes blancs. C'était le bataillon de Guienne, arrivant à la onzième heure de son camp près de la rivière Saint-Charles. Peu après, on avait entendu une vive fusillade en arrière. C'était un détachement du commandement de Bougainville qui attaquait une maison se trouvaient quelques hommes de l'infanterie légère. Les assaillants avaient été repoussés, et le feu avait cessé. De légères averses tombaient par intervalles, arrosant les troupes pendant qu'elles attendaient patiemment l'issue de l'aventure.

Montcalm avait passé une nuit agitée. Pendant toute la soirée, le canon des vaisseaux de Saunders avait tonné, et les chaloupes de la flotte avaient manœuvré dans l'ombre au large de Beauport, comme

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pour faire croire à une descente à terre d'un moment à l'autre.

Les troupes avaient passé la nuit derrière les retranchements, et le général, accompagné du che- valier Johnstone et du colonel Poulariez, s'était promené jusqu'à une heure du matin dans un champ voisin de ses quartiers-généraux. Johnstone dit qu'il était en proie à une vive agitation, et qu'il ne ferma pas l'œil de la nuit. Au petit jour, il entendit des coups de canon au-dessus de la ville. C'était la batterie de Samos qui tirait sur les vaisseaux anglais. Il avait alors envoyé un officier aux quartiers de Vaudreuil, qui se trouvaient plus près de la ville, avec ordre de revenir l'avertir sur-le-champ s'il y avait du nouveau. Comme l'officier ne revenait pas, il monta à cheval avec Johnstone sur les six heures, et galopa dans cette direction. A mesure qu'ils approchaient de la ville, le pays circonvoisin leur apparaissait de plus en plus nettement ; lorsqu'ils furent en face de la maison de Vaudreuil, ils purent voir, à une distance de deux milles, les lignes rouges de l'armée anglaise sur les hauteurs au-delà du Saint- Charles.

"Voici quelque chose de sérieux," dit Montcalm ; aussi renvoya-t-il Johnstone au grand galop de son cheval pour ramener les troupes du centre et de l'aile gauche du camp. Celles de la droite étaient déjà en mouvement, probablement d'après les ordres du gou- verneur. Vaudreuil sortit de chez lui, et Montcalm s'arrêta un instant pour échanger avec lui quelques mots ; puis il éperonna son cheval, et franchit le pont

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du Saint-Charles pour courir au lieu du danger. (1) Il allait avec une étrange fixité dans le regard, sans proférer une parole. (2)

L'armée suivait en aussi bon ordre que possible. Elle franchit le pont avec précipitation, contourna le rempart septentrional de Québec, elle entra par la Porte du Palais, et ses rangs pressés défilèrent en interminable procession le long des étroites et pitto- resques rues de cette ville aux allures martiales : on voyait passer des groupes de Peaux-Rouges, fiers de leurs trophées de chevelures, barbouillés de vermil- lon, avec de féroces éclairs au fond de leur regard ; les milices canadiennes, qui allaient jouer leur va- tout, religion, patrie, foyers ; les réguliers coloniaux ; les bataillons de la Vieille France, un torrent d'uniformes blancs et de baïonnettes étincelantes, La Sarre, Languedoc, Roussillon, Béarn les vain- queurs d'Oswego (Chouaguen), de William-Henry, de Ticonderoga. Ce flot humain se précipita, les uns par la Porte Saint-Louis, les autres par la Porte Saint-Jean, et se répandit dans la plaine au-delà, au pas accéléré, presque à bout d'haleine, jusqu'au bord de l'ondulation de terrain flottaient encore les couleurs de Guienne.

Montcalm fut ébahi de ce qui lui apparut alors. Il s'attendait à rencontrer un détachement, il avait une armée devant lui. Les lignes de Wolfe se déployaient bien en vue en face de lui ; à côté des rangs serrés de l'infanterie anglaise, silencieuse muraille rouge, les lignes plus mouvementées des

[1] Johnstone, Dialogue.

[2] Malartic à Bougainville, septembre 1759.

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Highlanders, agitant leurs tartans à franges et soufflant dans leurs cornemuses comme par défi. Vaudreuil n'arrivait pas ; mais on n'en sentait pas moins la néfaste influence de la division d'autorité et de la jalousie des deux commandants rivaux. Mont- calm attendit longtemps le renfort qui, d'après ses ordres, devait lui^venir de son aile gauche. Il attendit en vain. On dit que le gouverneur avait contremandé le mouvement, de peur d'un assaut des Anglais du côté de Beauport. Mais, même dans l'éventualité d'une telle attaque et eût-elle réussi, les Français auraient encore pu défier l'ennemi, si seule- ment ils avaient mis Wolfeen déroute sur les Plaines d'Abraham. La garnison de Québec ne vint pas non plus au secours de Montcalm. Celui-ci envoya demander au commandant de la place, Ramesay, les vingt-cinq pièces de campagne qui se trouvaient sur la batterie du TjPalais. Ramesay n'en voulut céder que trois, répondant qu'il avait besoin des autres pour sa propre défense. Il y eut ordres et contre- ordres, malentendus, précipitation, retards, perplexité. Montcalm tint conseil de guerre avec ses princi- paux officiers. On rapporte qu'il opina comme eux pour attaquer l'ennemi sur-le-champ. Ses détracteurs disent qu'ils craignait que Vaudreuil n'arrivât et ne prît le commandement ; mais le gouverneur n'était guère homme à accaparer les responsabilités dans un moment aussi critique. D'autres prétendent que son impétuosité naturelle aveugla son jugement, et sur ce point il faut admettre qu'il est difficile de l'exonérer. Bougainville n'était qu'à quelques milles de là, et une partie de ses troupes était beaucoup plus près ; en lui

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expédiant un émissaire par le chemin de l'Ancienne Lorette, on pouvait l'atteindre en une heure et demie au plus, et concerter avec lui une double attaque de front et par derrière. De plus, si Montcalm avait pu s'entendre avec Vaudreuil, il aurait pu avoir un renfort de deux à trois mille hommes tirés de la ville et du camp de Beauport ; mais il s'était mis en tête qu'il n'y avait pas un instant à perdre, et que Wolfe lui-même aurait bientôt du renfort, ce qui était pour- tant impossible ; il croyait aussi les Anglais en train de se fortifier, ce qui était encore une erreur. On lui a reproché, non seulement d'avoir brusqué les choses, mais d'avoir même risqué la bataille. Il n'avait guère le choix. Il fallait bien qu'il fît quelque chose, car Wolfe était déjà en position d'intercepter tous ses ravitaillements. Comme ses hommes étaient remplis d'ardeur, il décida d'attaquer avant que leur enthou- siasme se fût refroidi, Il leur adressa quelques mots dans son âpre et véhément langage. "Jeme souviens, disait plus tard un vieux Canadien, alors jeune garçon de dix-huit ans, comme il avait noble apparence ; il montait un coursier noir ou bai sombre et galopait le long de nos lignes avancées, brandissant son épée comme pour enflammer notre courage. Il portait une redingote à larges manches flottantes, qui retombaient lorsqu'il levait le bras, laissant voir la percale blanche de ses manchettes." (1)

Les Anglais attendaient toujours l'événement avec un sang-froid qui, s'il n'était pas réel, était du moins admirablement simulé. Les trois pièces de

[1] Souvenirs de Joseph Trahan, dans la Revue Canadienne ', IV, 856.

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campagne envoyées par Ramesay lenr crachaient force projectiles explosifs, tandis qu'une quinzaine de cents Canadiens et Sauvages les fusillaient de front et de flanc. Sur toute l'étendue du plateau, de chaque buisson, de chaque tertre, de la lisière des champs de maïs, jaillissaient par incessantes bouffées la fumée des mousquets de ces invisibles tirailleurs. On jeta en avant des lignes des partis d'escarmouche pour les tenir en respect, et les soldats eurent ordre de se coucher sur l'herbe pour éviter les balles. Ce fut surtout sur l'aile gauche des Anglais que le feu fut le plus vif ; des bandes de francs-tireurs s'étaient glissées sur le flanc du coteau, dans les fourrés, derrière les maisons ça et là, et de purent tuer ou blesser un nombre considérable des soldats de Town- shend. L'infanterie fut alors appelée de l'arrière- garde. Les maisons furent prises et reprises, et une ou deux furent incendiées.

Wolfe était partout. Il se produisit dans la matinée un incident qui montre combien il était maître de lui, et pourquoi ses soldats l'aimaient. L'un de ses capitaines avait reçu une balle dans la région des poumons ; en revenant à lui, il vit le général debout à ses côtés. Wolfe lui serra la main, lni dit de ne pas se décourager, loua ses services, lui promit un prochain avancement, et envoya un aide- de-camp à Monckton pour prier celui-ci de racheter sa promesse s'il succombait lui-même, (i)

Il était environ dix heures lorsque, d'un tertre à

[i] Sir Denis Le Marchant, cité par Wright, 579, I<e Marchant con- nut le capitaine dans sa vieillesse. Monckton honora la promesse de Wolfe.

MAJOR-GENERAL JAMES WOLFE

D'après une peinture de Joseph Highmore, en la possession de Mme Mary Anne Armstrong, Penzance [Angleterre]

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LES PLAINES D'ABRAHAM 81

la droite des lignes, Wolfe vit que le moment critique approchait. Sur la hauteur d'en face, les Français s'étaient formés en trois corps, les réguliers au centre, les réguliers et les Canadiens à droite et à gauche. Deux pièces de campagne, qu'on avait pu hâler jusqu'au haut du coteau de l'Anse du Foulon, leur tirèrent une volée de mitraille, et les troupes, se levant de terre, s'apprêtèrent à les recevoir. En quelques instants, ils se mirent en mouvement. Ils arrivaient au pas de course, en poussant de grands cris, et faisant feu dès qu'ils étaient à portée. Leurs rangs, déjà désordonnés, se rompirent davantage, nombre de Canadiens, qui se trouvaient mêlés aux réguliers, s'étant, après avoir tiré précipitamment, jetés à terre pour recharger leurs fusils, (i) La ligne anglaise s'ébranla et avança de quelques perches, puis fit halte et resta immobile. Lorsque les Français furent à une distance d'une quarantaine de pas, un sonore commandement retentit, et la ligne entière répondit par une crépitante salve de mousqueterie. Cette décharge éclata avec une précision remarquable. Au centre surtout, étaient les bataillons qui jusque-là avaient le moins souffert des balles ennemies, l'explosion, par sa simultanéité, résonna comme un coup de canon, au dire des officiers français. Une autre décharge suivit, puis ce fut un feu nourri qui dura une minute ou deux. Lorsque le voile de fumée se déchira, un spectacle lamentable s'offrit aux

[i] "Les Canadiens, qui étaient mêlés dans les bataillons, se pres- sèrent de tiuer et, dès qu'ils l'eussent fait, de mettre ventre à terre pour charger, ce qui rompit tout l'ordre." Malartie à Bourlamaque, 25 sep- tembre 1759.

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regards ; le sol était jonché de morts et de blessés. La masse s'était arrêtée dans sa course, ce n'était plus qu'une cohue frénétique, hurlante, faisant de grands gestes exaspérés. Ordre fut donné de charger. Alors sur toute la plaine s'éleva le hourra des Anglais, mêlé au féroce cri de guerre des Highlanders. Quel- ques-uns des corps s'élancèrent baïonnette en avant ; d'autres marchaient en tirant. Les clans écossais mirent la claymore au vent et bondirent agiles et âpres à la curée comme des limiers. Sur la droite des Anglais, bien que la colonne ennemie eût été réduite en pièces, le feu continuait encore, entretenu surtout, paraît-il, par les francs-tireurs dissimulés dans les broussailles et les champs de maïs ils étaient restés embusqués pendant une heure ou plus. Wolfe dirigeait la charge dans cette direction, à la tête des grenadiers de Louisbourg. Une balle lui brisa le poignet ; il mit son mouchoir autour et poursuivit sa marche. Atteint d'un deuxième projectile, il allait toujours, lorsqu'un troisième le frappa à la poitrine. Il chancela et s'assit par terre. Le lieutenant Brown, un volontaire de la même compagnie du nom de Henderson, et un troupier, avec l'aide d'un officier d'artillerie qui était accouru à eux, le portèrent dans leurs bras en arrière des lignes. A sa prière, ils le couchèrent sur le sol et lui demandèrent s'il voulait un chirurgien. "C'est inutile, répondit-il, je suis fini." "Ils courent, voyez donc comme ils courent." "Oui court ?" demanda Wolfe, comme sortant d'un rêve. "L'ennemi, monsieur. Bon Dieu ! ils lâchent pied partout.'' "Que l'un de vous aille trouver le colonel Burton," murmura le mourant, "dites-lui de

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lancer le régiment de Webb du côté de la rivière Saint-Charles, afin de leur couper la retraite par le pont.'' Puis, se tournant sur le côté, il balbutia : "A présent, Dieu soit loué, je meurs en paix !" et en quelques instants son âme s'était envolée.

Montcalm, encore achevai, était entraîné vers la ville par le flot des fuyards. Comme il approchait de l'enceinte fortifiée, une balle lui transperça le corps. Il se maintint en selle, supporté par deux soldats, l'un de chaque côté, et conduisit son cheval sous la porte Saint-Louis. Dans le terrain vague en dedans des murs, se trouvaient dans la foule surex- citée nombre de femmes, qu'avait sans doute attirées la curiosité de connaître le dénouement de la bataille. L'une d'elles, le reconnaissant, voyant le sang couler, se mit à crier: uO mon Dieu ! mon Dieu ! le marquis est tué !'' <( Ce n'est rien, ce n'est rien, répondit le blessé, ne vous affligez pas pour moi, mes bonnes amies."

Note de L'auteur Il existe plusieurs versions contem- poraines des dernières paroles de Wolfe. La relation de Knox, que nous venons de donner, est la mieux corroborée de toutes. Knox dit qu'il se donna beaucoup de peine dans le temps pour se les faire répéter avec précision par ceux qui assistaient Wolfe à ses derniers moments.

La tradition au tujet de Montcalm est due à feu l'hono- rable Malcolm Fraser, de Québec. Dans sa jeunesse, il avait souvent entendu raconter cet épisode par une vieille femme qui s'était trouvée dans l'attroupement formé autour du géné- ral blessé, au moment on le ramenait en ville et il leur adressait ces paroles.

Forces anglaises et françaises à la bataille de Québec. Le relevé tabulaire que donne Knox indique le nombre d'officiers

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et d' hommes pour chacun des corps engagés. D'après lui, l'effectif de chaque bataillon rangé en bataille sur les Plaines d'Abraham avant l'engagement variait entre 322 (Monckton) et 683 (Webb), soit un total de 4,828, y compris les officiers. Un autre rapport moins détaillé, signé George Townshend, brigadier, porte la force entière à 4,441 seulement. C'est Townshend qui prit le commandement après Wolfe, et son rapport, qu'on conserve au Public Record Office, fut envoyé à Londres quelques jours après la bataille. Quelques chroni- queurs français, qui étaient présents, donnent un chiffre encore moindre, peut-être pareeque le régiment de Webb et le 3e bataillon du Royal American ne prirent aucune part à l'enga- gement, l'un ayant été laissé en arrière comme réserve, l'autre n'étant pas davantage visible puisqu'il gardait le lieu de débarquement. La ligne de front commandée par Wolfe, seule à recevoir et à repousser l'assaut des Français, était ainsi formée, au complet, officiers et soldats :

35e régiment 519 28e régiment 421

58e 335 47e 360

78e " 662 43e " 327

Grenadiers deLouisbourg 241 Infanterie légère. . . . 400

Total 3,265

Du côté des Français, il est impossible d'être aussi précis. Knox, d'après le renseignement "d'un Français intelligent," donne une énumération, corps par corps, formant en tout 7,520 hommes. Sur examen, il y a exagération évidente. Fraser parle de 5,000 hommes ; Townshend dit 4,470, milices comprises, Bigot mentionne 5,500, et c'est probablement tout ce qui a réellement marché à l'attaque, puisqu'une partie de la milice était restée en arrière. Si l'on compte le comman- dement de Bougainville, les miliciens et artilleurs restés au camp de Beauport, les marins des batteries de ville et la garnison de la place, il y avait à peu près autant de forces françaises engagées dans la bataille que non engagées ; des deux côtés, le nombre des combattants était donc à peu près égal.

Voir à V Appendice pour autorités à l' appui du chapitre qui précède.

1759 CHUTE DE QUÉBEC.

JAMAIS il n'y eut de déroute plus complète que celle de notre armée, dit un fonctionnaire français, (i) Il en fut ainsi parceque Mont- calm n'avait gardé aucunes troupes en réserve, mais avait précipitamment lancé toutes ses forces contre les Anglais. La poursuite rencontra cependant quelque résistance, surtout de la part des Canadiens dont bon nombre n'avaient pas marché à l'assaut avec les réguliers. Au lieu de cela, ceux de l'aile droite s'étaient jetés dans un vaste fourré de brous- sailles qui s'étendait en face de la gauche anglaise ; de ce couvert, ils avaient ouvert le feu sans grand effet à longue distance, mais leur tir devint très dommageable pour les vainqueurs lorsqu'à leur tour ils marchèrent en avant. Deux bataillons se déploy- èrent en face de cette embuscade touffue et, en y concentrant leur feu, finirent par en déloger l'ennemi. Puis, ceux des Canadiens qui, avant l'engage- ment général, avaient attaqué la gauche des Anglais du haut de la déclivité donnant sur la rivière Saint- Charles, s'étaient mis à retraiter au moment de la déroute, longeant le bord du coteau au pas de course jusqu'à l'endroit appelé côte Sainte-Geneviève, ils trouvèrent quelques bouquets d'arbres. Ils se jetèrent dans ces fourrés, et ne furent pas plus tôt à couvert

[i] Daine au Miniatre, 9 octobre 1759,

86 CHUTE DE QUÉBEC

qu'ils prirent position pour tirer sur les Highlanders, qui arrivaient à ce moment-là. Plusieurs de ces montagnards avaient, suivant leur traditionnelle cou- tume, rejeté leurs fusils pour courir sur l'ennemi ; et n'ayant plus d'autres armes que leurs larges épées, ils tentèrent vainement de déloger les francs-tireurs et eurent grandement à souffrir. D'autres troupes vinrent cependant à leur secours, vidèrent le fourré, non sans éprouver une vive résistance, et finirent par chasser ces obstinés à travers la prairie jusqu'au pont de bateaux. La conduite des Canadiens à la Côte Sainte-Geneviève fait jusqu'à un certain point oublier le manque de discipline de quelques-uns d'entre eux sur le champ de bataille.

Une partie des fugitifs s'étaient échappés dans la ville par les portes Saint-Louis et Saint-Jean, pen- dant que la plupart fuyaient le long du rempart, dégringolant sur la pente jusqu'au faubourg Saint- Roch, puis à travers la prairie jusqu'au pont protégé par le canon de la ville et par les deux coques armées mouillées dans la rivière. Cette déroute ne faisait que commencer au moment Vaudreuil, venant du camp de Beauport, était en train de franchir le pont. Quatre heures s'étaient écoulées depuis la première alarme qu'il avait entendue, et ses quartiers étaient à peine à plus de deux milles du champ de bataille. Il n'a pas expliqué pourquoi il n'était pas venu plus tôt ; il est certain que son mouvement en avant était bien calculé pour jeter le blâme sur Montcalm au cas d'une défaite, ou pour réclamer une part de l'honneur s'il y avait eu victoire. "Monsieur le marquis de Montcalm, dit-il, attaqua malheureusement avant

CHUTE DE QUÉBEC 87

que j'eusse pu k rejoindre''. (1) Son arrivée n'aurait pas, du reste, fait grand' chose ; car, bien qu'il eût enfin amené avec lui le reste des milices du camp de Beauport, celles-ci ne poussèrent pas plus loin que le pont, y ayant été retenues, à ce qu'il dit, par un ordre non autorisé du chef d'état-major Montreuil. (2) Il déclare que les réguliers étaient dans une telle frayeur qu'il ne put les arrêter, mais que les Cana- diens s'arrêtèrent à sa voix, et que c'est lui qui les rallia à la Côte Sainte-Geneviève. Sur ce point, on a sa propre parole pour toute preuve. D'après d'autres récits, il appert que les Canadiens se rallièrent d'eux-mêmes. Vaudreuil, en tout cas, ne perdit pas de temps à repasser le pont et à rejoindre les mili- ciens dans la redoute de l'autre côté de la rivière, les fuyards affluèrent bientôt après lui.

L'aide-de-camp Johnstone, monté à cheval, s'était arrêté un instant à l'endroit est aujourd'hui le faubourg Saint-Jean pour encourager quelques soldats qui étaient en train de retirer un canon embourbé dans une ornière ; à ce moment même, éperonnant son cheval au haut d'un éminence voisine, il aperçut à portée de mousquet une longue ligne de troupes anglaises, qui se mirent à tirer sur lui. Les balles sifflèrent à ses oreilles, déchirant ses vêtements et blessant sa monture, qui put, cependant, le porter le long de la déclivité jusqu'à un moulin à vent près duquel était tracé un chemin conduisant à une boulangerie dans la prairie au-dessous. Il descendit, traversa le champ, gagna le pont et le franchit

fi] Vaudreuil au Ministre, 21 septembre 1759, [2] Ibidem, 5 octobre 1759.

88 CHUTE DE QUÉBEC

jusqu'à la grande redoute ou corne qui en gardait la tête.

La place était pleine de troupiers et de Cana- diens en proie à une vive panique. "Il est impossible, dit Johnstone, d'imaginer le désarroi et la confusion que je trouvai dans la corne. La consternation était générale. M. de Vaudreuil écoutait tout le monde, et donnait invariablement raison au dernier qui avait parlé. A la vue des troupes anglaises dans la plaine près de la boulangerie, Montguet et La Motte, deux vieux capitaines du régiment de Béarn, crièrent avec véhémence à M. de Vaudreuil : "que la corne allait être à l'instant prise d'assaut l'épée à la main, que nous serions tous mis en pièces sans merci, que rien ne pouvait plus nous sauver que la capitulation im- médiate et générale du Canada, qu'il fallait se rendre sur-le-champ aux Anglais", (i) Cependant la rivière était large et profonde, et l'ouvrage à corne était protégé du côté de l'eau par de très solides palissades avec du canon. Tout de même, un cri général s'éleva qu'il fallait couper le pont de bateaux. En agissant de la sorte, on aurait sacrifié plus de la moitié de l'armée, qui n'avait pas encore passé la rivière. Les hommes armés de haches étaient déjà à l'ouvrage, lorsqu'ils furent arrêtés par quelques officiers qui n'avaient pas encore perdu la tête.

"M. de Vaudreuil, poursuit Johnstone, s'était enfermé dans une maison à l'intérieur du fort avec

[i] Confirmé par le Journal tenu à V Armée. "Divers officiers des troupes de terre n'hésitèrent point à dire, tout haut en présence du soldat, qu'il ne nous restait d'autre ressource que celle de capituler promptement pour toute la colonie," etc.

CHUTE DE QUÉBEC 89

l'Intendant et quelques autres personnages. Soup- çonnant qu'ils étaient en train de rédiger les articles d'une capitulation générale, j'entrai dans la maison, mais j'eus à peine le temps d'entrevoir l'Intendant, une plume à la main, en train d'écrire sur une feuille de papier ; M. de Vaudreuil me dit que je n'avais rien à faire là. Ayant répondu que c'était vrai, je me retirai promptement, furieux de les voir déterminés à rendre d'une manière aussi scandaleuse une posses- sion dont la préservation avait coûté tant de sang et d'argent." En sortant, Johnstone rencontra les lieutenant-colonels Daîquier et Poulariez, qu'il supplia d'empêr.ier la consommation d'une pareille infamie. De fait, si Vaudreuil avait réellement songé à capituler pour la colonie, il en fut bientôt dissuadé par des esprits plus fermes que le sien.

Johnstone, que son cheval ne pouvait plus porter, repartit à pied pour Beauport. "Je cheminai bien tristement, dit-il, le cœur gros de la perte de mon cher ami M. de Montcalm, tombant de fatigue, perdu dans la pensée des changements que la Provi- dence avait opérés dans l'espace de trois ou quatre heures.''

Changements considérables, en effet. Montcalm se mourait ; son commandant en second, le brigadier Sénezergues, était blessé à mort ; l'armée en déroute et démoralisée était virtuellement sans chef, et la colonie, qui la veille encore avait la joyeuse illusion d'une prompte délivrance, était du coup plongée dans le désespoir. "Ah ! quel journée cruelle ! s'écrie Bougainville, comme elle fut fatale à tout ce qui nous était le plus cher ! Mon cœur est déchiré dans

9o CHUTE DE QUÉBEC

ses fibres les plus sensibles. Nous serons bien heureux si l'approche de l'hiver sauve le pays d'une ruine totale." (i)

Les vainqueurs se fortifiaient sur le champ de bataille. Comme les Français, ils avaient perdu deux généraux ; car Monckton, le second en com- mandement, avait été invalidé par une balle de mousquet, et l'autorité était échue à Townshend au moment l'ennemi était en pleine déroute. Celui-ci avait fait battre le rappel et reformé ses troupes en ligne de combat, sachant qu'un autre adversaire allait se présenter. Bougainville, en effet, arrivait de Cap- Rouge à midi avec une couple de mille hommes, mais il retraita quand il eut constaté qu'une force double de la sienne était prête à le recevoir. Ce n'était qu'à huit heures du matin que Bougainvïilc avait appris l'apparition des Anglais sur les Plaines d'Abraham, et son retard à y arriver était sans doute aux efforts qu'il avait faire pour rassembler à la hâte autant que possible de ses détachements disséminés le long du fleuve sur un parcours de plusieurs milles jusqu'à Jacques-Cartier.

Avant minuit ce soir-là, les Anglais avaient fait diligence dans la construction de leurs redoutes et retranchements, monté du canon sur les hauteurs pour se défendre, planté une batterie sur la Côte Sainte-Geneviève ; ils avaient fait une descente dans la plaine du côté de la rivière Saint-Charles et avaient pris possession de l'Hôpital Général, avec son affluence de malades et de blessés. Leur victoire leur

[i] Bougainville à Bourlamaque, 18 septembre 1759.

CHUTE DE QUÉBEC 91

avait coûté six cent soixante-quatre hommes de tout rang, tués, blessés et manquants à l'appel. Du côté des Français, les pertes étaient évaluées par Vaudreuil à environ six cent quarante hommes, à près de quinze cents d'après les rapports officiels de source anglaise. En proportion des forces numériques engagées, la bataille de Québec ne fut qu'une grosse escarmouche ; par ses conséquences, ce fut l'une des plus grandes batailles de l'histoire.

Vaudreuil s'était, dans l'intervalle, rendu de l'ouvrage à corne à ses quartiers sur le chemin de Beauport et avait réuni un conseil de guerre. Ce fut une scène tumultueuse. Un courrier fut envoyé à Québec pour demander l'avis de Montcalm, Le général mourant répondit, par un bref message, qu'il y avait à choisir entre trois choses : engager une nouvelle rencontre, retraiter à Jacques-Cartier, ou rendre la colonie. Il y avait beaucoup à dire en faveur d'un nouveau combat. Bougainville, en réunissant toutes ses forces au-dessus de la ville, pouvait disposer de trois mille hommes, qui, joints à la garnison de Québec, aux marins des batteries ainsi qu'aux milices et artilleurs du camp de Beau- port, auraient formé un corps de troupes fraîches plus qu'égal en nombre aux Anglais alors stationnés sur les Plaines d'Abraham. En ajoutant à cela les troupes défaites, on avait un effectif beaucoup plus considérable que celui de l'armée victorieuse. (1)

[1] Bigot, comme Vaudreuil, fixe à 3,000 hommes la force de Bou- gainville. "En réunissant le corps de M. de Bougainville, les bataillons de Montréal [laissés au camp de Beauport] et la garnison de Lcxrette, il nous restait encore près de 5,000 hommes de troupes fraiches." [Jour-

92 CHUTE DE QUÉBEC

Bigot opina pour un nouveau combat. Vau- dreuil lui-même s'exprima dans le même sens, mais, d'après son récit, tous les officiers étaient contre lui. "J'eus beau, dit-il, faire observer à ces messieurs que nous étions numériquement plus forts que l'ennemi, et que nous pouvions battre celui-ci en nous y prenant bien, je fus impuissant à changer leur opinion. Mon amour du service et de la colonie m'engagea à me rendre aux vues du Conseil. De fait, si j'avais attaqué les Anglais contre l'avis de tous les prin- cipaux officiers, par mauvaise foi ils m'auraient exposé au risque de perdre la bataille et la colonie avec." (2)

On prétendit dans le temps que les officiers votèrent pour la retraite parcequ'ils croyaient Vau- dreuil incapable de commander une armée et, pis que cela encore, de livrer une bataille. (3) Une rencontre immédiate n'était pas, du reste, nécessaire. L'objet des Anglais était de prendre Québec, et celui de Vaudreuil aurait être de le garder. Une marche de quelques milles lui aurait permis de rejoindre Bougainville, et une fois retranché à Sainte- Foy, ou près de là, il se serait trouvé avec des forces considérablement supérieures en arrière de l'armée anglaise, et sa position aurait été imprenable. Le ravitaillement lui eût été beaucoup plus facile, et de

nal tenu à l'Armée.] Vaudreuil dit qu'il y avait 1500 hominee en garnison à Québec, qui n'avaient pas pris part au combat. S'il en est ainsi, les troupes fraîches après la bataille comprenaient, non pas 5,000, mais plus de 6.000 hommes ; ajoutons le nombre des vaincus, et déduction faite des morts et blessés, l'on arrive à une dizaine de mille hommes.

[2] Vaudreuil au Ministre, 5 octobre 1759.

[3] Mémoire sur le Canada, 1749-1760,

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il aurait pu sans peine jeter des hommes et des vivres dans la ville, les Anglais n'étant pas en nombre pour en faire le siège. Il aurait pu harceler l'ennemi, ou même l'attaquer à l'occasion, et soit forcer la levée du siège ou le faire durer assez long- temps pour que l'approche de l'hiver eût obligé les agresseurs à remettre à la voile, perdant tout le fruit de leur victoire.

Il aurait au moins pu prendre la nuit pour réfléchir. Il était en sûreté au delà de la rivière Saint- Charles. Les Anglais, épuisés de fatigue, après une journée de combat et une nuit sans sommeil, n'étaient pas en humeur de l'inquiéter. Une partie de ses propres troupes avait un mortel besoin de repos ; la nuit aurait récupéré les forces, et porté conseil. Mais Vaudreuil ne voulait pas attendre ; l'ordre de retraiter fut donné immédiatement. Le mouvement commença à 9 heures le soir même. Québec fut abandonné à son sort. (1) On laissa les canons dans les lignes de Beauport, les tentes dans les camps, et assez de vivres en magasins pour nourrir l'armée pendant une semaine. " La perte du marquis de Montcalm, dit un officier français alors présent, fit perdre la tête à ses successeurs, qui ne songèrent qu'à fuir, tant était grande leur terreur à la pensée d'être attaqués dans leurs retranchements le lende- main. L'armée abandonna le camp dans un désordre inouï. (2) "Ce ne fut pas une retraite, dit Johnstone, qui en faisait lui-même partie, mais un abominable

[1] Livre d'Ordres, ordre du 13 septembre 1759. [2] Foligny, Journal mémoratif.

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sauve-qui-peut, opéré dans un tel désordre et avec une telle confusion que, si les Anglais l'avaient su, il eût suffi de trois cents hommes lancés à notre poursuite pour mettre en pièces notre armée entière. Les troupes étaient toutes mélangées, éparses, dis- persées, et couraient aussi vite qu'elles pouvaient, comme si elles avaient eu toute l'armée anglaise sur les talons." On traversa de la sorte Charlesbourg, Lorette et Saint-Augustin, jusqu'à ce que, le 15, on pût se reposer sur la colline imprenable de Jacques- Cartier, au bord du Saint-Laurent, à trente milles du danger.

Montcalm rendait le dernier soupir dans cette nuit d'humiliation Vaudreuil abandonnait Québec. Lorsqu'on l'avait ramené blessé du champ de bataille, il avait été déposé dans la maison du chirurgien Arnoux, qui était alors à l'Ile-aux-Noix avec Bour- lamaque, mais son plus jeune frère, chirurgien lui aussi, avait examiné la plaie et l'avait déclarée mortelle. "J'en suis heureux," avait dit Montcalm d'une voix tranquille ; puis il avait demandé combien de temps il lui restait à vivre. "Une douzaine d'heures, plus ou moins," lui fut-il répondu. "Tant mieux ! reprit-il, j'aurai le bonheur de ne pas voir la reddition de Québec." On rapporte qu'il ajouta que, puisqu'il avait perdu la bataille, il s'en consolait par la pensée d'avoir été battu par un aussi brave ennemi, et quelques-unes de ses dernières paroles furent l'éloge de son successeur Lévis, qu'il avait en haute estime pour son talent et ses aptitudes au comman- dement. Vaudreuil ayant envoyé demander son avis sur la situation, il le donna ; mais, lorsque Ramesay,

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commandant de la garnison, vint prendre ses ordres, il répondit : "Je ne veux ni donner d'ordres, ni intervenir davantage en aucune manière. J'ai de grandes affaires à régler sur le champ, bien plus importantes que celles de votre garnison en ruines et de ce misérable pays. Mes heures sont courtes ; veuillez donc me laisser en paix. Je vous souhaite tout le bien possible, et que vous vous tiriez heureu- sement de vos embarras présents." Jusqu'au dernier moment, il pensa cependant à ceux qui avaient été sous ses ordres, et envoya la note suivante au brigadier Townshend : " Monsieur, l'humanité anglaise met mon esprit en repos quant au sort des prisonniers français et des Canadiens. Ayez pour eux les sentiments qu'ils m'ont fait éprouver à moi- même. Ne leur faites pas sentir qu'ils ont changé de maîtres. Soyez leur protecteur comme je fus leur père." (1)

L'évêque Pontbriand, lui-même rapidement miné par une maladie mortelle, l'assista sur son lit de mort et lui administra les derniers sacrements. Il expira doucement à quatre heures du matin, le 14. Il était dans sa quarante-neuvième année.

Dans la confusion du moment, on ne put trouver d'ouvrier pour faire un cercueil ; ce fut un serviteur des Ursulines, connu sous le nom de Bonhomme Michel, qui rassembla quelques planches et les cloua ensemble de manière à en faire une grossière forme de boîte. Les restes du pauvre général y furent

[1] Je suis redevable à l'Abbé Bois d'une copie de cette note. Les dernières paroles de Montcalm, qu'on vient de lire, sont rapportées en partie par Johnstone et par Knox.

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déposés, et tard dans la soirée furent transférés à leur dernière demeure. Il n'y eut ni sonnerie de cloches, ni salves de canon. Les officiers de la garnison suivirent la bière, et quelques gens du peuple, femmes et enfants, se joignirent à la proces- sion comme elle se déroulait dans un morne silence le long de la rue sombre, entre deux haies de maisons abimées par les boulets de canon et les bombes, jusqu'à la chapelle du couvent des Ursulines. Un obus, en éclatant à travers le plancher, y avait ouvert une cavité qu'on avait élargie pour creuser la fosse. Trois prêtres de la Cathédrale, plusieurs religieuses, Ramesay avec ses officiers, et un groupe de citoyens assistèrent à la cérémonie. Le service chanté, le corps fut descendu dans la fosse à la lueur des torches, et alors, ajoute la chronique, "éclatèrent les sanglots et les gémissements. Il sembla que la dernière espérance de la colonie était enterrée avec les restes du Général.'' (i) En vérité, les funérailles de Montcalm étaient bien celles de la Nouvelle- France. (2)

Ce n'était pas le temps de pleurer. Les exigences du moment étaient trop urgentes, trop solennelles pour cela. Lorsqu'au lendemain de la bataille le peuple de Québec vit encore les tentes restées debout au camp de Beauport, il crut que l'armée était encore pour le défendre. (3) Ramesay connaissait l'inanité de cette espérance. La veille au soir, Vaudreuil l'avait

[1] Ursulines de Québec, iii, 10.

[2] Voir Appendice : Mort et funérailles de Montcalm.

[3] Mémoire du Sieur de Ramesay.

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prévenu de sa fuite par deux notes écrites précipi- tamment. " La position de l'ennemi, écrivait le gouverneur, devient de plus en plus forte d'un instant à l'autre ; cette raison, avec d'autres, m'oblige à retraiter." "J'ai re9u toutes vos lettres. Comme je pars à l'instant, je vous prie de ne plus m'écrire. Demain vous aurez de mes nouvelles. Je vous souhaite le bonsoir." Ces messages étaient accompagnés de l'ordre suivant : "M. de Ramesay n'attendra pas que l'ennemi emporte la ville d'assaut. Dès que les vivres manqueront, il hissera le drapeau." A cet ordre était attaché un mémoire des termes que Ramesay devait demander aux vainqueurs. (1)

uQuel coup ce fut pour moi, dit l'infortuné com- mandant, de me voir si tôt abandonné par l'armée, qui seule pouvait défendre la ville !" Sa garnison consistait de quelque quatre ou cinq cents hommes de troupes coloniales, d'un nombre plus considérable de marins et de la milice locale. (2) Cette dernière était en proie au désespoir. Les habitants qui, pendant le siège, avaient cherché un refuge dans le faubourg St.-Roch, étaient rentrés après la bataille ; il fallait donc subvenir à 2,600 femmes et enfants, plus à peu près un millier d'invalides et de non-combattants, et les approvisionnements en ville, même à demi-ration, pouvaient à peine durer une semaine. Ramesay n'avait pas été d'abord informé qu'il en restait beau- coup dans les camps de Beauport ; lorsqu'il l'apprit

[1] Mémoire pour servir d'instruction à M. de Ramesay, 13 septembre 1 759. Annexé avec les notes ci-dessus au Mémoire de Ramesay.

[2] Les rapports anglais donnent un total de 615 réguliers français, dans la place, outre les marins et miliciens.

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enfin et qn'il y envoya des convois ponr s'en emparer, on constata que les Sauvages et les campagnards en disette avaient tout emporté.

" Le découragement, dit-il, était complet, la démoralisation extrême et universelle. Les murmures et les plaintes contre l'armée qui nous avait aban- donnés se changèrent en un cri général d'exaspération. Je ne pus empêcher les marchands, tous officiers de la milice de ville, de se réunir dans la maison de M. Daine, le maire. Ils se prononcèrent pour la capitu- lation et me présentèrent une requête à cet effet, signée par M. Daine et tous les principaux citoyens."

Ramesay convoqua un conseil de guerre. Un seul officier, Fiedmont, capitaine d'artillerie, opina pour une nouvelle réduction des rations et pour la résistance jusqu'au bout. Tous les autres votèrent la capitulation, (i) Ramesay aurait pu céder sans déshonneur ; il tint bon cependant jusqu'à ce qu'un incident donnant quelque lueur d'espoir se produisît à Jacques-Cartier.

Cet événement était l'arrivée de Lévis. Dans l'après-midi de la bataille, Vaudreuil avait eu une idée sensée ; il avait expédié un courrier à Montréal pour appeler à son aide cet habile militaire. (2) Lévis était parti sur l'heure, avait atteint Jacques-Cartier, il avait vu la réalisation de ses pires pressenti- ments. " Le grand nombre de fuyards que je com- mençai à rencontrer à Trois-Rivières m'avait préparé au désarroi que je trouvai dans l'armée. Jamais de

[1] Copie du Conseil de guerre tenu par M. de Ramesay à Québec, 15 septembre 1759.

[2]LévisàBourlamaque, 15 septembre 1759. Lévis, Guerre du Canada.

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ma vie je n'avais rien vu de tel. Ils avaient tout laissé derrière eux au camp de Beauport, tentes, équipages, ustensiles."

Il donna franchement son opinion, blâma la retraite, et pressa Vaudreuil de retourner avec lui sur ses pas aussi vite qu'il était venu. ( 1 ) Le gouverneur, cassant en temps ordinaire, mais souple dans les moments critiques, prit en très bonne part les avis d'un homme plus fortement trempé que lui, le laissa décider à sa place, consentit au retour des troupes, et par la suite écrivit dans sa dépêche au ministre : "Je fus bien charmé de trouver M. de Lévis disposé à marcher sur Québec à la tête de l'armée". (2)

Lévis, de son côté, écrivit :

uLa situation je trouvai l'armée, manquant de tout, ne me découragea pas. Sur ce que M. de Vaudreuil me dit que Québec n'était pas pris et qu'il y avait laissé une assez nombreuse garnison, je pris la résolution, pour réparer la faute qu'on y avait faite, d'engager M. le marquis de Vaudreuil à faire remarcher l'armée au secours de cette place. Je lui représentai que c'était le seul moyen d'empêcher la défection entière des Canadiens et des Sauvages ; que, par la connaissance que nous avions du pays, nous pourrions nous approcher fort près des ennemis, que nous savions retranchés sur les hauteurs de Québec et travaillant à des batteries pour battre cette place ; que, si nous trouvions leur armée mal postée, nous pourrions l'attaquer, ou qu'au moins, en nous appro-

[1] Bigot au Ministre, 15 octobre 1759. Malartic à Bourlamaque, 28 septembre 1759.

[2] Vaudreuil au Ministre, 5 octobre 1759.

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chant, nous prolongerions le siège par les secours que nous ferions passer en hommes et en vivres ; que nous pourrions aussi l'évacuer et la brûler, quand nous ne pourrions plus la soutenir, afin qu'il ne restât aucune ressource aux ennemis pour s'y établir Phiver." (i)

Lévis eut bientôt fait sentir sa présence dans le chaos militaire qui l'entourait. Bigot se remua avec son énergie ordinaire pour recueillir des vivres, et le matin suivant tout était prêt. (2) Bougainville n'avait pris aucune part à la retraite, mais avait tenu bon au Cap-Rouge pendant que la horde des fuyards passait près de lui. Une centaine de Canadiens à cheval qui formaient partie de son commandement venaient d'être envoyés à Québec, chaque cavalier portant un sac de biscuit en travers de sa selle. Us avaient ordre de faire îe grand tour par Beauport, l'ennemi n'avait pas paru et d'où ils pouvaient gagner la ville en franchissant la rivière Saint-Charles en canots. Bougainville suivait de près avec une plus grande quantité de vivres. Vaudreuil envoya un message à Ramesay, révoquant son ordre de capitu- lation dans le cas d'une menace d'assaut, lui disant de tenir bon jusqu'au bout et l'assurant que l'armée entière venait à son secours. Lévis s'empressa de se mettre en marche, non toutefois sans avoir pris le temps d'écrire quelques lignes à Bourîamaque : i 'Nous avons fait une très grande perte, car nous avons perdu M. de Montcaim. Je le regrette comme mon général et mon ami. J'ai trouvé notre armée

[1] Lévis au Ministre, 10 novembre 1759.

[2] Uvre d'Ordres. Ordre du 17-18 septembre 1759.

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ici. Elle est maintenant en marche pour réparer nos malheurs. Je puis me fier à vous pour tenir votre position ; comme je n'ai pas les talents de M. de Montcalm, j'ai les yeux sur vous pour me seconder et m'aviser. Faites bonne figure. Dissi- mulez cette affaire aussi longtemps que vous pourrez. Je monte à cheval à l'instant. Ecrivez-moi toutes les nouvelles." (i)

L'armée se mit en marche ce matin-là, 18 septembre. Dans la soirée, elle avait atteint Saint- Augustin ; mais elle fut arrêtée par la stupéfiante nouvelle que Québec s'était rendu.

La plus grande confusion avait régné dans la garnison en désarroi. D'heure en heure, les hommes désertaient, les uns fuyant à la campagne, quelques- uns allant au camp anglais ; Townshend poussait ses tranchées de plus en plus près du rempart, en dépit de la canonnade que Fiedmont et ses artilleurs dirigeaient sur l'ennemi pour le tenir en respect. Dans la soirée du 17, les vaisseaux de guerre anglais avaient fait un mouvement vers la Basse-ville et l'on pouvait voir un corps de troupes s'avancer à travers la prairie du Saint-Charles, comme pour prendre d'assaut la Porte du Palais. Les tambours battirent la générale, mais la milice refusa de servir. Ses officiers vinrent en corps auprès de Ramesay, pour déclarer qu'ils n'avaient nullement l'intention de soutenir un assaut ; qu'ils savaient qu'il avait des ordres con- traires ; qu'ils allaient remettre leurs armes à l'arsenal ; qu'ils n'étaient plus soldats, mais citoyens;

[ij l^ris à BourUmaque, ï8 septembre 1759.

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que, si l'armée ne les avait pas abandonnés, ils se battraient avec autant de courage que jamais, mais qu'ils ne voulaient pas se faire tuer pour rien. Le major de ville Joannès en eut une telle fureur qu'il frappa deux des officiers du plat de son sabre.

Le drapeau blanc fut hissé ; Joannès le fit disparaître, croyant ou affectant de croire qu'il avait été arboré sans autorité ; mais au même moment Ramesay lui ordonnait de se rendre au camp des Anglais avec mission d'obtenir les meilleurs termes qu'il pourrait. Il se porta sous une pluie battante aux quartiers de Townshend, et, toujours bercé de l'espérance du secours promis, prolongea les pour- parlers autant qu'il put, prétextant qu'il n'était pas en son pouvoir de céder sur certains points ; finale- ment il fut renvoyé pour conférer avec Ramesay, avec l'intimation du commandant anglais que, si Québec n'était pas livré avant onze heures, il le prendrait d'assaut. Ramesay signa alors les articles, et Joannès les rapporta au camp anglais avant l'heure prescrite. A peine était-il sorti de la ville que les Canadiens faisaient leur apparition avec leurs charges de biscuits et l'assurance nouvelle que les renforts étaient proches ; mais il était trop tard. Ramesay s'était rendu et ne voulait pas manquer à sa parole. Il redoutait un assaut qu'il se savait incapable de soutenir, et ne croyait qu'à demi à la promesse de secours. "Comment pouvais-je m'y fier ? dit-il. L'armée n'avait pas osé faire face à l'ennemi avant qu'il se fût fortifié ; pouvais-je espérer qu'elle viendrait l'attaquer dans un camp retranché,

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défendu par une artillerie formidable ?,J Quoi qu'on puisse penser de sa conduite, c'est à Vaudreuiî, non à lui, qu'était due la perte de Québec.

Les conditions accordées étaient favorables, car Townshend se rendait compte des dangers de sa position et était heureux d'avoir Québec à tout prix. Les troupes et les marins de la garnison devaient évacuer la place avec les honneurs de la guerre et être reconduits en France. Les habitants avaient promesse de protection pour leurs personnes et leurs biens, ainsi que du libre exercice de leur religion. (1)

Dans l'après-midi, une compagnie d'artilleurs pénétra en ville avec une pièce de campagne, et marcha jusqu'à la Place d'Armes, suivie d'un corps d'infanterie. Des détachements furent apostés à toutes les portes de ville. Le drapeau anglais fut arboré sur la hauteur près de la rue de la Montagne, et la capitale de la Nouvelle-France passa aux mains de ses ennemis héréditaires. Restait la question : si ceux-ci la garderaient, ou la détruiraient ? Il fut résolu de la garder à tout risque. Les marins, les grenadiers de Louisbourg et quelques-uns des "rangers," se rembarquèrent sur la flotte, laissant dans la place les dix bataillons, avec l'artillerie et une compagnie de "rangers" pour affronter Phiver canadien et défendre les ruines de Québec contre les coups de main de Lévis. Monckton, le plus vieux des brigadiers, était blessé et hors de combat, il ne pouvait rester ; Townshend rentrait lui aussi dans son pays, pour faire parade de ses lauriers et réclamer

[1] Articles de Capitulation, 18 septembre 1759.

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plus que sa part du triomphe, (i) Le commande- ment resta donc à Murray.

Les troupes n'étaient pas inactives. Le nivelle- ment de leurs propres retranchements de campagne, la restauration des défenses de la ville, l'entreposage des ravitaillements débarqués des vaisseaux, la construction des fascines et le coupage du bois de chauffage, tout cela les occupa pendant les journées d'automne, tantôt rayonnantes de soleil, tantôt sombres et froides, avant-coureurs de la rude saison à passer. L'amiral Saunders différa son départ plus longtemps qu'il n'avait cru possible de le faire ; ce ne fut qu'après le mi-octobre qu'il tira le coup de canon de partance et mit à la voile pour redescendre le fleuve avec sa flotte, dont faisait partie le "Royal William,'' emportant les restes embaumés de Wolfe. Montcalm reposait dans son tombeau de soldat devant l'humble autel des Ursulines, sans espoir de jamais revoir le foyer qu'il avait tant regretté, l'épouse, la mère et les enfants qu'il avait aimés, les quinconces d'oliviers et de châtaigniers de son bien- aimé Candiac. Il dormait en paix au milieu de ses ennemis triomphants, qui respectaient sa mémoire sans trop savoir le lieu de son dernier repos. Il devait appartenir à un de ses compatriotes, un collègue et un frère d'armes, de rapetisser ses exploits et de noircir son nom. Le dépit jaloux de Vaudreuil devait le poursuivre jusque dans la tombe. Laissant à Lévis le commandement de Jacques-Cartier,

[i] Letter to an Honourable Brigadier-General [Townshend], impri- mé e« 1760. Peu après parut une Réfutation véhémente, mais peu pro- bante. Ou trouvera d'autres réponses dans V Impérial Magazine de 1760.

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l'armée s'était de nouveau retirée, le gouverneur retourna à Montréal, d'où il écrivit une série de dépêches pour se justifier aux dépens d'autrui, aux dépens surtout du général disparu ; jamais ses accu- sations contre ce dernier n'avaient été aussi acerbes que depuis que la bouche qui aurait pu lui répondre était à jamais fermée. D'abord, il rejeta sur Ramesay tout le blâme de la reddition de Québec. Puis il s'acharna à sa tâche favorite, diffamer son rival inanimé. " La lettre que vous nous écriviez en chiffres, le 10 février, à Monsieur le Marquis de Montcalm et à moi-même conjointement, a flatté son amour-propre à tel point que, loin de tendre à la conciliation, il ne s'appliqua plus qu'à persuader le public que son autorité dépassait la mienne. Depuis le jour de l'arrivée de Montcalm en cette colonie jusqu'à l'heure de sa mort, il n'a cessé de tout sacrifier à son ambition démesurée. Il a semé la dissension parmi les troupes, toléré les propos les plus indécents contre le gouvernement, attaché à sa personne les gens les plus discrédités, employé tous les moyens pour corrompre les plus vertueux, et, lorsqu'il n'y pouvait réussir, se faisait leur implacable ennemi. Il voulait être gouverneur général. Dans l'intimité, il prodiguait les faveurs et les promesses de patronage à tous ceux des officiers coloniaux qui épousaient ses idées. Il n'épargnait rien pour capter la confiance des gens de tout rang et pour les persuader de son attachement, et en même temps, soit par lui-même, soit par l'entremise des troupes de ligne, leur impo- sait le joug le plus affreux. Il diffamait les honnêtes

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gens, encourageait l'insubordination et fermait les yeux sur les rapines de ses soldats."

Cette lettre était adressée au supérieur officiel et confident de Vaudreuil, le ministre de la marine et des colonies. Dans une autre lettre, écrite vers le même temps au ministre de la guerre, dont les rela- tions avec son rival étaient identiques, il déclarait "regretter grandement Monsieur de Montcalm." (i)

Etranges accusations de la part de celui qui s'était fait à tour de rôle le patron, l'avocat et l'instrument des malfaiteurs officiels qui trichaient le roi et pillaient le peuple. Bigot, Cadet et les autres harpies qui désolaient alors le Canada comptaient sur l'appui de Vaudreuil, et l'obtenaient. îî y avait à peine trois ou quatre semaines qu'il avait écrit à la cour le panégyrique de Bigot et l'éloge de Cadet, avec demande de patentes de noblesse pour ce notoire voleur public. La corruption qui déshonorait son gouvernement fleurissait, non-seulement dans l'admi- nistration civile, mais aussi parmi les officiers des troupes coloniales, qu'il tenait dans sa main. La gangrène, on l'a déjà vu, ne s'étendait pas aux officiers de ligne, qui étaient en dehors du cercle des tripotiers. C'est parmi ceux-ci que Montcalm prenait ses compagnons habituels ; aussi, lorsque Vaudreuil l'accuse d'avoir "attaché à sa personne les gens les plus perdus de réputation et d'avoir employé tous les moyens pour corrompre les plus vertueux," la vraie interprétation à donner à ces paroles est que les uns étaient perdus de réputation parce qu'ils détes-

[i] Vaudreuil au Ministre de la Guerre, ier novembre 1759.

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taient le gouverneur, et les autres des gens vertueux parce qu'ils étaient ses partisans.

Vaudreuil ajoutait encore : <4Je suis au déses- poir, Monseigneur, de me voir dans la nécessité de tracer un tel portrait après la mort de M. le Marquis de Montcalm. Bien qu'il contienne l'exacte vérité, je l'aurais différé s'il n'y avait eu à considérer que la haine personnelle qui l'animait à mon égard ; mais je ressens trop profondément la perte de la colonie pour vous en dissimuler la cause. Je puis vous assurer que, si j'avais été le seul maître, Québec appartiendrait encore au Roi, et que rien n'est plus désavantageux dans une colonie que le mélange des troupes de ligne avec les troupes coloniales. Je connaissais trop bien M. de Montcalm pour douter un instant qu'à moins de condescendre à tous ses désirs, je l'eusse laissé ruiner le Canada et briser tous mes plans.''

Il accuse ensuite le défunt d'avoir perdu la bataille de Québec en attaquant avant que lui, le gouverneur, ne fût arrivé pour prendre le comman- dement : ce qui, dit-il, marquait le parti-pris de Montcalm d'exercer une autorité indépendante, sans s'occuper que la colonie fût perdue ou non. "Je ne puis vous cacher, Monseigneur, que, s'il avait eu les mains libres dans les années passées, Oswego et le Fort George (William Henry) n'auraient jamais été attaqués ni pris, et qu'il dût le succès de Ticonderoga aux ordres que je lui avais donnés.'' Montcalm, de son côté, avait dans le temps déclaré que Vaudreuil lui avait enjoint de ne pas risquer la bataille, et que

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ce n'avait été qu'en désobéissant à cet ordre que Ticonderoga avait été sauvé, (i)

Dix jours après, Vaudreuil écrivait encore : "J'ai déjà eu l'honneur dans ma lettre chiffrée écrite le 30 du mois dernier, de vous donner une esquisse du caractère de Monsieur le Marquis de Montcalm ; mais je viens justement d'être informé d'un acte d'une telle noirceur que je croirais, Monseigneur, manquer à mon devoir en ne le portant pas à votre connaissance." Puis il raconte que, peu avant sa mort, "sans doute par pressentiment de ce qui l'attendait," Montcalm avait déposé aux mains du Père Roubaud, missionnaire à Saint-François, deux liasses de papier contenant des observations sur l'administration de la colonie, et particulièrement sur la manière dont les postes militaires étaient ravi- taillés ; que ces commentaires étaient accompagnés de certificats, et comportaient des accusations de complicité de péculat contre lui, le gouverneur. Roubaud, continuait-il, devait expédier ces papiers en France ; "mais maintenant, Monseigneur, que vous en êtes informé, je n'en ai plus d'inquiétude, et je suis sûr que le Roi ne s'en impressionera pas avant d'en avoir vérifié la vérité ou la fausseté."

Le trouble de Vaudreuil était bien naturel ; il en était de même de l'acte de Montcalm en portant à la connaissance de la cour les outrageants abus qui menaçaient de ruiner le service du roi. Cette initia- tive de sa part était une nécessité, tant pour sa propre justification que pour le bien public, et par la

[1] Vaudreuil au Ministre de la Marine, 30 octobre 1759.

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suite, lorsque Vaudreuil et les autres subirent leur procès à Paris, et que l'un des avocats de la défense accusa le général défunt d'avoir calomnié ses clients, le tribunal ordonna de rayer cette accusation du dossier. (1) Ces papiers dont l'existence, réelle ou non, terrifiait tellement Vaudreuil, ont jusqu'ici échappé aux recherches. Mais la correspondance des deux rivaux avec les chefs de départements dont ils relevaient respectivement a été en grande partie préservée, et, si celle du gouverneur est imprégnée de diffamation contre Montcaîm et de louange pour lui-même, celle du général n'a pas du tout ce cachet d'égoïsme et de dénigrement.

Les défauts de Montcaîm sont assez apparents : c'étaient ceux d'une nature impétueuse, excitable et impatiente, nullement exempte d'ambition ou de vanité ; mais on n'y trouve jamais rien d'inconsistant avec le caractère d'un homme d'honneur. Ses mots vifs, répétés à plaisir par les sycophantes du gouver- neur, tenaient celui-ci dans un état de rage constante; aussi, dépourvu comme Fêtait Vaudreuil de toute grandeur d'âme, constamment rongé de jalousie et de la peur mortelle de se voir compromis par les vilenies auxquelles il s'était prêté, ne pouvait-il se contenir dans les bornes de la décence ou du sang- froid. Dans une autre lettre, il commit la bassesse d'écrire que Montcaîm avait trouvé la mort en cher- chant à fuir l'ennemi.

Dans les accusations portées par le gouverneur, il s'en trouve qui ne peuvent être carrément contre-

[1] Procès de Bigot, Cadet et autres.

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dites. Ainsi, lorsqu'il reproche à son rival sa précipitation à attaquer l'armée anglaise, il touche un point vulnérable ; mais dans l'ensemble ses insultes à l'adresse de Montcalm sont aussi fausses que ses compliments à Bigot et Cadet.

La lettre que Wolfe envoya à Pitt quelques jours avant sa mort, écrite, on peut le dire, dans un moment de résolution désespérée, et représentant le succès comme presque sans espoir, avait créé dans toute l'Angleterre une impression pénible, qui s'était traduite en murmures retentissants contre le minis- tère. Horace Walpole transmit la mauvaise nouvelle en ces termes à son ami Mann, ambassadeur à Florence : " II y a deux jours que sont venues des lettres de Wolfe, empreintes de tout le désespoir que peuvent éprouver les héros. Québec amplement ravitaillé, Arnherst non encore arrivé, et quinze mille hommes campés pour défendre la place. L'ennemi nous a tué beaucoup de monde, nous en avons aussi perdu des mains de nos amis ; en deux mots, nos neuf mille hommes ne sont plus que sept mille. Comment cette petite armée se tirera-t-elle d'affaire, contre le nombre, en cette saison, et dans un pareil pays ? Je ne le devine pas, ou plutôt oui, je m'en doute."

A peine ces lignes étaient-elles écrites que d'autres nouvelles arrivaient : Montcalm défait, Québec pris, Wolfe tué. Un vent d'émotions diverses souffla sur toute l'Angleterre. Walpole lui-même prit un ton presque badin en transmettant une botte de journaux à son ami l'ambassadeur : "Libre à vous maintenant de vous donner tous les airs qu'il vous

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plaira. Un ambassadeur est le seul homme au monde auquel sied la rodomontade. Tous les précé- dents vous sourient : Perses, Grecs, Romains, tous ont insulté leurs voisins chaque fois qu'ils ont pris Québec. Voyez-vous la mine impertinente des Français en pareil cas ? Et quelle scène ! En pleine nuit, une armée se hissant au sommet d'un précipice, s'accrochant aux troncs d'arbres, pour faire Passaut d'une ville et s'attaquer à une armée solidement retranchée et double en nombre ! Le Roi est sub- mergé d'adresses le complimentant sur ses victoires ; il en a de quoi tapisser son palais." (i)

Lorsque plus tard, dans un plus sobre état d'es- prit, il écrivit les annales de son temps, et quitta, peut-être pas pour le mieux, le style épistolaire pour celui de l'histoire, il dépeignit ainsi l'impression produite sur le public anglais par le récit à la fois attendrissant et exaltant de la mort héroïque de Wolfe : "Les péripéties d'une fiction dramatique n'auraient pu être plus adroitement menées pour transporter soudainement le public du décourage- ment le plus profond à la joie la plus intense, que ce que le destin venait de faire pour passionner tout un peuple. On s'était désespéré, maintenant on criait victoire; on pleurait aussi, car Wolfe était tombé au moment du triomphe. La joie, la curiosité, l'éton- nement, se lisaient sur tous les visages. Plus on allait aux informations, plus on s'extasiait. Pas un incident qui ne fut héroïque et émouvant." (2)

[1] Lettres d'Horace 'Walpole, iii, 254, 257, édition Cunningham,

1857-

[2] Walpole, Mémoires de George II, ii, 387.

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L'Angleterre s'incendia de feux de joie. Sur un point seul, tout demeura sombre et silencieux, car il y avait une mère sans époux, qui pleurait la perte d'un fils aimant et aimé, et le peuple ne voulut pas profaner cette douleur par ses cris de réjouissance.

La Nouvelle Angleterre avait encore plus de raisons de se réjouir que la mère-patrie ; tout le pays fut dans la jubilation. Les chaires retentirent de sermons d'actions de grâces, dont quelques-uns furent à la hauteur de l'occasion. L'un de ces orateurs, Jonathan Mayhew, un jeune, mais à bon droit célèbre ministre bostonnais, dépeignit dans un enthousiasme magnifique la future grandeur des colonies anglo- américaines sur ce continent qui leur était désormais ouvert; il prophétisa " qu'elles deviendraient, avec la bénédiction du Ciel, un puissant empire dans un siècle ou deux," ajoutant, en manière de prudente parenthèse : " Je ne veux pas dire un empire indépen- dant." Il avait bien pénétré le sens, finement deviné les lointaines conséquences de la victoire de Wolfe.

Note de M. Parkman sur i<es papiers de Montcalm . Les autorités sur lesquelles s'appuient le chapitre qu'on vient de lire sont, en somme, les mêmes que pour le précédent, sauf quelques additions, dont les principales sont le Mémoire du Sieur de Ramesay, chevalier de V Ordre royal et militaire de Saint-Louis, cy-devant Lieutenant pour le Roy, Com?na?idani à Québec, au™ sujet de la Reddition de cette ville, qui a été suivie de la Capitulation du i8y ybre 1759 [Archives de la marine] . A ce document sont annexées nombre d'importantes "pièces justificatives," lesquelles, avec le Mémoire, ontrété imprimées par la Société Historique de Québec. Les lettres de Vaudreuil citées dans ce chapitre proviennent surtout des Archives Nationales.

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Si Montcalm, comme l'a dit Vaudreuil, confia réellement ses papiers aux soins du missionnaire jésuite Roubaud, il n'eut pas la main heureuse dans le choix du dépositaire. Après la guerre, Roubaud renonça à son ordre, abjura sa foi, et passa aux Anglais. Il a diversement et contradictoirement rendu compte des prétendus documents confiés à sa garde. Dans une occasion, il déclare que les effets de Montcalm qui lui avaient été remis à sa mission de Saint-François avaient été brûlés pour empêcher qu'ils ne tombassent en mains enne- mies (voir Verreau, Rapport sur les archives canadiennes, 1874, 183) . Ailleurs, il dit avoir remis aux mains du roi d'Angleterre certaines lettres de Montcalm (voir M. Roubaud' s déplorable case, humbly sub?nittedto Lord Nortiï s considération, in Historical Magazine, second séries, VIII, 283). Il parle aussi de ces mêmes lettres comme "supposées" (Verreau comme ei-dessus). Il se plaint de ce que quelques-unes aient été publiées sans son consentement, "par un lord appartenant à la maison de Sa Majesté" {M. Roubaud' s Déplorable Case).

Il est ici évidemment fait allusion à un pamphlet imprimé à Londres, en 1777, en français et en anglais, et intitulé : Lettres de Monsieur le Marquis de Montcalm, Gouverneur- Gênerai en Canada, à Messieurs de Berryer et de la Mole écrites dans les Années 1J57, 1758 et 1759, avec une Version Anglaise. Ces écrits sont donnés comme observations de Montcalm sur les colonies anglaises, sur leur caractère politique, leur commerce et leurs tendances à 1' indépendance. Ils portent la marque la plus accen- tuée de fabrication et de mise au point pour l'époque, les colonies étant alors en révolte. La principale lettre est adressée à Mole, et porte la date de Québec, 24 août 1759. Elle prédit à 'Angleterre la perte de ses colonies comme conséquence de sa conquête probable du Canada. J'ai exposé, devant la Société Historique du Massachusetts, les raisons qui portent à croire que cette lettre est, comme le reste, une imposture (voir les Proceedings de cette société en 1869-70, 1 12-128). A ces raisons, on peut ajouter qu'à la date assignée à cette lettre tout échange de correspondance était interrompu entre le Canada et la France. Depuis l'arrivée de la flotte anglaise à

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la fin du printemps, jusqu'à son départ tard en automne, toutes communications furent arrêtées. Ce ne fut que vers la fin de novembre, lorsque le fleuve fut débarrassé des vaisseaux anglais, qne le commandant naval Kanon passa sous les batte- ries de Québec et porta en France les premières nouvelles du Canada. Quelques-unes des lettres qu'il portait étaient datées du mois précédent, et avaient attendu son départ.

L'Abbé Verreau une haute autorité en matières d'his- toire canadienne me dit qu'une confrontation d'écritures l'a convaincu que ces prétendues lettres de Montcalm sont l'œuvre de Roubaud.

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UA flotte était partie, laissant le grand fleuve désert, et les frileuses journées d'un triste mois de novembre déroulaient sur Québec leur succession de pluie et de grésil, de soleil et de neige. Les troupes, que le froid avait chassées de leur camp des Plaines, étaient toutes réunies à l'intérieur des murs ; mais leur propre artillerie avait tellement démantelé la place qu'il n'était guère facile d'y trouver abri. La Basse-Ville était une solitude de ruines calcinées et croulantes. Sur la montée de la rue de la Montagne, le palais de l'évêque, à droite, n'était plus qu'un squelette de branlante maçonnerie ; des maisons bordant la gauche, il ne restait que des monceaux de décombres, des enfants dépenaillés jouaient à la balançoire au travers des planches et des poutres gisantes sur le sol. (i) Dans la Haute-Ville même, un petit nombre d'églises et d'édifices publics avaient échappé aux boulets. De la cathédrale incendiée, il ne restait que les murs. La massive façade du col- lège des Jésuites était toute criblée de boulets de canon sans nombre, et l'église adjacente de l'Ordre était lamentablement dévastée. L'église des Récol- lets avait souffert encore davantage. Les bombes

[i] Croquis pris sur les lieux par Richard Short. Ces dessins, au nombre de douze, furent gravés et publiés en 1761.

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qui avaient passé à travers la voûte s'étaient brisées sur le parquet, et en éclatant avaient fait sortir pêle- mêle les crânes et ossements de leurs cercueils souterrains, (i) A une plus grande distance même, l' Hôtel-Dieu avait été transpercé de quinze projec- tiles, dont quelques-uns avaient fait explosion dans les salles et cellules. (2)

Le commissaire général Berniers décrivit l'aspect de la ville en ces termes dans une lettre à Bourla- maque : "Québec n'est qu'une masse informe de ruines. La confusion, le désordre, le pillage régnent parmi les habitants, et les Anglais font tous les jours des exemples sévères. Chacun court ça et là, sans trop savoir ce qu'il fait. Chacun cherche ce qui lui appartient, et, ne le trouvant pas, s'empare du bien d'autrui. Chez les Anglais comme chez les Français, tout est également à l'état de chaos. Les habitants, affamés et dépourvus de tout, fuient vers la campagne. Jamais on ne vit pareil spectacle.'' (3)

Québec fourmillait de soldats. Il y avait des corps de garde en vingt endroits différents ; les sentinelles arpentaient les remparts, des escouades d'hommes passaient en patrouille, les troupiers en permission circulaient dans les rues, les uns en bonnet à mitre, d'autres en tricornes noirs ; et tout le temps le roulement des tambours, la discipline militaire dans toute sa rigueur, tout parlait encore d'imminent danger. Si une partie de la population avait quitté

[1] Views in Québec de Short, 1759. Confronter Pontbriand, N. Y. Col. Doc, X., 1057.

[2] Casgrain, Hôtel-Dieu de Québec, 445.

[3] Berniers à Bourlamaque, 27 septembre 1759.

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la ville, il en resta bon nombre qui ne savaient se réfugier. Ils se montraient civils pour les vain- queurs, mais ne disaient guère de bien de leur ancien gouverneur. "Les citoyens, dit Knox, les femmes surtout, ne perdent aucune occasion de blâmer M. Vaudreuil, et s'emportent alors en amères invec- tives.'' Le même chroniqueur vante les manières agréables et l'enjouement des dames canadiennes, et voici ce que dit un autre officier au même sujet : "Il est vraiment surprenant de voir avec quelle bonne grâce ces joyeuses créatures supportent une infortune qui nous paraîtrait intolérable. Dans les familles que les calamités de la guerre ont fait tomber des douceurs du luxe à l'extrême indigence, on rit, on danse, on chante, et l'on se console d'un mot : fortune de guerre. Les jeunes personnes se mettent en quatre pour apprendre à nos officiers à parler français ; j'ignore dans quel but, à moins que ce ne soit pour s'entendre louer, flatter et courtiser sans perte de temps/ 1)

Knox était logé dans une étable exiguë, avec fenil au-dessus et un râtelier avec mangeoire d'écurie au bout ; meilleurs quartiers encore que ceux de nombre de ses camarades de même grade ; il raconte qu'avec un poêle et l'aide d'un menuisier, il put se donner un bien-être passable. Le changement lui fut tout de même agréable le jour il reçut l'ordre d'aller passer une semaine à l'Hôpital-Général, à un mille hors de a ville, il avait le commandement

[1] Alexander Campbell à John Lloyd, 22 octobre 1759. Campbell était lieutenant dans les Highlanders ; Lloyd était un négociant dans Connecticut.

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de la garde qui y était stationnée pour protéger les malades et guetter l'ennemi. se trouvaient réunis les invalides et blessés des deux armées, qui étaient l'objet d'une sollicitude égale de la part des sœurs, dont Knox parle avec gratitude et respect. "Lorsque nos pauvres camarades étaient assez malades pour être, par ordre, transférés de l'odieux hôpital du régiment à cette maison centrale, c'était pour eux un bonheur inexprimable. Chaque patient y a son lit à rideaux, à lui attribué en propre, et une infirmière pour le soigner. Chaque officier malade ou blessé a une chambre à lui, et est servi par l'une des reli- gieuses, qui en général sont de jeunes personnes accortes, d'une exquise politesse et d'une extrême réserve, et très respectueuses. La tâche d'hospitalière leur donnerait bien des occasions de prendre de grandes libertés si elles le voulaient ; je n'ai jamais ouï dire qu'une seule ait été accusée du moindre acte de légèreté.'' Les sœurs, de leur côté, furent enchan- tées de la conduite de leurs nouveaux maîtres ; l'une d'elles en parle comme "les plus réservés de tous les conquérants."

"Je vécus ici, poursuit Knox, à la table du Roi de France, dans la société agréable et polie des officiers, directeurs et commissaires. Quelques-uns de ces messieurs étaient mariés, et leurs épouses nous honoraient de leur compagnie. En général, elles se montraient enjouées, excepté quand nous faisions tomber la conversation sur la récente révo- lution et sur les affaires de la campagne ; alors elles donnaient libre cours à leur chagrin, en poussant de

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profonds soupirs suivis d'un: " O mon Dieu'" Knox se promenait dans les jardins avec les officiers français, jouait aux cartes avec eux ; enfin il passa le temps si agréablement que son court séjour à l'hôpital lui parut une oasis dans sa rude carrière de camp et de garnison.

Mère Sainte-Claude, la Supérieure, qui était la sœur de Ramesay, l'ancien commandant de Québec, lui envoya un matin une note d'invitation à ce qu'elle appelait un déjeuner anglais ; et, bien que le menu fût tout-à-fait étranger à ses notions gastro- nomiques, il dit qu'il y fit grand honneur, "et passa près de deux heures des plus agréables en la compagnie de cette respectable dame et de ses virginales sœurs."

Les excellentes religieuses de l'Hôpital-Général sont encore aujourd'hui ce que furent leurs devan- cières, et le théâtre de leurs bonnes œuvres ressemble toujours sur bien des points à celui que décrivit la plume exercée de leur hôte militaire d'alors. Pendant toute la guerre, elles et les hospitalières de l'Hôtel- Dieu s'étaient montrées au-dessus de tout éloge par leur dévouement assidu auprès des malades et des blessés.

Le Brigadier Murray, devenu commandant de Québec, était un brave militaire, droit, humain, géné- reux, brûlant de se distinguer et plutôt téméraire que prudent. Il traita amicalement les Canadiens, lança des ordres sévères contre ceux qui les moles- teraient dans leurs personnes ou dans leurs biens, fit pendre un soldat qui avait spolié un citoyen et en

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punit sévèrement d'autres pour offenses de même nature, même moins graves. Les soldats eux-mêmes se montrèrent en général bons pour les vaincus ; on les vit à l'époque des récoltes leur donner un coup de main sans rémunération pour moissonner le grain, et partag-er avec eux leur tabac et leurs rations. Les habitants furent désarmés et appelés à prêter le serment d'allégeance. Au printemps, Murray fit rapport que tout le pays, depuis le Cap Rouge jusqu'au bas du fleuve, était soumis à la couronne britannique, (i)

Tard en octobre, le bruit se répandit que quel- ques-uns des vaisseaux français en rivière au-dessus de Québec s'apprêtaient à franchir les batteries. Il s'agissait de l'escadre qui était arrivée au printemps avec les ravitaillements, et qui avait passé tout l'été à Batiscan, dans le Richelieu et en d'autres mouil- lages à l'abri des Anglais. Après près d'un mois d'attente, ils parurent enfin, jetèrent l'ancre au large de Sillery le 21 novembre, et tentèrent de passer devant la ville dans la nuit du 24, à la faveur d'une profonde obscurité. Sept ou huit réussirent ; quatre autres allèrent à la côte et furent mis en feu par les équipages, à l'exception d'un qui s'échoua sur la rive sud et fut abandonné. Le capitaine Miller, avec un lieutenant et une quarantaine d'hommes, l'aborda, et à ce moment, probablement par une imprudence des hommes, le navire sauta. (2) La majeure partie de l'expédition fut tuée, et les

[1] Murray à Pitt, 25 mai 1760. Journal de Murray, 1759- 1760. [2] Murray à Ainkerst, 25 janvier 1760. Non. comme l'ont cru quelques-uns, par une mine allumée par les Français.

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autres, parmi lesquels se trouvaient les deux officiers, restèrent gisants dans un horrible état, entre la vie et la mort, jusqu'à ce qu'un Canadien, s'étant aventuré à bord en quête de pillage, et les ayant découverts, appela ses voisins à son aide, les trans- porta dans sa maison, ou il leur administra, avec la plus grande bonté, les simples remèdes dont il disposait ; il alla ensuite porter la nouvelle du désastre à Québec. Heureusement pour eux-mêmes, les mutilés expirèrent bientôt.

Avec décembre vint l'hiver canadien, avec ses éclatantes blancheurs, ses nappes de neige glacée et éblouissante, et ses bises pénétrantes qui brûlent la peau comme des tisons. La gelée mordait cruelle- ment les hommes pendant qu'ils creusaient les tranchées dans les bancs de neige amoncelés par le vent, le long des remparts.

Les sentinelles étaient relevées d'heure en heure, ce qui n'empêchait pas les pieds et es mains de geler constamment. L'équipement des troupes n'allait guère à ce rude climat ; on avait bien monté des calorifères ans les corps de garde et casernes, mais l'approvisionnement de combustible était sou- vent épuisé. Pendant plusieurs semaines, le coupage et le hâlage du bois furent la grande occupation de la garnison. Des partis de bûcherons, sous bonne escorte, travaillaient en permanence dans la forêt de Sainte-Foy, à quatre ou cinq milles de Québec, et les billots étaient amenés en ville sur des traîneaux auxquels s'attelaient les soldats. Ils se mettaient huit par traîneau, deux à deux, et comme il y avait

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à craindre les Sauvages ou les coureurs de bois, chaque homme portait le mousquet à la grenadière sur le dos. Travail prodigieusement rude, car la fréquence des tempêtes de neige obligeait le plus souvent les partis de bois à se battre un chemin nouveau dans une neige épaisse et durcie. La bonne humeur des hommes était admirable au milieu de ces misères. L'un de ces partis en rentrant en ville un jour, traînant leur charge de bois dans la rue, lit la rencontre d'un Canadien qui faisait tirer son bois par des chiens dont l'attelage ressemblait au leur. Et les hommes d'accoster les pauvres bêtes comme des camarades, des compagnons de chaîne, des frères ; de leur demander plaisamment quelle était leur ration de lard et de rhum, et finalement de les inviter, eux et leur maître, au mess de la caserne.

L'aspect des troupes lorsqu'elles étaient de service en ville n'était guère moins excentrique, si l'on en juge par cette description de Knox : "Aux grandes parades, nos hommes font la plus grotesque figure dans leurs accoutrements disparates ; ce que nous avons inventé pour nous garder du froid dans ce rigoureux climat est d'une diversité qui dépasse toute imagination. L'uniformité et l'élégance du soldat bien astiqué et propre disparaissent ici sous la lourde fourrure du Lapon engourdi ; nous avons plutôt l'air d'une mascarade que d'un corps de troupes régulières, si tant est que plus d'une fois des connaissances m'abordent, et bien que leur voix me soit familière, il m'est absolument impossible de les reconnaître, de concevoir même qui elles sont.

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Ajoutez à cela que tout le monde a l'air d'être dans une perpétuelle précipitation ; au lieu de marcher dans la rue comme des g-ens sensés, nous sommes obligés de garder le pas redoublé et d'aller au trot."

Au commencement de janvier, il y eut une tem- pête de grésil, suivie d'une forte gelée, qui couvrit les rues d'un verglas luisant. Knox, ayant eu ordre de monter la garde à la Basse-Ville, trouva la des- cente de la rue de la Montagne tellement glissante que, comme il était impossible de s'y aventurer debout avec sécurité, surtout parceque les mousquets des hommes étaient chargés, la troupe entière ne trouva rien de mieux que de s'asseoir sur le sol et de se laisser glisser dans cette posture, l'un après l'autre, jusqu'au pied de la colline. Les Highlanders, avec toute leur endurance naturelle, avaient plus à souffrir du froid que les autres régiments, leur costume national étant une piètre protection contre les rigueurs d'un hiver canadien. Pendant qu'un déta- chement de ces guerriers malenculottés était de garde à l'Hôpital Général, les bonnes sœurs employèrent leurs rares loisirs à leur tricoter de longs bas de laine, qui furent acceptés avec reconnaissance, sans qu'on ait jamais su si le cadeau avait été inspiré par un mouvement de pudeur ou un sentiment de générosité.

Dès le moment les Anglais avaient pris possession de Québec, on entendait souvent dire par les déserteurs que Lévis projetait d'attaquer et de reprendre la ville. De bonne heure en novembre, le bruit courut qu'il était sur le point de marcher sur

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Québec à la tête de quinze mille hommes. La nou- velle vint en décembre qu'il était en route, bien résolu à prendre la ville d'assaut vers le 22 du mois, de manière à pouvoir prendre le dîner de Noël intra muros, sous le drapeau français. Il ne vint pas ; mais en janvier, un déserteur rapporta que Lévis avait tout un attirail d'échelles d'escalade, et qu'il en faisait faire l'exercice à ses hommes par des simu- lacres d'assaut sur des remparts en neige. Mais il y avait des signes plus tangibles que tout cela d'une reprise d'activité chez l'ennemi. Murray avait établi deux postes avancés, l'un Sainte-Foy, l'autre plus loin encore, à l'Ancienne Lorette. Or, des partis de guerre rôdaient dans le voisinage de l'un et de l'autre, et tenaient les petites garnisons en alerte continuelle. Un nombreux corps de grenadiers français fit son apparition au dernier endroit en février, et s'empara d'un troupeau de bétail ; mais un détachement de "rangers,'' bien inférieur en nombre, se lança à leur poursuite, les mit en fuite et reprit le troupeau. Vers le même temps un parti de réguliers, de Cana- diens et de Sauvages, ayant pris une forte position près de l'église de la Pointe de Lévis, fit dire aux officiers anglais qu'il y avait une grande société de perruquiers experts qui leur offraient leurs services, tout prêts à les coiffer quand ils le voudraient : allusion évidente à la pratique du scalp des Sau- vages et des coureurs e bois.

Comme le fleuve était solidement gelé, Murray envoya de l'autre côté un détachement d'infanterie légère sous le commandement du major Dalling. Il

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s'en suivit une affaire très vive sur la neige, autour de l'église et dans la forêt voisine, les soldats anglais, qui avaient appris des "rangers'* l'usage des raquettes mirent l'ennemi en déroute, et en tuèrent ou firent prisonniers un grand nombre. Un troisième poste fut alors établi dans l'église et le presbytère adjacents. Quelques jours après, les Français revin- rent en force, se fortifièrent derrière des abattis, et attaquèrent la position anglaise. Comme la fusillade fut entendue de Québec, l'infanterie légère se porta au lieu de l'action, et Murray lui-même suivit sur la glace, avec les Highlanders et d'autres troupes. Avant son arrivée, les Français s'étaient retirés derrière leurs retranchements, où, attaqués à leur tour, ils furent bientôt mis en fuite, non sans avoir laissé quelques-uns des leurs aux mains des agiles Highlanders, pendant que le plus grand nombre s'échappaient.

Lorsqu'il fut connu que les Français tenaient une forte position au Calvaire, près de Saint-Au- gustin, à deux jours de marche de Québec, le capitaine Donald McDonald y fut envoyé avec cinq cents hommes pour en faire l'assaut. Il trouva l'ennemi derrière un retranchement de troncs d'arbres protégé par un abattis. L'infanterie légère avança en faisant pleuvoir une grêle de balles sur l'ennemi, sur quoi celui-ci mit bas ses armes et prit la fuite. Environ quatre-vingts d'entre eux furent capturés ; mais leur commandant, Herbin, échappa, laissant aux vainqueurs sa montre, son chapeau à plume, son vin, sa cave de liqueurs, et jusqu'à sa maîtresse.

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Les Anglais eurent six hommes blessés et près d'une centaine mordus par la gelée, (i)

Le capitaine Hazen et ses "rangers'' eurent peu après une remarquable escarmouche. Ils étaient apostés dans une maison non loin de la station de Lorette. Un éclaireur étant venu les prévenir qu'un gros parti ennemi arrivait pour les attaquer, Hazen laissa un sergent avec quatorze hommes dans la maison, et partit pour Lorette avec le reste pour demander du renfort. En route, il rencontra les Français, qui tentèrent de le cerner. Il ordonna alors à ses hommes de se replier sur la maison, mais ceux- ci se récrièrent, disant qu'ils se sentaient de force à montrer aux réguliers que les provinciaux savaient se battre aussi bien que les habits rouges. Là-dessus, ils chargèrent l'ennemi, lui tirant à bout portant une décharge de plomb de chasse et de balles et le met- tant en fuite ; mais à peine avaient-ils rechargé leurs fusils, qu'ils se sentaient attaqués par derrière. Un autre corps d'assaillants les avait tournés pour leur couper la retraite. Les "rangers'' firent volte-face, attaquèrent à leur tour et repoussèrent ces agresseurs comme ils avaient fait des premiers. Les deux groupes français se réunirent alors, laissant Hazen poursuivre sa marche, et allèrent attaquer les qua- torze hommes restés dans la maison, qui les reçurent par un feu nourri. Hazen et sa troupe, ayant entendu la fusillade, s'empressa de revenir et tomba sur l'arrière-garde des Français pendant que les

[i] Knox, ii, 275. Journal de Murray. Journal de Fraser. Vaudreuil, à sa manière ordinaire, multiplie par trois la force anglaise.

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autres, sortant de la maison, les attaquaient de front. Nouvelle déroute ; les "rangers" poursuivirent l'en- nemi à une distance de deux milles, lui tuant six hommes et en capturant sept. Knox, qui d'ordinaire n'est pas tendre pour les provinciaux, s'épanche cette fois en vifs éloges de ceux qu'il appelle "nos braves gens de la Nouvelle-Angleterre."

Le bruit avait couru de temps à autre que les Français rassemblaient leurs forces pour reprendre Québec ; vers la fin de février, ces rumeurs prirent une forme plus définie. Un déserteur de Montréal apporta à Murray une lettre d'un officier de rangers, qui était prisonnier dans la place, l'avertissant que onze mille hommes étaient sur le point de marcher contre lui. Peu après, la nouvelle était confirmée par trois autres déserteurs, qui cependant ajoutaient que le plan avait subi un échec. Comme on avait l'inten- tion d'emporter la ville d'assaut, il y avait eu un simulacre d'attaque au moyen d'échelles d'escalade montées sur le long-pan d'une église ; mais les Canadiens s'étaient lancés à l'assaut avec une telle furie que l'unique conséquence avait été un nombre infini de bras rompus, de jambes et têtes cassées, sans compter les contusions, dislocations et blessures de toutes sortes ; de dégoût, ajoutait-on, la tentative avait été abandonnée. Tout demeura paisible jusqu'au milieu d'avril ; la garnison reçut alors des avis réitérés qui causèrent qnelque émotion : toutes les forces du Canada allaient leur tomber dessus dès le départ des glaces. Murray ordonna en conséquence à

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toute la population française de sortir de la ville sous trois jours, (i)

A certains points de vue, l'esprit des troupes était excellent. Elles avaient généralement eu la main heureuse dans la petite guerre de l'hiver écoulé, s' étant révélées de taille à faire face aux coureurs de bois et aux Sauvages sur leur propre terrain, ce qui faisait dire au sergent Johnson, dans son style imagé: " Très souvent un petit nombre de nos hommes suffirent à dérouter de grandes bandes de ces canni- bales." Les soldats commençaient à se regarder comme des invincibles, tout de même ils avaient les meilleures raisons d'être inquiets. La force effective de la garnison se trouvait réduite de plus de la moitié ; de ceux qui restaient en état de combattre, à peine y en avait-il un seul qui fût entièrement exempt du scorbut. Les hommes de troupe manquaient de vivres fraîches ; et, en dépit de toutes les précautions, cette vilaine maladie, avec la fièvre et la dysenterie, ne faisait guère moins de ravages dans les rangs qu'elle n'en avait fait deux siècles auparavant, au même endroit, parmi les équipages de Jacques Cartier. Sur environ sept mille hommes qui étaient restés à Québec à l'automne, à peine plus de trois mille étaient en état de servir le 24 avril. (2) Environ sept cents avaient été enterrés temporairement dans la neige, le sol gelé étant aussi impénétrable que le roc.

Vaudreuil était encore à Montréal, il prétend

[1] Ordonnance faite à Québec, le 21 avril 1760 par Son Excellence acques Murray.

[2] Return of the présent state of His Majestés forées in garrison ai Québec, 241k April, 1760. [Public Record Office.]

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être arrivé " juste à temps pour prendre les mesures les plus judicieuses pour empêcher le Général Amherst de pénétrer dans la colonie.'' (1) Durant l'hiver, quelques-uns des réguliers français étaient restés en garnison dans les postes avancés, le reste prenant ses quartiers chez les habitants ; les Cana- diens avaient été renvoyés dans leurs foyers, sauf à reprendre les rangs à l'appel du gouverneur. Lui- même et Lévis avaient bon espoir de reprendre Québec. Il avait ses agents et ses espions parmi les soldats de Murray : et, bien que les citoyens eussent juré allégeance au roi George, quelques-uns d'entre eux étaient très utiles à l'ennemi. Vaudreuil recevait constamment des renseignements sur la situation de la garnison. Il avait dans le scorbut un allié actif et puissant, et il le savait, de même qu'il savait que les hôpitaux et les maisons de Québec étaient encombrés de malades. A la fin de mars, il était informé que plus de la moitié des Anglais étaient sur la liste des invalides ; c'était la rumeur courante que Murray n'avait qu'une couple de mille hommes en état de porter les armes. (2) Même en tenant compte de l'exagération de ces rapports, il était évident que les Français pouvaient attaquer l'ennemi avec des forces écrasantes.

La difficulté était de trouver des moyens de transport. L'épaisseur de la neige et le manque de bêtes de trait rendaient nécessaire d'attendre que le fleuve fût navigable ; cependant les préparatifs de l'expédition commencèrent sur-le-champ. Lévis était

[1] Vaudreuil au Ministre, 30 octobre 1759. [2] Vaudreuil au Ministre, 15 avril 1760.

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l'âme de l'entreprise. Les vivres furent convoyées de tous côtés ; le canon, les mortiers et munitions de guerre furent retirés des postes de la frontière, et l'on fixa à la gueule des fusils des couteaux de boucherie en guise de baïonnettes. Tout ce qu'il y avait d'arti- sans à Montréal fut employé à fabriquer des outils et des trains d'artillerie. Les marchands durent fournir des marchandises, et certains articles qu'on ne pouvait se procurer autrement furent levés en contrebande, avec une adresse extraordinaire, de Québec même, (i) De bonne heure au printemps, les milices reçurent ordre de se préparer à marcher. Il y eut des hésita- tions, du mécontentement, mais, dit un contemporain, "les gens sensés n'osaient parler, car autrement ils s'exposaient à se faire traiter comme des Anglais.'* Quelques-uns, dans l'intimité, parlaient du plan de Lévis comme d'une folie ; le projet était cependant tout à fait rationnel, bien conçu et conduit avec énergie et habileté. Il restait encore en rivière deux frégates, deux sloops de guerre et un certain nombre de moindres vaisseaux, sous le commandement de Vauquelin, ce brave officier qui s'était distingué au siège de Louisbourg. Les marchandises et canons furent embarqués sur ces vaisseaux, l'armée dans une flottille de bateaux, et le 20 avril tout le convoi partait pour le siège de l'action. Il comprenait huit bataillons de troupes de ligne et deux de troupes coloniales, avec l'artillerie coloniale, 3,000 Canadiens et 400 Indiens. L'effectif total, au dire de Lévis, était ;au départ de Montréal, de 6,910 hommes, outre le

[r] Vaudreuil au Ministre, 23 avril 1760.

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contingent sauvage ; et cette force se grossit en route des garnisons de Jacques-Cartier, de Deschambault et de la Pointe-aux-Trembles, de même que de renforts canadiens raccolés sur les deux rives du Saint-Laurent en bas de Trois-Rivières ; car Vaudreuil avait ordonné aux capitaines de milice de rallier son dra- peau avec toutes leurs forces, armes et équipages, sous peine de mort. (5) Tous ces renforts paraissent avoir porté son armée à huit ou neuf mille hommes. Les glaces étaient encore attachées aux rivages, le temps était mauvais et la navigation difficile ; l'armée débarquait tout de même le 26 à Saint- Augustin, franchissait la rivière du Cap-Rouge sur des ponts improvisés, et marchait sur l'avant-poste des Anglais à l'Ancienne Lorette. Ceux-ci l'aban- donnèrent et se replièrent sur Sainte-Foy. Lévis les suivit. La nuit venue, un grand vent s'éleva du Sud-Est, avec pluie battante et force coups de ton- nerre, chose remarquable pour la saison. La route, en fort mauvais état, traversait le marécage appelé la Suède. Chaussées et ponts se rompaient sous le poids des colonnes en marche, précipitant les hommes dams l'eau, la vase et la glace à moitié fondue. " Ce fut une nuit affreuse, dit Lévis ; il faisait si noir que sans la lueur des éclairs nous aurions été forcés de faire halte." Le petit jour trouva l'avant-garde sur la lisière du bois qui bordait l'extrémité du marécage. L'orage s'était apaisé ; les soldats voyaient devant eux, à travers le brouillard à une distance de quelques centaines de verges, la pente d'un coteau sur lequel

[5] Vaudreuil aux Capita nés de Milice, 16 avril 1760.

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se dressait l'église de Sainte-Foy, avec une rangée d'habitations canadiennes s'étendant à perte de vue à droite et à g*auche. Ce coteau était le versant du plateau de Québec ; le même qui, en approchant de la ville, à cinq ou six milles vers la gauche, prend le nom de Côte d'Abraham et de Côte Sainte-Geneviève. L'église et les maisons étaient occupées par des troupes anglaises qui, en voyant les Français débou- cher du bois, ouvrirent le feu sur eux avec du canon et les forcèrent à reculer. Bien que la pente fût légère en cet endroit, la position était forte ; cepen- dant, si Lévis eût su qu il avait affaire à bien peu de monde, il aurait pu emporter la place d'assaut. A tout événement, il résolut d'attendre la nuit, et alors de prendre l'ennemi de flanc par un mouvement vers la droite en longeant le bois.

C'était le dimanche matin, 27 avril. Jusqu'à une heure avancée la nuit précédente, Murray et la garnison de Québec ignoraient que le danger fût imminent ; et encore ne Papprirent-ils que par un singulier hasard. Peu après minuit, l'homme de quart à bord de la frégate le Racehorse, qui avait hiverné dans le dock de la Basse-Ville, entendit un faible cri de détresse dans les ténèbres qui couvraient le fleuve. Le capitaine Macartney en fut prévenu sur-le-champ ; par humanité, il envoya une chaloupe au large, à travers les glaces en dérive que la marée montante charriait alors. Guidés par la voix de plus en plus affaiblie qui appelait au secours, les matelots trouvèrent un homme étendu sur une grande ban- quise de glace, trempé jusqu'au os, et à demi-mort

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de froid ; non sans peine, ils réussirent à le traîner jusqu'à leur embarcation, et l'amenèrent à bord du navire. Un long temps s'écoula avant qu'il pût s'exprimer intelligiblement ; mais enfin, ayant été ranimé au moyen de cordiaux et de médicaments, il trouva la force de dire à ses sauveurs qu'il était sergent d'artillerie dans l'armée qui venait reprendre Québec ; il raconta qu'en cherchant à atterrir un peu au-dessus de Cap-Rouge, son embarcation avait chaviré, que ses compagnons s'étaient noyés, et que lui-même n'avait pu se sauver qu'en se hissant sur le banc de glace on l'avait recueilli ; qu'il avait été porté par le reflux jusqu'à l'Ile d'Orléans, et ramené du côté de Québec par la marée montante ; enfin, que Lévis marchait sur la ville à la tête de douze mille hommes.

On le plaça sur un hamac et on le transporta par la rue de la Montagne aux quartiers du Général, qui fut tiré du lit à 3 heures du matin pour écouter son récit. Les troupes eurent ordre de prendre les armes, et peu après le lever du jour, Murray sortait de la ville avec dix pièces de canon et plus de la moitié de la garnison. Son principal objet était de ramener les avant-postes de Sainte-Foy, de Cap-Rouge, de Sillery et de l'Anse du Foulon. L'orage avait fait place à une pluie fine et glacée, qui trempa bientôt jusqu'aux os les hommes, péniblement attelés aux canons dans la neige et la boue. A peine eurent-ils atteint Sainte-Foy, qu'ils ouvrirent de la hauteur un feu nourri sur les fourrés l'armée entière de Lévis se trouvait alors à couvert ; dans l'après-midi, ayant

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été rejoints par les troupes des différents avant- postes, ils retournaient à Québec, après avoir fait sauter l'église, parce qu'elle contenait un dépôt de munitions qu'il ne leur était pas possible d'emporter. A la rentrée en ville, une roquille de rhum fut servie à chaque homme ; on démolit plusieurs maisons du faubourg Saint-Roch pour faire du feu afin de sécher leurs vêtements, puis on leur permit de se reposer tant bien que mal jusqu'au lendemain. Dans Pin- tervalle, les Français avaient pris possession des hauteurs abandonnées ; les uns s'étaient installés dans les habitations, granges et hangars de Sainte- Foy et du voisinage, les autres, des Canadiens pour la plupart, avaient traversé le plateau pour chercher un abri dans le village de Sillery.

Murray avait trois alternatives. Il pouvait défendre Québec, ou se fortifier hors des murs sur les Buttes à Nepveu, ou encore attaquer Lévis à tout risque.

Les fortifications de Québec n'étant pas en état de supporter la canonnade, il avait depuis longtemps projeté de retrancher l'armée sur les Buttes à Nepveu, qui offraient une position plus avantageuse pour la défensive ; mais la gelée, qui avait rendu le sol aussi dur que la roche, n'avait pas jusque-là permis l'exécution du projet. En ce moment même, bien que la croûte fut dégelée, les couches inférieures étaient encore assez dures pour rendre le travail de tranchée extrêmement difficile, même si les Fran- çais lui en eussent laissé le temps. Murray était jeune d'âge, il l'était encore davantage de caractère.

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Il était tout feu, sans peur et plein d'ambition ; il brûlait d'être l'émule du célèbre Wolfe. "L'ennemi, écrivait-il peu après à Pitt, était, il est vrai, bien supérieur en nombre ; mais voyant que notre petite armée était habituée à battre cet ennemi, que nous avions un très beau train d'artillerie de campagne, qu'en nous enfermant dans les murs, toutes nos chances se trouvaient limitées à la possibilité de tenir bon assez longtemps derrière de méchantes fortifi- cations, je résolus d'offrir la bataille moi-même ; après la demie de 6 heures du matin, nous marchions avec toutes les forces dont je disposais, savoir : 3,000 hommes." (1) Quelques-uns des combattants avaient d'eux-mêmes quitté l'hôpital, dans leur impa- tience d'être de la partie.

La pluie avait cessé ; tout de même, lorsque la colonne émergea hors de la porte Saint-Louis, le spectacle qui s'offrit à ses yeux n'était guère enga- geant. Pas encore le moindre signe printanier. Chaque buisson, chaque arbre dénudé, suintait une humidité noirâtre, visqueuse; sur les versants du côté du Sud, la terre apparaissait par taches boueuses ; partout ailleurs, elle était couverte de neige, ça et amoncelée par bancs, et détrempée par la pluie ; chaque ornière, chaque dépression de terrain était remplie de ce mélange bourbeux de neige à moitié liquéfiée auquel les écoliers de la Nouvelle-Angleterre ont donné le nom de "slush'', car le sol était encore trop profondément gelé pour absorber cette humi- dité. Les troupes avaient avec elles deux obusiers et

[1] Murray à Pilt, 25 tnai 1760.

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vingt pièces de campagne, pris sur l'ennemi lors de la reddition de Québec ; ces pièces faisaient partie de la batterie même que Ramesay avait refusé d'envoyer à Montcalm au combat de l'automne précédent. Faute de chevaux, le canon était traîné par des soldats, d'autres portaient des pics et des bêches, car ne semble pas que Murray eût encore à cette heure définitivement arrêté s'il se fortifierait ou s'il offrirait le combat. On avança ainsi à une distance d'un demi-mille ; lorsqu'elle eut atteint les Buttes à Nepveu, l'armée se forma en ordre de bataille en ligne avec le versant extrême des Buttes, précisé- ment sur le même terrain qu'avait occupé Montcalm le matin de sa mort.

Murray s'avança plus loin, en reconnaissance. Immédiatement en avant de lui, le terrain faisait renflement, et au-delà de cette éminence, à une distance d'un mille au plus, s'étendait une forêt appelée le Bois de Silîery. Plus près à sa gauche, il pouvait apercevoir deux blockhaus bâtis par les Anglais l'automne d'avant, non loin du bord du plateau qui dominait l'Anse du Foulon, Wolfe avait escaladé la hauteur. A droite, sur la cime opposée du plateau, étaient une maison et un moulin à vent fortifié, propriété d'un certain Dumont. Les blockhaus, le moulin et l'éminence intermédiaire étaient occupés par l'avant-garde de l'armée de Lévis. Il pouvait entrevoir le gros de l'armée défilant le long du chemin de Sainte-Foy, puis chaque bataillon à tour de rôle tournant à angle droit pour se déployer rapidement à travers îe plateau sur la

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lisière du Bois de Sillery. Les deux brigades de la première colonne avaient déjà atteint les blockhaus du côté de l'Anse du Foulon, et s'étaient formées comme aile droite de la ligne française ; mais les autres n'étaient pas encore en position.

En voyant cela, Murray se sentit fouetté ; il pensa qu'il ne fallait pas laisser perdre une occasion aussi favorable et ordonna à ses troupes de marcher. Sa ligne se composait de huit bataillons, soit un peu plus de 2,000 hommes. Cinq cents hommes espacés entre les bataillons traînaient les canons dans la boue et la neige, et à une faible distance en arrière, venait la réserve, composée de deux bataillons. Le flanc droit était couvert par l'infanterie légère de Dalling ; le flanc gauche par la compagnie de "rangers" de Hazen et une centaine de volontaires commandés par le major McDonald. Toute cette force se porta en avant jusqu'à ce qu'elle eût presque atteint le terrain s'était formée l'armée de Wolfe. Alors l'artillerie fut mise en action et ouvrit le feu sur les Français avec un tel effet que Lévis, qui che- vauchait au milieu du champ de bataille, envoya dire au corps de son aile gauche de se rejeter sous le convert du bois. Ce mouvement causa quelque désordre. Murray s'y méprit, croyant que l'ennemi retraitait, et ordonna d'avancer de nouveau. La ligne anglaise tout entière s'ébranla impétueusement en convergeant sur la droite, ce qui lui fit perdre l'avan- tage de la position qu'elle avait d'abord occupée, et les bataillons de droite se trouvèrent bientôt dans des terrains bas, pataugeant dans la neige détrempée

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qui par endroits les embourbait à hauteur du genou. Le canon ne put bientôt plus servir effectivement. Juste en avant, coulait au fond d'un ravin un petit ruisseau, serpentant dans une vase molle mêlée de neige délayée, précipitant ensuite sa course vers le versant de droite, pour se perdre enfin dans le pré de la vallée Saint-Charles. A quelques perches en avant de ce cours d'eau se trouvaient la maison et le moulin à vent de Dumont, qu'occupaient cinq com- pagnies de grenadiers français. L'infanterie légère s'empressa d'attaquer de ce côté. Il s'en suivit une furieuse fusillade, jusqu'à ce qu'enfin les Français cédassent, et les vainqueurs se précipitèrent en avant pour profiter de leur avantage. Cette ardeur leur coûta cher. Les corps de la gauche française qui s'étaient retirés sous bois purent maintenant quitter leur retraite, puisque le canon avait cessé de jouer ; ils s'avancèrent sans ordre, mais avec une extrême impétuosité, guidés par un intrépide vieil officier, le colonel Dalquier, du régiment de Béarn. Une balle dans le corps ne put l'arrêter. L'infanterie légère fut accablée, et ceux qui échappèrent à la mort furent rejetés en désordre sur les bataillons qui les suivaient, et en avant desquels ils restèrent pendant quelques minutes, en groupes épars, empêchant les troupes de tirer sur les Français qui avançaient toujours, ayant eu ainsi le temps de reformer les rangs. Finalement, l'infanterie légère put laisser le champ libre et se retirer en arrière, où, ayant perdu presque tous ses officiers, elle demeura inactive jusqu'à la fin de la bataille. Une nouvelle lutte s'engagea pour la

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possession de la maison et du moulin de Dumont, dont les Français s'emparèrent encore pour en être de nouveau chassés ; et, comme par une entente tacite, de part et d'autre on les laissa inoccupés pendant quelque temps. Pendant plus d'une heure, ce fut une chaude et rude mêlée. "Nous les repous- sâmes tant que nous eûmes des munitions pour nos canons," dit le sergent Johnson ; mais la munition manquait, et il ne servait plus à rien d'en avoir, attendu que, dans le langage pittoresque du sergent, "les chariots étaient empêtrés dans des fondrières de neige" (bagged in deep pits 0/ ' snow).

Pendant que ces choses se passaient sur l'aile droite des Anglais, leur aile gauche était encore plus maltraitée. comme ici, la marche en avant pro- duisait des effets non moins désastreux. Elle avait amené les troupes à proximité du bois dont la lisière convergeait circulairement dans cette direction, don- nant l'avantage à l'arrière-garde des Français ; de cet endroit, les Canadiens, à l'abri des arbres, faisaient pleuvoir une grêle meurtrière sur l'ennemi. comme sur la droite, Lévis avait ordonné à ses troupes de se replier pour un temps ; mais, lorsque le feu des canons anglais eut cessé, elles avaient de nouveau marché en avant, et leur artillerie, bien que consistant en trois pièces seulement, joua son rôle avec grand effet. Les "rangers" de Hazen et les volontaires de MacDonald attaquèrent et prirent les deux blockhaus voisins, mais ne purent s'y maintenir. Hazen fut blessé, MacDonald tué, et les troupes écrasées. Les bataillons anglais tinrent bon jusqu'à

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ce que les Français, dont la supériorité en nombre leur permettait de se déployer des deux côtés de la ligne anglaise, eussent furieusement attaqué l'aile gauche, de front et de flanc. La réserve fut appelée, et les soldats essuyèrent pendant un temps, avec un morne désespoir, la trombe de balles ; ils tombaient dans la neige sanglante, et bientôt il fallut leur don- ner ordre de se replier. Ils obéirent en jurant: "Dafnn ù, qu'est-ce que se replier, sinon reculer?" (i) L'aile droite, prise de flanc elle aussi, suivit l'exemple de la gauche. Quelques-uns des corps tentèrent de sauver les canous, mais, s'en voyant empêchés par la neige et la boue, ils les abandonnèrent après les avoir encloués. Les Français suivaient de près, espérant couper aux fugitifs l'accès des portes de la ville ; mais Lévis, voyant la retraite s'opérer en assez bon ordre, sinon sans précipitation, crut plus sage d'arrêter la poursuite.

La bataille, qui avait duré deux heures, fait honneur aux deux armées. Les Canadiens ne mon- trèrent pas seulement leur adresse et leur courage habituels à l'abri du bois, ils se battirent bien en rase campagne, et la conduite de toute l'armée française fit voir combien elle s'était remise de sa panique de l'automne précédent. Ils étaient dès le début gran- dement supérieurs en nombre ; du milieu à la fin de l'engagement, lorsqu'ils furent tous arrivés au lieu de l'action, ils étaient plus de deux contre un. (2) Les Anglais, d'autre part, outre la chance d'attaquer

[t] Knox, ii, 295.

[2] Voir à l'Appendice : Sainte-Foy.

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l'ennemi avant qu'il fût entièrement formé, avaient une artillerie de beaucoup supérieure et une position favorable, deux avantages qu'ils perdirent après leur second mouvement en avant.

On raconte quelques curieux incidents de la retraite des Anglais. Le colonel Fraser, des High- landers, reçut une balle dont l'effort était probable- ment épuisé ; le projectile, avec une admirable précision, atteignit l'extrémité de sa queue de cheveux, qui amortit le coup si bien qu'il n'en éprouva d'autre inconvénient qu'un léger torticolis. Le capitaine Hazen, des " Rangers", grièvement blessé, se frayait un chemin vers la porte de ville soutenu par son domestique, lorsqu'il avisa sur une éminence, à une grande distance, un officier français à la tête d'un peloton de soldats. Il s'arrêta et demanda à son homme de lui passer son fusil. Un volontaire du nom de Thompson, qui se trouvait près de et qui a rapporté cet incident, crut que le capitaine avait perdu la raison ; mais Hazen n'en insista pas moins, s'assit tranquillement sur le sol, épaula l'arme, et après l'avoir lentement ajustée, tira et abattit son homme. Thompson l'ayant félicité : "Un coup de hasard peut tuer le diable/' fit simple- ment Hazen, puis il se remit au bras de son domestique, regagna la ville, guérit de sa blessure, et vécut assez longtemps pour devenir l'un des généraux de la Révolution. (1)

[1] Thompson, trompé par le nom de baptême de Hazen [Moses], le croyait juif [Revue Canadienne, IV. 865.] Hazen était bel et bien d'une vieille famille puritaine de la Nouvelle- Angleterre. Voir la généalogie des Hazen dans le Historié Genealogical Register, XXXIII.

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Les Anglais avaient perdu environ mille hommes, soit plus d'un tiers de leur force numérique en tués, blessés et manquants à l'appel, (i) Ils emportèrent quelques-uns de leurs blessés, mais en laissèrent sur le champ de bataille ; le plus grand nombre furent assassinés, scalpés ou mutilés par les Sauvages, qui tous étaient des convertis des villages de mission. Les écrivains anglais portent la perte des Français à 2,000 et même plus, ce qui est sans doute grossiè- rement exagéré. Lévis déclare que le nombre ne dépassait pas six ou huit cents, mais plus tard donne une liste qui porte le chiffre de ces pertes à 833.

Murray avait laissé trois ou quatre cents hommes pour garder Québec lorsque le reste était sorti de la ville, ce qui, ajouté à ceux qui revinrent sains et saufs du combat, lui laissait environ 2,400 hommes de tout rang en état valide. Mais les troupes elles- mêmes qui étaient ainsi comptées pour valides étaient en si mauvaise condition que l'hyperbolique sergent Johnson en parle comme de "squelettes scorbutiques à moitié morts de faim." Ce digne soldat, jusque-là modèle de respectueuse déférence à ses supérieurs, s'oublie cette fois au point de blâmer son général pour le "zèle d'enthousiaste et de fou'' qui faillit lui faire perdre du coup le fruit de la victoire de Wolfe. De fait, le sort de Québec trembla dans la balance. "Nous étions trop peu et trop faibles pour soutenir l'assaut, continue Johnson, et notre détresse était presque au comble.'' Au premier moment, il y eut quelques excès d'ivrognerie et

[1] Reiurn of Killed, Wounded and Missing, signé J, Murray.

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quelques cas de pillage de maisons privées ; mais Murray réprima le premier abus en défonçant les fûts de rhum des cantiniers, et le second en faisant pendre le principal coupable. Trois jours après, Tordre, la subordination, l'espérance, la confiance même avaient été rétablis. Pas un homme n'était tenu oisif. Les troupes quittèrent leurs casernes et couchèrent sous la tente à proximité de leurs corps de garde respectifs. Sur le terrain vague près de la Porte Saint-Louis, les convalescents en grand nombre étaient occupés à remplir des sacs de sable pour fortifier les défenses ; dans les hôpitaux, les malades et les blessés faisaient de la bourre à canon. Les remparts étaient parés de fascines dont on avait fait grande provision à l'automne ; des chevaux-de- frise étaient plantés aux endroits exposés ; un ou- vrage avancé fut construit pour protéger la Porte Saint-Louis ; des embrasures furent pratiquées sur tout le pourtour des fortifications ; les canons fran- çais capturés avec la ville furent braqués contre leurs anciens possesseurs. Tout le monde fut mis à con- tribution dans la mesure de ses forces, et la garnison, dépenaillée, harrassée de fatigue, souillée de boue, ressemblait plutôt à une équipe d'ouvriers surmenés qu'à une armée de soldats.

La conduite des officiers tourmentait le sergent Johnson. Ses notions des convenances étaient renver- sées à la vue de ses supérieurs partageant la rude besogne des simples troupiers ; aussi exhale-t-il ses impressions en ces termes : "Ceux qui furent témoins oculaires seuls peuvent imaginer le crève-cœur des soldats lorsqu'ils voyaient leurs officiers s'atteler dans

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les harnais pour hâler les canons de la Basse-Ville ; lorsqu'ils voyaient ces gentilshommes, nommés par Sa Majesté pour les commander et les tenir à leur devoir, travailler aux batteries la brouette, le pic et la bêche à la main." L'effet fut tout de même admirable. Les esprits étaient à la hauteur de la crise. Murray possédait la confiance de tous, non moins que ses officiers ; s'il avait commis une erreur fatale, il s'ap- pliquait à la réparer par une fermeté inébranlable et une inépuisable fertilité de ressources. Des déserteurs ayant rapporté que Lévis allait assaillir la ville, les soldats répondaient : "Qu'il y vienne, il trouvera son maître (Jie wi 11 catch a Tartar)"

Lévis et son armée n'étaient pas moins infati- gables à creuser des tranchées en arrière des massifs rocheux des Buttes-à-Nepveu. D'un jour à l'autre, le feu des Anglais était plus ardent ; le temps vint près de cent cinquante canons vomissaient du feu sur eux du haut des murs de Québec, et le mois de mai était commencé avant que les Français eussent pu pointer leur première pièce pour répondre. Leurs vaisseaux avaient débarqué de l'artillerie à l'Anse du Foulon ; mais leur plus grand espoir, c'était de voir arriver les secours qu'ils attendaient de jour en jour du bas du fleuve. Dès l'automne précédent, Lévis, en vue de son expédition projetée, avait écrit à Versailles pour demander l'envoi d'un vaisseau chargé de munitions et de grosses pièces de siège à temps pour le rejoindre à Québec en avril ; il attendait aussi un autre navire, qui avait hiverné à Gaspé et qui par conséquent aurait lui venir dès l'ouverture de la navigation. L'arrivée de ces vaisseaux aurait rendu la position

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des Anglais doublement critique ; mais d'un autre côté, si le premier arrivage était celui d'une escadre anglaise, Lévis se voyait forcé de lever le siège. Aussi, de part et d'autre, explorait-on le fleuve du regard avec une anxiété dont chaque jour augmentait l'intensité. Un moment, les Anglais remarquèrent sur les rives des signaux qui semblaient annoncer le mouvement de navires français remontant le Saint- Laurent. Dans l'intervalle, tout en faisant de leur mieux pour préparer leur extermination mutuelle, ni l'un ni l'autre parti ne négligeait les échanges de courtoisie entre combattants. Lévis ayant entendu dire que Murray aimait la bière d'épinette à table, lui dépêcha un parlementaire avec une quantité de branches d'épinette et un message de compliments ; Murray répondit par un fromage de Cheshire, et Lévis riposta par un cadeau de perdrix.

La mauvaise nourriture, le surmenage, le man- que de sommeil, tout cela commençait à affecter sérieusement la santé des troupes de garnison, lorsque le 9 mai Murray, faisant la sieste au coin du feu dans ses quartiers de la rue Saint-Louis, fut tiré de sa rêverie par l'entrée d'un officier qui venait lui apprendre qu'il y avait en rade un navire de guerre faisant voile vers la ville. Murray tressauta, et ordonna d'arborer à l'instant l'étendard britannique au sommet du Cap Diamant. (1)

Comme les drisses fonctionnaient mal, un marin grimpa au haut du mât pour y attacher le drapeau. La nouvelle s'était vite répandue ; soldats et officiers,

[1] Thompson, Revue Canadienne, IV, S66.

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l'esprit partagé entre l'espérance et la crainte, afflu- aient sur le rempart près du Château, à l'endroit la terrasse Durham surplombe aujourd'hui le fleuve ; tous les regards se concentrèrent sur le navire à mesure qu'il se rapprochait, tous ayant hâte de voir s'il arborerait l'étendard rouge d'Angleterre ou le pavillon blanc de France. Lentement, ses couleurs s'élevèrent au haut du mât d'artimon, laissant voir, en se déroulant au vent, la croix rouge de Saint- George. C'était la frégate anglaise le Lowestoffe. Elle jeta l'ancre en face de la Basse-Ville et salua la garnison de 21 coups de canon. "La joie des troupes ne s'exprime pas, dix Knox. Officiers, soldats, tous coururent au parapet en face de l'ennemi, et pendant une heure ce ne furent que des acclamations, que des chapeaux en l'air. La garnison, le camp ennemi, la baie, le pays d'alentour retentirent de nos cris et du grondement de notre artillerie ; car les artilleurs étaient dans une telle exultation que pendant long- temps ils ne faisaient que charger les pièces et tirer. Enfin, c'était une réjouissance générale qu'on ne peut concevoir, à moins d'avoir souffert les rigueurs d'un siège et de s'être vu voué, avec ses braves camarades et compatriotes, au coutelas d'un conqué- rant sans foi et de ses barbares alliés." Le Lowestoffe apportait la nouvelle qu'une escadre anglaise était à l'embouchure du Saint-Laurent, et serait à Québec sous peu de jours.

Lévis, qui ignorait ces choses, s'acharnait à l'espoir de voir survenir une flotte française de taille à s'emparer du malencontreux navire. Ses canons,

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enfin mis en position, commencèrent à marteler un mur qui n'était pas de force à soutenir le choc de gros projectiles ; mais une artillerie meilleure et plus complète que la sienne la réduisit bientôt presque au silence, et ses canonniers se virent harasser par des décharges répétées. Les assiégeants n'avaient plus dès lors d'autre chance de succès que d'emporter la place d'assaut; aussi se munirent-ils de nombreuses échelles d'escalade et de pétards pour faire sauter les portes. Ils ne tentèrent cependant pas de s'en servir. Une semaine s'était ainsi écoulée, lorsque, dans la soirée du 15, le vaisseau de ligne le Vanguard et la frégate la Diana apparurent en rade ; le lende- main matin, la Diana et le Lowestoffe passaient devant la ville pour attaquer les vaisseaux français mouillés plus haut dans le fleuve. Ils étaient six en tout : deux frégates, deux autres moindres navires armés, et deux schooners, le tout sous le comman- dement du vaillant Vauquelin, qui ne démentit pas sa réputation.

Il défendit son vaisseau avec une intrépidité persistante jusqu'à ce que toutes ses munitionsfussent épuisées, refusa alors même de baisser pavillon, et, étant fait prisonnier, fut traité avec tous les hon- neurs par ses vainqueurs. Les autres vaisseaux n'offrirent qu'une faible résistance. L'un deux jeta ses canons par dessus bord et s'échappa ; le reste se jeta à terre et fut brûlé.

La destruction de ses vaisseaux fut le coup de grâce de Lévis, la ruine de ses dernières espérances, car ils contenaient sa réserve de vivres et de muni-

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tions. Il avait passé la nuit précédente dans une grande agitation, et quand la canonnade eut cessé sur le fleuve, il s'empressa de lever le siège. Dans la soirée, des déserteurs de son camp avertirent Murray qne les Français étaient en pleine retraite ; sur quoi, toutes les batteries anglaises reprirent le feu, tirant au jugé dans l'obscurité, lançant les bou- lets en ricochet, les faisant rebondir les uns sur les autres sur toute l'étendue des Plaines d'Abraham, sur les talons de l'ennemi en retraite. Au petit jour, Murray fit une sortie dans Pespoir de tomber sur leur arrière-garde ; mais, avec cent cinquante canons rugissant derrière eux, ils avaient fait telle diligence qu'il ne put les rattraper, bien qu'il poussât jusqu'à l'Ancienne-Lorette à travers le marais ; ils avaient déjà franchi la rivière du Cap-Rouge. Il est difficile d'expliquer pourquoi, étant encore en nombre supé- rieur, ils étaient repartis avec une telle précipitation. Ils laissaient derrière eux trente-quatre canons et six mortiers, avec pétards, échelles d'escalade, tentes, munitions, équipages, outils de camp, nombre de mousquets, et tous leurs malades et blessés.

Cette tentative de reprendre Québec témoigne honorablement de la hardiesse française ; elle ne leur fut tout de même nullement utile, ne servant qu'à épuiser des ressources qui étaient déjà au plus bas et qu'à fournir une nouvelle occasion de pillage à Cadet et à sa bande, qui ne manquèrent pas d'en profiter.

Après la bataille de Sainte-Foy, Murray avait expédié la frégate le Racehorse à Halifax, pour y

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porter la nouvelle de sa défaite, qui avait été trans- mise de Halifax en Angleterre. Le public anglais fut pris par surprise. " Qui diantre songeait à Québec ? dit Horace Walpole. L'Amérique était comme un petit livre qu'on met de côté après l'avoir lu une fois ; mais nous voici maintenant en train de feuilleter notre livre à rebours." Dix jours se pas- sent, et alors arrive la nouvelle de la levée du siège et du départ des Français ; sur quoi Walpole écrit au général Conway : "Eh bien, voici Québec ressus- cité de nouveau. Hier soir j'allai voir les Holdernesse. Je rencontrai milady dans un char triomphal, tiré par un cheval manxois haut de treize petits doigts, avec lady Emily. M. Milbank marchait tout seul derrière le char, faisant ovation ; ils allaient assister au feu-de-joie à la brasserie du coin. La procession tout entière revint avec moi, et de la chambre de toilette de la comtesse nous vîmes une batterie éclater en face de la maison, pendant que la foule criait : Dieu soit béni pour la bonne nouvelle ! C'est tout ce que je sais du siège. Milord voulait me faire lire le journal ; mais nous eûmes un bien meilleur diver- tissement en allant manger des pêches à la nouvelle chaufferie de Hollande (serre-chaude).*'

NOTE DE M. PARKMAN

Sur la bataille de Sainte-Foy et le siège subséquent, Ivévis, Guerre du Canada. Relation de la seconde bataille de Québec et du siège de cette ville (il existe plusieurs copies de ce manuscrit, avec titres divers et quelques variantes) . Murray à Amherst, 30 avril 1860. Murray, Journal kept at Québec from September 18, 1759, to May 18, 1760 (Public Record

i5o SAINTE-FOY

Office, America and West Indies, xcix.) Murray à Pitt, 25 mai 1760. Le tter front an officer of the Royal Americans ai Québec, 24 mai 1760 {London Magazine et divers papiers périodiques du temps. ) Fraser, Journal (Société Historique de Québec) Johnstone, Campaign of 1760 (ibid). Relation de ce qui s* est passé au siège de Québec \ par une Religieuse de l'Hôpital Général (ibid), Memoirs of the Siège of Québec ; par le sergent John Johnson. Mémoires sur le Canada, 1749- 1760.-— s Lettres de Lévis, Bourlamaque et Vaudreuil, mai et juin 1760. Lettres diverses d'officiers de Québec, dans les journaux de province. Knox, ii, 292-322. Plan of the Battle and Situation of the British and Fre?ich on the Heights oj Abraham, the 28th of April, 1760, plan admirable attaché au grand plan des opérations à Québec, et nécessaire à l'intelli- gence [de la position et des mouvements des deux armées (British Meseum, King's maps).

Les narrations de Mante, Entick, Wynne, Smith et d'autres autorités secondaires n'apportent aucun nouvel éclaircissement. Pour les forces engagées de part et d'autre, voir à l'Appendice.

1760 CHUTE DU CANADA

LA retraite de Lévis ne laissait plus guère au Canada d'autre espoir qu'en une paix pro- chaine. Il y avait de fortes raisons à l'appui, car c'était l'opinion prévalente que, même si la colonie était subjuguée, elle serait bientôt rendue à la France par traité. Toutes ses forces disponibles ne dépas- saient plus le chiffre de huit ou dix mille hommes, attendu que la plupart des Canadiens en bas du dis- trict de Trois-Rivières avaient juré allégeance au roi George ; et bien que bon nombre d'entre eux eussent antérieurement manqué à leur serment en ralliant le drapeau de Lévis, il ne leur était plus possible de se permettre pareille liberté. Les Français avaient perdu le meilleur de leur artillerie, leurs munitions s'épui- saient, il leur restait à peine assez de vivres pour attendre la prochaine récolte et ils ne pouvaient plus espérer en recevoir du dehors, puisque le convoi de vaisseaux parti de France à la fin de l'hiver, chargé de secours de toutes sortes, avait été capturé par les Anglais. Le blocus du Saint-Laurent était com- plet. Les Sauvages de l'ouest ne voulaient plus combattre ; ceux mêmes des villages de mission étaient devenus indécis et insolents.

Cependant, Vaudreuil et Lévis préparèrent la défensive avec une énergie qui leur fait honneur à tous deux. "Loin de manifester la moindre timidité,

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écrit le toujours modeste gouverneur, j'ai pris des positions bien calculées pour dissimuler notre fai- blesse aux yeux de l'ennemi, (i) Il aposta Roche- beaucourt avec trois cents hommes à la Pointe-aux- Trembles ; Repentigny avec deux cents à Jacques- Cartier, et Dumas avec douze cents à Deschambault pour surveiller le Saint-Laurent et, si possible, empêcher Murray de remonter le fleuve. Bougainville fut envoyé à l'Ile-aux-Noix pour barrer le passage aux abords du Lac Champlain, et La Corne avait sous ses ordres des troupes prêtes à défendre les rapides au-dessus de Montréal, pour le cas les Anglais se risqueraient dans ce dangereux passage. Des prisonniers enlevés par des partis de guerre près de la Pointe-à-la-Couronne apportaient des récits exagérés au sujet des préparatifs d'hostilités de l'ennemi, doublant, triplant même le chiffre des forces qui s'avançaient sur le Canada.

Ces forces ne laissaient pas d'être considérables. Amherst avait résolu de pénétrer dans la colonie par les trois chemins à la fois, et par un mouvement simultané de l'est, de l'ouest et du sud, de se con- centrer sur Montréal, de manière à pouvoir l'écraser comme entre les mâchoires d'un étau. Murray devait remonter le Saint-Laurent de Québec, tandis que le brigadier Haviland forcerait l'entrée par le lac Champlain, et qu'Amherst lui-même dirigerait le gros de l'armée en descendant le fleuve à partir du lac Ontario. Cette dernière route était longue, tortueuse, difficile, semée de dangers à cause des

[i] Vaudreuil au Ministre, 22 juin 1760.

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rapides qui obstruent cette partie du fleuve. Il la choisit comme principale ligne d'opérations, de pré- férence à celle du lac Champlain, plus courte et plus aisée, sans doute en vue d'empêcher l'armée française d'échapper par les lacs jusqu'à Détroit et aux autres postes du désert, elle aurait pu indéfiniment prolonger la guerre ; tandis que le plan arrêté, s'il réussissait, lui permettait de s'en emparer à coup sûr. L'entreprise était tout de même hasardeuse. Il fallait que ces trois armées partant de trois points différents, à des centaines de milles les unes des autres, marchant par des routes émaillées d'obstacles, et sans la moindre possibilité de communiquer entre elles, se rencontrassent au même point, dans un temps donné, faute de quoi elles couraient le risque d'être détruites en détail. De leur côté, si les troupes françaises pouvaient se tenir ensemble, et que les petits corps de Murrayou de Haviland précédassent de quelques jours l'arrivée des forces coopérantes à Montréal, c'en était fait de celles-ci ; on pouvait les attaquer et les prendre par morceaux. était toute l'espérance de Vaudreuil et de Lévis. (1)

Après la levée du siège de Québec, Murray restait avec un effectif d'environ deux mille cinq cents hommes de tous grades. (2) Au printemps, les invalides furent campés sur l'Ile d'Orléans, le grand air, les vivres fraîches et l'éloignement de l'atmosphère empestée des hôpitaux de la ville réagirent si merveilleusement sur les scorbutiques

[1] Lévis à Bourlamaque, juillet, août 1760.

(2] Return of the Présent State of HisMajeaty's Forces in Garrison at Québec, 21 niay, 1760.

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qu'en- quelques semaines un nombre considérable d'entre eux furent sur pied pour reprendre le service de garnison, sinon pour rentrer en campagne. C'est ainsi que, le 2 juillet, 2,450 hommes et officiers reçurent ordre de s'embarquer pour Montréal ; ils partirent le 15 dans une flottille de trente-deux vais- seaux, sans compter les chaloupes et bateaux (1). Ils étaient suivis peu de temps après par lord Rollo, qui venait d'arriver de Louisbourg avec une force additionnelle de 1300 hommes, le Roi ayant ordonné d'abandonner cette place après l'avoir démantelée. Le mouvement fut lent ; de temps à autre, on faisait des descentes à terre, pour escarmoucher avec les détachements ennemis qui suivaient le long des côtes, le plus souvent pour commercer avec les cul- tivateurs qui apportaient des légumes, des volailles, des œufs et des viandes fraîches. Au passage de la colline fortifiée de Jacques-Cartier, les Anglais furent salués d'une grêle de balles et d'obus ; dans les différentes paroisses ils s'arrêtaient, ils désarmè- rent les habitants, leur firent prêter le serment de neutralité, ce à quoi ceux-ci se prêtèrent sans trop de résistance, en apparence du moins ; le 4 août enfin, on arrivait en vue de Trois-Rivières, alors occupé par un corps de troupes qui s'attendait à être attaqué. " Mais, dit Knox, il eût été absurde de s'attarder ici, car cette petite place devait subir le sort de Montréal. Aussi notre flotte est-elle repartie ce matin. Les troupes françaises, qui paraissaient composées d'une couple de mille hommes, étaient

[1] Knox, ii, 344, 348.

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alignées le long de leurs différents ouvrages de dé- fense ; elles paraissaient généralement costumées en réguliers, excepté un très petit nombre de Canadiens et environ cinquante Pietés et Sauvages nus, dont le corps était badigeonné de rouge et le visage de couleurs différentes, que je pouvais voir distincte- ment avec ma lunette. Leur cavalerie légère, qui paradait sur la rive, avait fort belle apparence, dans son uniforme bleu à parements écarlates ; ses offi- ciers étaient en blanc. En somme, ces troupes et ces batterie ; la belle apparence des maisons échelonnées le long du rivage du grand fleuve ; le passage triom- phal de notre flotte au nez de l'ennemi, avec nos batteries flottantes en ordre de bataille, le pays de chaque côté du fleuve émaillé de jolis établissements; la verdure des champs et des bois ; tout cela, par un temps clair et des plus agréable, formait le plus charmant coup d'œil d'ensemble que l'imagination puisse concevoir."

Cet excellent officier, si épris de pittoresque, fut encore davantage enchanté lorsque la flotte passa à travers les îles de Saint-Pierre. "Rien ne saurait égaler, je pense, la beauté de notre navigation de ce matin. Les méandres de l'étroit chenal ; la mysté- rieuse solennité des sombres forêts qui couvrent ces îles ; les effluves odorants de cette végétation, de ces fruits et de ces fleurs ; l'eau verdie par le mirage des arbres ; le ramage des oiseaux qui les habitent ; les mâtures et voilures de nos vaisseaux comme perdues dans la forêt, en avant et en arrière, c'était toute une variété d'enchantements."

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Ce soir-là, il fut brusquement ramené du rêve à la réalité ; vers 7 heures, les vaisseaux atteignaient le village de Sorel, les attendait un fort corps de troupes et de milice retranché le long de la grève. Bourlamaque était en commandement, à la tête de deux ou trois mille hommes, et Dumas, avec un autre corps, occupait la rive nord. L'un et l'autre avaient ordre de précéder la flotte à mesure qu'elle avançait ; ainsi, Français et Anglais se dirigeaient lentement sur Montréal, stationnait le plus gros de l'armée française sous Lévis, prêt à se joindre à Bourlamaque et à Dumas et à tomber sur Murray au premier moment. Montréal n'était plus qu'à une distance de quelques lieues, et la situation devenait intéressante. Murray expédia cinq rangers du côté du Lac Champîain pour prendre des nouvelles de Haviland ; en même temps, il s'occupa d'amener la désertion des Canadiens, qui formaient le gros de la force ennemie. Il lança une proclamation dans les paroisses, conseillant aux habitants de rester paisi- bles chez eux, leur promettant en ce cas pleine sécurité pour eux et pour leurs biens, menaçant au contraire de faire brûler toute maison d'où un seul homme serait absent. Ce n'étaient pas des mots en l'air. Un détachement chargé de pareille mission détruisit près de Sorel un établissement dont les propriétaires portaient les armes, dans le corps de troupes de Bourlamaque. " Je me vis dans la cruelle nécessité de brûler la plupart des habitations de ces pauvres malheureux, écrit Murray. Je prie Dieu que cet exemple suffise, car la nature chez^moi se

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révolte chaque fois que ces extrémités sont néces- saires pour l'accomplissement de mon devoir. "(1) D'autre part, il traita avec bonté ceux qui quittè- rent l'armée pour rentrer dans leurs foyers. L'effet ne tarda pas à se faire sentir. Les Canadiens vinrent par dizaines, puis par centaines, rendre leurs armes et prêter le serment de neutralité, et avant la fin d'août, la moitié de la force de Boulamaque avait disparu. Murray campa sur l'Ile Sainte-Thérèse, juste au-dessous de Montréal, il fit bonne veille, attendant la venue de Haviland et d'Amherst (2).

Vaudreuil de son côté ne restait pas oisif. Il lança lui aussi une proclamation dans les paroisses, pour faire contrepoids à celle de Murray. a Je me suis vu forcé, écrit-il au ministère, de décréter la peine de mort contre les Canadiens qui ont manqué de courage au point de déserter et de rendre leurs armes à l'ennemi, et d'ordonner l'incendie des mai- sons de ceux qui ne joignent pas l'armée." (3) L'exécution sommaire, sans cour martiale, était ordonnée. (4) Les désertions se multiplièrent tout de ! même de jour en jour. Les Canadiens se savaient ruinés de deux manières, car il était connu que la Cour refusait de racheter le papier qui était tout l'argent courant de la colonie ; aussi, en déses- poir de cause, préféraient-ils se risquer à^la merci de l'ennemi plutôt que de l'exaspérer par leur persis- tance dans une inutile défensive. Vaudreuil écrit, à

[1] Murray à Pitt, 24 août£i76o. [2] Knox, ii, 382, 384, Mante, 340. [3] Vaudreuil au Minisire, 29 août 1760. [4] Lé-ris à Bourlaraaque, 25 août 1 760.

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sa manière habituelle : "Je prends les meilleures mesures pour concentrer nos forces et, si notre situation le permet, pour livrer une ou plusieurs batailles. Il est à craindre que nous ne succombions devant un ennemi aussi fort en nombre ; mais, quel que soit le dénouement, nous sauverons l'honneur des armes du Roi. J'ai Phonneur de vous réitérer, Monseigneur, que, s'il me restait quelques ressour- ces, quelque progrès que fassent les Anglais, je me maintiendrais dans quelque coin de la colonie avec ce qui me reste de troupes, après avoir obstinément disputé le terrain ; mais je suis absolument sans le moindre appoint de moyens nécessaires. Dans ces malheureuses conditions, je continuerai tout de même à employer toute la stratégie possible pour tenir l'ennemi en échec ; mais, si nous succombons dans les combats que nous allons livrer, je m'appli- querai à obtenir une capitulation n'entraînant pas la ruine complète d'un peuple qui restera toujours fran- çais, et qui ne saurait survivre à ses malheurs sans l'espoir d'un traité de paix qui le ramène sous le joug de Sa Majesté Très Chrétienne. C'est dans ce but que je reste en cette ville, le chevalier de Lévis m'ayant représenté que la colonie s'exposait à un maiheur irrémédiable s'il m'arrivait quelque acci- dent." Lévis tenait sans doute beaucoup à ménager les susceptibilités du gouverneur, mais cette fois on peut présumer qu'il le jugeait plus utile derrière les murs qu'en rase campagne.

Il semblait y avoir de bonnes chances d'inter- cepter la marche de Haviland. Vaudreuil avait à

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cette fin stationné Boug-ainville à l'Ile aux Noix avec dix-sept cents hommes, et Roquemaure à Saint-Jean, à quelques milles de là, avec douze ou quinze cents hommes, sans compter tous les Sauvages. (1) Havi- land s'était embarqué à la Pointe de la Couronne, avec 3,400 réguliers, provinciaux et Sauvages. (2) Quatre jours de marche l'amenèrent à l'Ile aux Noix ; il descendit, planta du canon dans la savane et ouvrit le feu. Le major Darby avec l'infanterie légère, et Rogers avec les rangers, traînèrent trois petites pièces à travers la forêt et on les affûta au bord de la rivière en arrière de la position de Bougainville, se trouvait toute la force navale des Français, com- posée de trois vaisseaux armés et de plusieurs canonnières. Les canons furent^braqués sur le plus gros des vaisseaux ; un boulet coupa son câble, et un fort vent d'ouest le jeta à la côte, aux mains de l'ennemi. Les autres vaisseaux et canonnières firent voile du côté de Saint-Jean, mais s'échouèrent dans un détour de la rivière, les rangers, se jetant à la nage avec leurs tomahawks, en abordèrent un et s'en rendirent maîtres ; le reste se rendit bientôt. Ce fut un coup fatal pour Bougainville, dont les communi- cations avec Saint-Jean se trouvaient désormais coupées. Conformément aux instructions de Vau- dreuil, il abandonna l'île dans la nuit du 27 août, et, se frayant un chemin au milieu des plus grandes difficultés à travers la sombre forêt, rejoignit Roque-

[i]/Vaudreuil au Ministre, 29 août 1760.

[2] A list of the forces employed in the Expédition against Canada, 1760, Confronter Mante, 340, Knox ii, 392, et Rogers, 188. I^e Chevalier Johnstone, qui était avec Bougainville, dit : "environ quatre mille," et Vaudreuil multiplie ce chiffre jusqu'à douze mille.

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maure à Saint-Jean, à douze milles plus bas. Haviland suivait, les rangers battant la marche. Bougainville et Roquemaure se replièrent, abandonnant Saint-Jean et Chambly, et rejoignirent Bourlamaque sur les bords du Saint-Laurent, leurs forces réunies, d'abord supérieures en nombre à celles de Haviland, furent vite décimées par le découragement et les défections. Haviland put communiquer avec Murray ; tous deux attendaient d'un jour à l'autre l'arrivée d'Amherst, dont l'approche leur était vaguement annoncée par les récits des prisonniers et des déser- teurs, (i)

L'armée d'Amherst s'était réunie à Oswego en juillet. Le 10 août, elle voguait au complet sur le Lac Ontario, au nombre de 10,142 hommes, outre environ 700 Sauvages sous les ordres de sir William Johnson. (2) Avant le 15, tous avaient atteint La Présentation, autrement dit Oswegatchie ou La Galette, siège de la mission du Père Piquet. Près de se trouvait un brick français armé, Y Ottawa, avec une dizaine de canons et une centaine d'hommes, menaçant de détruire les bateaux et baleinières d'Amherst. Cinq canonnières l'attaquèrent et s'en rendirent maîtres. L'armée reprit alors sa marche, et fut bientôt rejointe par deux de ses vaisseaux armés qui s'étaient attardés en arrière, ayant perdu leur route dans le dédale des Mille-Iles.

Près de la tête des rapides, un peu au-dessous de

[1] Rogers, Journals, Diary of a sergeant in the Army of Haznland, Johnstone. Campaign of 1760. Bigot au Ministre, 29 août 1760.

[2] A list ofthe Forces employed in an Expédition a'g&inst Canada. Confronter Mante, 301, et Knox, ii, 403.

MONTCALM BLESSÉ À MORT [D'après un dessin de Howard Pyle.]

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La Galette, était le fort Lévis, construit l'année d'auparavant sur un îlot au milieu du chenal. Amherst pouvait passer outre sous ses batteries sans grandes pertes, et continuer son voyage sans lui faire l'hon- neur d'un siège, et c'est ce que les commandants français craignaient qu'il ne fît. a Nous serons heu- reux, écrit Lévis à Bourlamaque, si l'ennemi s'amuse à s'en emparer. Ma grande inquiétude est de voir Amherst atteindre Montréal avant que nous n'ayons le temps de concentrer nos forces pour attaquer Haviland ou Murray." Eût-il mieux connu le com- mandant anglais, Lévis aurait deviné qu'il n'était pas homme à laisser pour aucune raison un poste ennemi derrière lui ; Amherst avait un autre motif pour désirer voir la garnison dans ses mains, car il comptait y trouver les pilotes dont il avait besoin pour guider ses bateaux dans la descente des rapides. Il investit donc le fort, et le 23, le bombarda de ses vaisseaux, de la terre ferme et des îles voisines. Le fort avait pour commandant Pouchot, l 'ex-comman- dant de Niagara, fait prisonnier dans la dernière campagne, et depuis échangé. Comme il y avait peu de terre sur cet îlot rocheux, les défenses, bien qu'assez massives, étaient surtout faites de billots qui volèrent en éclats sous les boulets. Les Français firent cependant une intrépide résistance. Le feu dura toute la journée, fut repris le lendemain matin, et se prolongea pendant deux jours de plus; enfin Pouchot, dont les retranchements n'étaient plus que des ruines, se rendit avec sa garnison. Alors, les Sauvages de Johnson s'apprêtèrent à tuer les prison-

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niers ; comme on les força à se désister, les trois- quarts d'entre eux, enragés, s'en retournèrent chez eux. (i)

Alors commençait la partie périlleuse de l'expé- dition, la descente des rapides. On franchit successi- vement, sans grandes pertes, les Galops, le Rapide Plat, le Long Saut, le Coteau du Lac, jusqu'au passage des Cèdres, du Buisson et des Cascades, les flots tumultueux, indisciplinés, bondissaient au soleil, terribles et beaux comme de jeunes tigres prenant leurs ébats. L'un après l'autre, les bateaux étaient emportés sur leur dos écumeux, dans une course folle à travers ce torrent. Quarante-six firent naufrage, dix-huit furent avariés, et 84 hommes périrent noyés. (2) La Corne gardait les rapides avec un corps considérable de Canadiens ; on s'explique mal qu'un chef audacieux et aventureux eomme lui n'ait pas cherché à embarrasser l'armée dans la descente de passes aussi dangereuses. Enfin, le dernier rapide fut franchi, et la flottille, glissant doucement sur la nappe unie du Lac Saint-Louis, put atterrir sur l'Ile Perrot, à quelques lieues de Montréal. Dans la matinée du 6 septembre, les troupes se rembarquèrent, descendirent sans obstacle à Lachine, à neuf milles de la ville, sur laquelle elles marchèrent sans retard, pour aller camper sous ses murs.

[1] Pour la capture de Fort Lévis, Amherst à Pitt, 26 août 1760. Amherst à Monckton, même date. Pouchot, ii, 264-282. Knox, ii, 405- 413. Mante, 303-306. AU Canada in the hands of the English [Boston, 1 760]. Journal of Colonel Nathaniel Woodhull.

[2] Amherst à Pitt, 8 septembre 1760,

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Montréal, à cette époque, n'était qu'une longue et étroite haie de maisons en pierre et en bois, à un ou deux étages, au-dessus desquelles se dressaient les tours pointues du Séminaire, les flèches de trois églises, les murs de quatre couvents, avec les arbres de leurs jardins ; à l'extrémité d'en bas, il y avait très en vue un tertre élevé surmonté d'une redoute armée de quelques canons. Le tout était entouré d'un fossé de peu de profondeur et d'un mur bas- tionné en pierre, construit pour servir de défense contre les Sauvages, mais non à l'épreuve des canons. (1)

Le lendemain du jour Amherst établissait son camp en haut de la ville, dans la matinée, Murray descendait à terre pour camper de l'autre côté, et Vaudreuil pouvait voir, sur la rive opposée du fleuve, les tentes de la petite armée de Haviland. Bourlamaque, Bougainville et Roquemaure, aban- donnés par toute leur milice, avaient traversé à Montréal avec le peu de troupes réglées qui leur restaient. La ville était encombrée de non-combat- tants cherchant refuge. Il y avait aussi à peu près tout ce qui restait des forces du Canada, soit 2,200 soldats de la ligne et une couple de cents coloniaux, car alors tous les Canadiens avaient regagné leur foyers. Beaucoup de réguliers, surtout ceux des troupes coloniales, avaient aussi déserté ; ce qui

[ij An East vieiu of Montréal, drawn on the spot by Thomas Patten [King's Maps, British Muséum,] Plan oj Montréal, 1759, A description of Montteal, en différentes revues du temps. Une récente publication canadienne, intitulée Le vieux Montréal, manque absolument d'exacti- tude quant à la force numérique des troupes anglaises et à la position de leurs camps.

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restait manquait tellement de discipline que ies officiers étaient réduits à supplier au lieu de com- mander. Les trois armées campées autour de la ville s'élevaient à 17,000 hommes. (1) Amherst amenait de Lachine son artillerie, contre laquelle le mur d'enceinte de la ville n'aurait pas tenu une heure.

Le soir de l'arrivée d'Amherst, le gouverneur convoqua un conseil de guerre. (2) Il y fut décidé que, vu la défection des milices entières et d'un grand nombre de réguliers, vu aussi que les Sauvages alliés de la France étaient passés à l'ennemi, toute résistance était désormais impossible. Vaudreuil soumit aux officiers assemblés un long document qu'il avait rédigé, contenant cinquante-cinq articles de capitulation à proposer aux Anglais ; tous furent approuvés à l'unanimité. (3) Dans la matinée, Bou- gainville alla les porter à la tente d'Amherst, qui en agréa la majeure partie, en modifia quelques-uns, rejeta carrément les autres. Ce à quoi les officiers français attachaient le plus d'importance, c'était la clause stipulant que les troupes sortiraient avec leurs armes et leurs canons, et avec les honneurs de la guerre ; à quoi il fut répondu : "La garnison entière de Montréal et toutes les autres troupes françaises

[1] A list of the Forces employé d in the Expédition against Canada, voir Smith, History of Canada, i. Vaudreuil écrit à Charles Langlade, le 9, que les trois armées se composaient de 20,000 hommes, et porte le chiffre à 32,000 dans une lettre du lendemain adressée au Ministre. Berniers dit 20,000 ; vis, pour des motifs qui se comprennent, exagère jusqu'à 40,000.

[2] Vaudreuil au Ministre, 10 septembre 1760.

[3] Procès-verbal de la Délibération du Conseil-de-guerre tenu à Montréal, 6 septembre 1760,

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ea Canada mettront bas les armes et ne serviront plus pendant la présente guerre." Cette exigence fut jugée inacceptable. Le gouverneur renvoya Bou- gainville faire de nouvelles réprésentations, mais Amherst se montra inflexible. Alors, Lévis tenta de l'ébranler en lui envoyant un officier avec la note suivante : "J'envoie à votre Excellence M. de la Pause, assistant quartier-maître de l'armée, au sujet du trop rigoureux article que vous dictez aux troupes par la capitulation, et auquel il nous serait impos- sible de nous soumettre." Amherst répondit à l'envoyé : "A raison du rôle infâme que les troupes de France ont joué en incitant les Sauvages à per- pétrer les actes de barbarie les plus horribles et les plus inouïs pendant tout le cours de la guerre, ainsi que d'autres tricheries ouvertes et manquements flagrants à la foi jurée, c'est ma ferme résolution de montrer au monde entier, par cette capitulation, que je déteste semblables pratiques." Et il congédia La Pause avec une courte note, refusant de rien changer aux conditions.

Le lendemain matin v^_^ptembre, Vaudreuil cédait et signait la capitulation. Par ce document, le Canada et toutes ses dépendances passaient à la Couronne britannique. Les officiers français, civils et militaires, avec les soldats et marins français, devaient être ramenés en France à bord de vaisseaux anglais. On assurait au peuple de la colonie le libre exercice de sa religion, et les communautés religieuses conservaient leurs possessions, droits et privilèges. Toutes les personnes qui désiraient retourner en France en avaient la permission, et les Canadiens

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devaient rester en pleine jouissance des propriétés seigneuriales et autres, y compris la propriété des esclaves noirs et sauvages. (4)

La grande crainte des habitants était d'être exposés aux violences de la part des Sauvages alliés aux Anglais, et Vaudreuil avait demandé qu'il fût pourvu au renvoi immédiat de ces dangereux enne- mis dans leurs bourgades. On refusa en disant : " Il n'y a jamais eu de cruautés commises par les Sauvages de notre armée." En même temps, on prit de sévères mesures de précaution, non seulement contre les quelques sauvages que la ferme attitude de Johnson au Fort Lévis n'avait pas éloignés, mais aussi contre les anciens alliés des Français, qui leur devenaient maintenant dangereux. La conséquence fut qu'il n'y eut pas un homme, ni femme, ni enfant, de molesté. Amherst, dans ses ordres généraux, exprime l'espoir "que les troupes ne se déshonoreront pas par le moindre acte d'inhumanité, ni par aucune tentative de pillage indigne d'un soldat, et que les Canadiens, étant devenus sujets britanniques, sen- tiront les heureux effets de la protection de Sa Majesté." De fait, ceux-ci furent traités avec une bonté qui parut les étonner eux-mêmes.

Lévis était tellement furieux de voir qu'on exigeait que les troupes missent bas les armes et s'engageassent à ne plus servir pendant la guerre, qu'avant que la capitulation fût signée, il logea un

[4] Articles of Capitulation, 8 septembre 1760. Amherst à Pitt, même date.

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protêt en forme (1) en son propre nom et en celui des officiers français, et insista même sur la rupture complète des négociations. " Si, ajoute-t-iî, le marquis de Vaudreuil, pour des motifs politiques, se croit obligé de livrer la colonie sur-le-champ, nous demandons la permission de nous retirer avec les troupes de ligne sur l'Ile de Sainte-Hélène, afin d'y soutenir, pour notre propre compte, l'honneur des armes du Roi." Cette proposition fut comme de raison rejetée, et Lévis savait qu'elle le serait ; lui et les officiers reçurent ordre de se conformer à la capitulation. Lorsque Vaudreuil fut rentré en France, trois mois plus tard, il eut la mortification de recevoir du ministre des colonies une lettre il était dit : " Bien que Sa Majesté fût parfaitement au courant de la situation du Canada, néanmoins, après les assurances que vous aviez données, il ne s'attendait pas à apprendre sitôt la reddition de Montréal et de toute la colonie. Etant donné même que la capitulation fût une nécessité, Sa Majesté n'en a pas été moins désagréablement surprise des conditions si peu honorables auxquelles vous vous êtes soumis, surtout après les représentations qui vous ont été faites par le Chevalier de Lévis. (2)" Le frère de Vaudreuil s'étant plaint au ministre du ton de cette lettre, le ministre répondit: "Je vois avec regret, monsieur, que vous êtes chagrin de la

[1] Protêt de M. Lévis à M. de Vaudreuil contre la Clause dans les Articles de Capitulation qui exige que les troupes mettront bas les armes, avec l'Ordre de M. de Vaudreuil au Chevalier de Lévis de se conformer à la Capitulation proposée. Vaudreuil au Ministre de la Marine, 10 septembre 1760. Lévis au Ministre de la Guerre, 27 novembre 1760.

[2] Le Ministre à Vaudreuil, 5 décembre 1760.

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lettre que j'ai écrite à votre frère, mais je ne pouvais me dispenser de lui répéter ce que le Roi m'avait fait l'honneur de me dire ; et il lui eût été désagréable de se l'entendre dire par quelque autre personne. (7)M

Il est vrai que Vaudreuil s'était dans une certaine mesure attiré ce reproche par ses vantar- dises à propos des batailles qu'il entendait livrer ; le déplaisir royal était cependant immérité. Le gouverneur n'avait d'autre alternative que de livrer la colonie, car Amherst le tenait et savait pouvoir lui dicter les conditions qu'il lui plairait. Une plus longue résistance n'aurait pu avoir d'autre dénoue- ment qu'une reddition à discrétion, et la protestation de Lévis n'était qu'une feinte pour sauver sa réputation et celle des officiers français ses frères d'armes. Vaudreuil avait servi le Roi et la colonie avec une certaine habileté, toujours avec un zèle inaltérable ; il aimait son pays natal avec un dévoue- ment jaloux qui ne contribue pas peu à racheter ses tristes défauts. C'est le Roi lui-même, non les sujets qu'il avait abandonnés à leur sort, qui était respon- sable de la perte de la Nouvelle-France.

D'un trait de plume, la moitié d'un continent venait de changer de mains. Le gouverneur Bernard, du Massachusetts, proclama un jour d'actions de grâces pour célébrer ce notable événement, et les journaux de Boston rendirent compte de la fête à laquelle il donna lieu, parade des Cadets et des autres corps de volontaires, grand diner à Faneuil

[7] I/î Ministre au Vicomte de Vaudreuil, frère du Gouverneur, 21 décembre 1760.

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Hall, musique, feux-de-joie, illumination, salves d'artillerie, et, pardessus tout, sermons dans toutes les églises de la province ; car le cœur de la primitive Nouvelle-Angleterre trouva toujours un écho dans la chaire sacrée. J'ai sous les yeux une liasse de ces sermons, tirés de la poussière des ans, barbouillés en première page des noms de leurs possesseurs depuis longtemps disparus; pauvres fascicules rongés des vers, jaunis par la moisissure du temps, expri- mant dans leur bizarre orthographie les émotions d'une époque enfouie dans l'oubli. Chaque ligne respire le triomphe, la satisfaction, l'espérance, sans animosité toutefois, à l'égard de l'ennemi tombé. Thomas Foxcroft, pasteur de la " Vieille Eg'lise de Boston," prit pour texte : " Le Seigneur a fait pour «tous de grandes choses, et nous en sommes réjouis." " Bien longtemps, dit-il, n'y eut-il qu'une opinion : delenda est Cartkago, il fallait conquérir le Canada, sans quoi nous ne pouvions espérer une paix durable en ce pays ; aujourd'hui, par la main bienfaisante de notre Dieu, nous assistons à la réalisation de ce vœu. Nous voyons les troupes victorieuses de Sa Majesté maîtresses des places fortes de l'ennemi, leur dernière forteresse livrée, leur pays tout entier rendu au Roi de Bretagne dans la personne de son général, l'intrépide, le calme et heureux Amherst.'' Le loyal John Mullen, pasteur de la Seconde Eglise de Lancaster, s'écrie sans s'inquiéter des orages avenir : "Craignons Dieu, honorons le Roi, soyons les paisibles sujets d'un gouvernement pa- ternel et heureux. Et puissent les bénédictions du ciel reposer à jamais sur ces ennemis de notre pays,

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aujourd'hui soumis à la Couronne d'Angleterre, et puissent-ils, d'accord avec le serment qu'ils ont prêté, mener une vie tranquille en tout bien tout honneur." Il prédit que l'Amérique, désormais ouverte à la colonisation britannique, sera dans un siècle et demi peuplée de soixante millions d'âmes ; prophétie qui devait plus que se réaliser.

i * Dieu nous a donné déchanter en ce jour la chute de la Nouvelle-France, cette Babylone de l'Amérique du Nord, la rivale de la Nouvelle-Angle- terre," ainsi parle Eli Forbes à sa congrégation de paisibles fermiers et de sages matronnes dans le rustique village de Brookfield. Comme beaucoup de ses ouailles, il avait guerroyé, ayant fait deux années de service comme chapelain du Ruggles' régiment du Massachusetts ; aussi son discours respire-t-il un air tant soit peu martial. Il passe en revue les événe- ments de chaque campagne, jusqu'au dénouement viectorieux. "Ainsi, dit-il, Dieu fut notre salut, notre force ; Lui qui dirige tous les hauts faits de guerre n'a pas voulu cependant que notre joie fût sans mélange, puisque nous avons eu à déplorer la perte du vaillant et bon général Wolfe, dont la mort appelle une larme aux yeux de tout Anglais, un soupir dans tous les cœurs protestants. Est-il vrai- ment mort? Je me le demande. De tels héros sont immortels ; son nom vit dans toutes les bouches loyales ; son souvenir vit dans tous les cœurs recon- naissants, et la chanté me commande de lui donner une place parmi les princes du ciel." Le pasteur n'oublie pas non plus de faire l'éloge d'Amherst, "ce renommé général, digne du plus honorable de

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tous les titres, celui de héros chrétien, car il aime ses ennemis, et tout en les réduisant il les rend heureux. Il transplante la liberté britannique dans un sol elle était encore inconnue. Son rôle est celui de général, de Breton, de conquérant et surtout de chrétien. Quelles espérances découlent de la jouis- sance paisible et sans dispute de ce beau pays, avec la bénédiction du bon Dieu par dessus tout ! Il me semble voir les villes grandir, les établissements se multiplier, et les sauvages déserts devenir un champ fructueux béni du Seigneur ; et, pour compléter le tableau, je vois les églises se dresser et prospérer dans la grâce chrétienne était le siège de Satan et de l'idolâtrie sauvage."

Nathaniel Appleton, de Cambridge, salue en ces termes l'aurore d'une ère nouvelle : "Qui peut dire les grandes et glorieuses choses que Dieu destine au monde, surtout à ce monde d'Amérique ? Oh î vienne le temps ces déserts, qui dans la nuit des âges n'étaient que les régions des ténèbres et le royaume de la barbarie, seront illuminés du flambeau du triomphant Evangile, et cette partie du monde, naguère entièrement inconnue, fera la gloire et la joie de la terre !''

La guerre ayant pris fin sur le continent améri- cain, les colonistes britanniques respirèrent pour un temps, bien qu'entraînés sans s'en rendre compte vers de plus rudes combats. Ils avaient sans doute appris de rudes leçons. Leurs jalousies mutuelles et leurs disputes, les querelles de leurs gouverneurs et de leurs assemblées, le manque d'organisation mili- taire générale, l'absence d'esprit martial chez la

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plupart d'entre eux, tout cela, joint à une conception mesquine de leurs intérêts privés, en faisait de mauvais soldats pour la guerre offensive. On ne saurait dire non plus que les troupes britanniques envoyées au début pour les protéger fussent remar- quables au point de vue de la discipline et du commandement. A l'ouverture des hostilités, l'armée de la Grande-Bretagne était si faible en nombre qu'elle méritait à peine ce nom. On dût en créer une nouvelle ; c'est ainsi que l'inexpérimenté Shirley, l'incapable Loudon, avec le frivole Newcastle derrière eux, avaient contre eux, contre leur propre impuis- sance, le désavantage de troupes improvisées et d'officiers à moitié formés ; sans compter qu'ils avaient à faire face à un ennemi qui, malgré sa faiblesse numérique, avait de son côté la force d'une organisation militaire savamment centralisée, des commandants sachant leur métier et armés d'une autorité absolue et incontestée, des troupes aguerries et une population non seulement brave, mais ea général rompue à la guerre.

La nature du pays était une autre cause contri- buant à l'issue des hostilités. " La géographie, dit Von Molke, voilà les trois quarts de l'art militaire." Jamais on ne vit plus éclatante confirmation de cette vérité. Le Canada avait une formidable ligne de défense dans ses sauvages forêts, ses marais et ses montagnes, à travers lesquels les seuls chemins étaient des cours d'eau bloqués de cataractes. Jamais la mobilisation d'une armée, avec ses lourds bagages et son artillerie, n'avait été un plus rude problème. La difficulté était moins de se battre que d'arriver

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jusqu' à l'ennemi. Quelques chemins praticables à travers ces immenses solitudes auraient abrégé la guerre et en auraient modifié le caractère.

Pour ces raisons entre autres, la supériorité numérique des Anglais était à un certain point de peu d'utilité. Cette supériorité, tout exagérée qu'elle ait été par les écrivains français, était énorme si l'on tient compte du nombre d'hommes appelés sous les armes ; mais une partie seulement pouvait être utilisée pour les opérations offensives. Le reste servait de garnison dans les forts et les blockhaus, et gardait la ligne extrême de frontière depuis la Nouvelle-Ecosse jusqu'à la Caroline du Sud, un ennemi, rusé, farouche et silencieux comme le destin, choisissant son heure et son point d'attaque, tombant à l'improviste sur les endroits les moins gardés, tenait des milliers d'hommes, disséminés sur d'in- nombrables points de défense, dans une alerte perpétuelle contre les assauts de quelques centaines de maraudeurs sauvages. Ce service absorbait comme il faut la moitié des levées coloniales et un grand nombre de réguliers.

L'avantage du nombre fut souvent du côté des Français dans les principaux engagements, à raison de leur facilité relative à concentrer leurs forces sur un point donné. Sur les dix sièges et combats importants de la guerre, cinq sans compter le terrible combat sous bois les Sauvages défirent Braddock furent des victoires françaises ; et dans quatre de ces éventualités Oswego, Fort William- Henry, Montmorenci et Sainte-Foy l'avantage fut décidément du côté de la France.

i74 CHUTE DU CANADA

Ajoutons que, dans cette guerre, la plus pitto- resque et la plus dramatique des guerres d'Amérique, rien n'est plus remarquable que l'habileté des chefs français et canadiens à tirer parti des circonstances ; que l'esprit indomptable qui animait ces hommes, délaissés et abandonnés à leurs propres ressources, et qui leur fit accomplir des prodiges contre tant d'obstacles ; et que l'intrépidité avec laquelle ils furent également secondés par les réguliers et les milices. En dépit de quelques défaillances occasion- nelles, la défense du Canada mérite un tribut d'admiration.

i753-!763 LA PAIX DE PARIS

CONFORMÉMENT aux termes de la capi- tulation de Montréal, les officiers militaires français, ainsi que tous les soldats qui purent être rassemblés et tous les principaux fonc- tionnaires civils de la colonie, rentrèrent en France à bord de navires fournis par les conquérants. Ils furent volontairement suivis des principaux membres de la noblesse canadienne et de plusieurs négociants qui ne voulurent pas jurer allégeance au Roi George. Les paysans et les plus pauvres des colons restèrent au pays pour commencer une nouvelle existence sous un nouveau drapeau.

Bien que cet exode de la classe dirigeante du Canada dût être en partie différé à l'année suivante, et bien que le nombre de personnes à rapatrier fût réduit par la désertion de beaucoup de soldats français qui avaient pris femme au pays, les autorités anglaises n'en furent pas moins dans un grand embarras lorsqu'il fallut trouver assez de vaisseaux pour toute cette multitude de passagers. Lorsqu'enfin le convoi de transports se fut mis en route, une succession de furieuses tempêtes d'automne se déchaîna sur eux. Le vaisseau qui portait Lévis échappa avec peine au naufrage, et celui se trouvaient Vaudreuil et son

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épouse fut à peine mieux traité. ( i ) Le pire sort de tous fut celui de Y Auguste, à bord duquel se trouvait le brave mais cruel partisan Saint-Luc de la Corne, avec son frère, ses enfants et un groupe d'officiers canadiens, ainsi que des femmes, des marchands et des soldats. Un digne ecclésiastique a rendu compte de l'épisode ; il représente le malheureux vaisseau comme une Babylone flottante et voit dans son nau- frage le doigt vengeur de la Providence. (2) Dans ses dernières années, la Nouvelle-France s'était fort émancipée ; mais X Auguste n'était pas encore sorti du Saint-Laurent qu'il se faisait rudement ballotter et secouer par les vagues, son pont était balayé par des paquets de mer, inondé par l'eau du ciel, au point d'enlever tout charme à ce que le péché a de plus séduisant; aussi ces terribles journées furent-elles pour les voyageurs un temps de repentance plutôt que de frivolité.

La tempête éclata dans toute sa violence à l'entrée du navire dans le golfe ; puis, lorsque vint l'accalmie, le feu se déclara dans la partie des cuisines. Au prix d'efforts désespérés, l'équipage et les passagers purent éteindre les flammes ; mais de ce moment leur unique nourriture fut du biscuit sec. Un autre ouragan les attendait au large du Cap Breton. Us perdirent leur route et se laissèrent aller au gré de la tempête. Les matelots, épuisés, désespérés, se jetèrent dans leurs hamacs, d'où rien ne put les arracher, ni les ordres de leurs chefs ni même les coups ; au milieu d'une scène

[1] Lévis à Belleisle, 27 novembre 1760.

[2] Faillon, Vie de Mademoiselle Le Ber, 363-370.

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de larmes, de gémissements, de prières et de vœux au Ciel, V Auguste fut poussé au rivage, toucha fond et roula sur le côté. La Corne et six autres purent gagner terre ; à la nuit tombante, ils virent le navire se rompre en deux, et comptèrent cent quatorze cadavres qui roulèrent le long du rivage. Grâce à l'aide de Sauvages et d'officiers anglais, La Corne se fraya un chemin à la raquette le long de la rivière Saint-Jean, et par un effort qui tient du miracle atteignit Québec avant la fin de l'hiver. (1)

Les autres vaisseaux résistèrent aux ouragans de novembre et déposèrent leurs passagers sur les côtes de France, quelques-uns trouvèrent un désagréable accueil ; ils furent pris et jetés dans la Bastille. Ce furent Vaudreuil, Bigot, Cadet, Péan, Bréard, Varin, LeMercier, Penisseault, Maurin, Corpron et autres, accusés d'avoir trempé dans les fraudes et les péculats qui avaient contribué à la ruine du Canada. Tous eurent leur procès l'année suivante, soit par acte de pure justice, soit par tactique, pour détourner du gouvernement l'indignation publique. En décembre 1761, les juges chargés de l'affaire ouvrirent leurs sessions au Châtelet, et une prodi- gieuse masse de preuves écrites leur fut soumise. Cadet, après avoir commencé par protester de son innocence avec une effronterie sans pareille, finit par faire une confession complète et honteuse. Bigot nia tout, jusqu'à ce que sur tous les points on lui fermât la bouche par la production de pièces portant sa propre signature. Les prisonniers se défendirent

[ 1] Journal du voyage de M. Saint-Luc de la Corne ; son propre récit.

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à tour de rôle en s'accusant les uns les autres. Bigot et Vaudreuil se chargèrent mutuellement ; tous furent unanimes à dénoncer Cadet. Vaudreuil, comme on le sait déjà, fut acquitté. Bigot fut banni de France à perpétuité, ses biens furent confisqués, et il fut condamné à payer quinze cents mille francs par voie de restitution. Cadet fut banni de Paris pour neuf années et condamné à rembourser six millions ; pour d'autres, les sentences variaient de trente mille à huit cent mille francs avec ordre de les retenir en prison jusqu'à ce que l'argent fût payé. Sur vingt-un mis en jug'ement, dix furent condamnés, six furent acquittés, trois subirent l'admonition, et deux furent renvoyés faute de preuves; trente-quatre firent défaut de comparaître; sept de ceux-ci furent condamnés par défaut, et jugement fut réservé contre les autres, (i) Ceux mêmes qui échappèrent à la justice profitèrent peu de leurs péculats, car, à moins de les avoir tournés prématurément en biens-fonds ou en quelque autre valeur substantielle, ils les perdirent par la dépréciation d'un papier qui n'avait plus de cours ou de lettres de change déshonorées.

Tandis que le continent américain assistait aux dernières scènes du drame de la guerre, les hostilités se poursuivaient avec plus de fureur que jamais en Europe. L'Angleterre était en pleine voie de succès, mais son grand allié, Frédéric de Prusse, semblait courir à sa ruine. Dans l'été de 1758, sa gloire avait atteint l'apogée. Français, Autrichiens, Russes, tous

[1] Jugement rendu souverainement et en dernier ressort dans l'affaire du Canada. Papiers du Châtelet de Paris, cités par Dussieux.

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avaient fui devant ses armes. Mais l'automne lui avait apporté des revers ; le général autrichien Daun, à la tête de forces écrasantes, avait gagné sur lui une victoire partielle, que la savante stratégie de Frédéric avait rendue infructueuse.

Ce n'était qu'un répit momentané. Son royaume était épuisé par ses propres triomphes. Ses meilleurs généraux étaient morts, ses meilleurs soldats avaient péri ou n'étaient plus que des invalides, ses ressources étaient à peu près épuisées, jusqu'aux candélabres de son palais qui avaient été monnayés ; enfin, toute l'Europe était en armes contre lui. Jusqu'ici les envahisseurs avaient été tenus en respect par la valeur disciplinaire des troupes prussiennes, sous la direction souveraine de son intrépide roi ; mais désormais le dénouement paraissait proche. Frédéric ne pouvait être partout à la fois ; lorsqu'il fermait le passage d'un côté, le torrent pénétrait sur un autre point. Les Russes firent un autre mouvement en avant, défirent le général Wedell, qu'il avait envoyé contre eux, et opérèrent leur jonction avec les Autrichiens. En août 1759, il attaqua leurs forces réunies à Kunersdorf, mis en pièces leur aile gauche, leur prit cent quatre-vingts canons, fit perdre pied à leur centre, mais après une furieuse mêlée de quelques heures il se voyait finalement écraser. En vain tenta-t-il d'arrêter la déroute. Les balles tuèrent deux chevaux sous lui, lacérèrent ses vêtements, brisant une taba- tière en or dans la poche de son gilet. "N'y aura-t-il

pas unef balle pour me tuer?" s'écria-t-il avec rag'e,

pendant que ses aides-de-camp l'entraînaient hors du champ de bataille. Il eut quelques jours de découra-

180 LA PAIX DE PARIS

gement, mais reprit bientôt son triste poste ; le sourire aux lèvres, l'angoisse dans l'âme, il surveilla l'ennemi, dirigea les manœuvres, engagea de nou- veaux combats avec le stoïque courage du désespoir. Peu après sa défaite, il écrivait à son ami D'Argens : "La mort est douce en comparaison d'une vie comme la mienne. Prenez-moi en pitié comme elle ; croyez que je garde pour moi seul les pires choses, ne voulant pas en affliger ni en dégoûter les autres ; je ne vous conseillerais pas à vous-même de fuir ce malheureux pays, ne me restât-il qu'une lueur d'espérance. Adieu, mon cher !" Ce fut un bonheur pour lui et pour la Prusse que les dissensions et les tergiversations de ses ennemis, qui servirent ainsi in- volontairement sa cause. Mais sa coupe d'amertume n'était pas encore pleine. Dresde lui fut enlevé, huit des généraux qui lui restaient furent capturés avec douze mille hommes à Maxen, et "cette infernale campagne," comme il disait, se termina dans d'é- paisses ténèbres.

" Je m'enveloppe tant que je peux dans mon stoïcisme, écrivit-il à Voltaire. Si vous me voyiez, vous me reconnaîtriez à peine ; je suis vieux, cassé, tout gris et tout plissé. Pour peu que cela continue, il ne restera plus guère de moi que la manie de faire des vers et un inviolable attachement à mes devoirs et aux quelques hommes vertueux que je connaisse. Mais vous ne verrez pas ma main signer la paix, à moins que les conditions n'en soient honorables pour ma nation. Votre peuple, gonflé d'orgueil et de folie, peut compter là-dessus.''

La campagne de Frédéric en 1760 fut marquée

LA PAIX DE PARIS 181

par le même héroïque entêtement contre des éléments écrasants, la même intrépide résolution, la même subtile stratégie, la même adresse à éluder les coups et la même foudroyante promptitude à en porter. A Liegnitz, trois armées, chacune égale en nombre à la sienne, le cernaient, et il les mit toutes en fuite. Pendant qu'il se battait en Silésie, les alliés mar- chèrent sur Berlin, s'en emparèrent, y séjournèrent pendant trois jours, mais évacuèrent la place à son approche. Pour lui, il n'y avait pas de paix. "Pour- quoi vous ennuyer des détails de mes labeurs et de mes chagrins ? écrit-il de nouveau à son fidèle D'Argens. Mes esprits m'ont abandonné ; toute joie est enterrée avec les êtres chéris et nobles auxquels était lié mon cœur." Il avait perdu sa mère et sa dévouée sœur Wilhelmine. u Disciple d'Epicure, vous attachez du prix à la vie ; pour moi, j'envisage la mort de l'œil des stoïciens. Je vous l'ai dit, et je le répète, jamais ma main ne signera une paix humiliante. Je finirai cette campagne, résolu à tout oser, à triompher ou à trouver une fin glorieuse." C'est alors que vint la victoire de Torgau, la dernière et l'une des plus désespérées de ses batailles ; succès chèrement acheté, qui du reste n'apportait ni repos ni sécurité. Il écrit encore à D'Argens : " Adieu, cher marquis ; écrivez-moi quelquefois. N'oubliez pas un pauvre diable qui dix fois le jour maudit sa

fatale existence Je mène une vie de moine

soldat. Du travail sans relâche, et quelque consola- tion avec mes livres. J'ignore si je survivrai à cette guerre ; si cela m'arrive, j'ai la ferme résolution de passer le reste de mes jours dans la solitude, au sein

i8c LA PAIX DE PARIS

de la philosophie et de l'amitié. Votre nation, vous le voyez, est plus aveugle que vous ne le pensiez. Les fous ! qui perdent le Canada et Pondichéry pour faire plaisir à la Reine de Hongrie et à la Tzarine."

La campagne de 1761 fut plutôt défensive de la part de Frédéric. Dans l'épuisement de ses ressour- ces, il ne pouvait plus espérer trouver les moyens de poursuivre la lutte. " La hasard seul, dit le royal sceptique, peut me retirer de la situation je me trouve. Je m'en échappe en contemplant l'univers dans toute sa magnitude, comme si je l'observais de quelque lointaine planète. Toutes choses alors réapparaissent si infiniment petites que pour un peu je prendrais mes ennemis en pitié, de ce qu'ils se donnent tant de peines pour si peu. Je lis beaucoup, je dévore mes livres. Sans leur compagnie, je crois que Bedlam m'aurait déjà pour pensionnaire. En somme, cher marquis, nous vivons en des temps agités et au milieu de situations exaspérantes. J'ai toutes les aptitudes d'un héros de théâtre, toujours en danger, toujours sur le point de périr. "(1) Dans un autre moment : "Je commence à éprouver, comme disent les Italiens, que la vengeance est le plaisir des dieux. Ma philosophie est usée par la souffrance. Je ne suis pas un saint, et j'avoue que je mourrais content si je pouvais seulement infliger aux autres une partie des misères que j'endure.''

Pendant que Frédéric défendait ainsi sa vie et sa couronne, il se produisit en Angleterre un événe- ment qui devait avoir une grande influence sur la

[1] Ces extraits sont traduits d'une traduction de Carlyle dans son Histoire de Fiêdêric II de Prusse.

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guerre. Walpole le relate ainsi dans une lettre à George Montagu le 25 octobre 1760 : "Mon homme Harry me rapporte toutes les nouvelles amusantes. Il m'a d'abord fait part de la mort du feu Prince de Galles, puis aujourd'hui de celle du Roi ; je dois donc vous dire tout ce que je sais de la défunte Majesté. Il s'est mis au lit hier au soir en bonne santé, s'est levé à six heures ce matin comme d'habi- tude, s'est assuré, je suppose, que tout son argent était dans sa bourse, et a demandé son chocolat. Peu après sept heures il est entré dans le cabinet ; le valet de chambre allemand entendit du bruit, accourut, et trouva le héros d'Oudenarde et de Det- tingen sur le plancher avec une incision à la tempe droite qu'il s'était inflig-ée en tombant sur l'angle d'un bureau. Il essaya de parler, ne le put, et expira. Le gros ventricule du cœur s'était crevé. Quelle fin enviable !''

Le vieux roi eut pour successeur son petit-fils Georges III, un modèle de vertus domestiques, conciencieux, têtu, étroit. Son avènement précipita les changements politiques qui se préparaient depuis un certain temps. Le grand-père, allemand de cœur, aimant son royaume continental de Hanovre, s'était montré favorable à toute mesure tendant à le dé- fendre et à le préserver. Pitt aussi, dans ces derniers temps, avait vigoureusement appuyé la guerre conti- nentale, disant qu'il voulait conquérir l'Amérique en Allemagne. Ainsi, à des points de vue différents, le roi et le ministre avaient collaboré à la même poli- tique. Mais George III était anglais de naissance, de langue et d'inclination. Sa passion dominante fut

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d'asseoir et d'accroître son autorité personnelle. Il n'aimait pas Pitt, le représentant du peuple. Il était cordialement opposé à la guerre, dont la continuation rendait le grand commoner nécessaire et par consé- quent puissant ; aussi aspirait-il à la paix, qui lui donnerait ses coudés franches dans ses plans d'affer- missement de la prérogative. Il n'était pas isolé dans ce mouvement pacifique. Les ennemis de ce hautain ministre, habitué à chevaucher haut la main sur la tête d'hommes d'un rang plus élevé que lui, étaient fatigués de son ascendant, et ne voyaient plus d'autre moyen d'y mettre fin qu'en mettant fin à la guerre. Ainsi se forma le parti de la paix, dont le jeune roi devint, sinon tout d'abord ouvertement, le véritable patron.

Le parti tory, depuis longtemps enterré, donna des signes de résurrection. Il y avait parmi ses membres des hommes disposés à reconnaître et à admirer, même dans un roi de la dynastie détestée de Hanovre, le même esprit de domination arbitraire qui distinguait jadis leurs idoles déchues, les Stuarts ; ils se joignirent aux mécontents whigs dans leur opposition à Pitt. Les horreurs de la guerre, les bienfaits de la paix, le fardeau des impôts, l'accrois- sement de la dette nationale, tels furent les cris de ralliement du nouveau parti ; mais au fond le principal ressort de leur zèle était leur aversion commune pour le grand ministre. Ses propres collègues eux-mêmes trépignaient sous ses airs de despote ; les chefs de l'opposition brûlaient d'hériter de sa puissance ; le roi, de son côté, Pavait pris en grippe dès le premier jour, voyant en lui un obstacle sur son chemin. Pitt

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tint bon dans ses projets, sans se préoccuper de l'orage qui se formait. Son objet, tel que l'avouaient ses partisans, était d'assurer une paix durable et solide, ce qui signifiait la réduction de la France à un degré assez bas pour qu'elle ne fût plus un danger pour sa rivale. Il avait en cela la sympathie du grand corps de la nation.

De bonne heure en 1761, le Roi, fanatique sur le chapitre de la prérogative, mit ses batteries en action. Les élections au nouveau parlement furent manœuvrées à son profit. Si Pitt lui déplaisait comme représentant de la volonté populaire, il n'aimait guère mieux son collègue l'évasif et mobile New- castle, représentant d'une noblesse trop puissante. Aussi introduisit-on des éléments hostiles à l'un et à l'autre dans le cabinet et dans les places d'honneur. Le favori du Roi, le comte de Bute, supplanta Holdernesse comme secrétaire d'Etat pour le dépar- tement du Nord ; Charles Townshend, un adversaire de Pitt, devint secrétaire de la Guerre ; Legge, Chancelier de l'Echiquier, fut remplacé parle vicomte Barrington, une créature du Roi ; on fit place dans le cabinet au duc de Bedford, l'un des rares person- nages qui osassent tenir tête au formidable ministre. Ce fut la politique du Roi et de sa suite de lâcher la Prusse, jusque-là soutenue par les subsides britan- niques, de lier amitié avec l'Autriche et la Russie à son détriment, et de conclure la paix à part avec la France.

La France était en grand besoin de paix. L'in- fatuation qui lui avait fait oublier ses propres intérêts

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pour servir les caprices de Marie-Thérèse et de la Tzarine Elizabeth lui avait valu l'humiliation de ses armes et la ruine de ses finances. L'abbé de Bernis, ministre des affaires étrangères, avait perdu la faveur de Madame de Pompadour, et avait été supplanté par le duc de Choiseul. C'était en faisant sa cour à la favorite que le nouveau ministre avait obtenu sa place ; il sut s'y maintenir par sa propre habileté, servie par les exigences de la situation. L'Anglais Stanley, que Pitt envoya pour négocier avec lui, le peint en ces termes : "Il peut avoir des supérieurs, non seulement dans l'expérience des affaires, mais aussi en profondeur et en raffinement comme homme d'Etat ; c'est tout de même un esprit tout aussi hardi et entreprenant qu'aucun de nos meilleurs hommes ou de ceux de son pays. Pour tous les courtisans et ministres avant lui, madame Pompadour était une sorte de divinité tutélaire, sans laquelle ils parais- saient ne pouvoir subsister et dont l'accès leur était tout aussi interdit que si elle eût été d'une classe d'êtres supérieurs ; ce nouveau ministre se subor- donne si peu à son influence qu'il a saisi la première occasion de lui enlever non seulement part égale, mais même la moindre part au pouvoir, en la rédui- sant à la nécessité de s'adresser à lui, pour les faveurs mêmes qu'elle demande pour sa propre maison et ses protégés. Il a accompli cette importante réforme, que personne dans l'intimité de la cour n'aurait jamais cru possible, non par rouerie, flatterie ou intrigue, mais haut-la-main, employant fréquemment la raillerie, le sarcasme d'une manière qui eût été

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fatale à tout autre ; en un mot, il s'est montré esprit supérieur et d'une rare résolution." (1)

Choiseul avait de la vivacité, de l'éclat, du coup d'œil et de la pénétration ; ne croyant à rien, ne craignant rien, il était de morale facile, allié peu sûr, ennemi des prêtres, léger, inconstant ; avec cela, patriote en son genre, brûlant de servir la France et de réparer ses revers.

Il ne se faisait pas d'illusion. "Puisque nous ne savons comment faire la guerre, dit-il, faisons la paix ;'' (2) et il émit l'idée d'un congrès de toutes les puissances belligérantes à Augsbourg. En même temps, puisque la guerre d'Allemagne était distincte du conflit maritime et colonial de la France et de l'Angleterre, il proposait des négotiations séparées avec la cour britannique afin de régler les questions en litige entre elles à titre de préliminaires à la pacification générale. Pitt consentit, et Stanley alla à Versailles comme envoyé ; M. de Bussy se rendit à Londres au même titre et, au nom de Choiseul, offrit des conditions de paix dont la première était l'entier abandon du Canada à l'Angleterre. (3)

Mais cette offre était accompagnée d'une demande d'admission de l'Espagne comme partie aux négociations, et l'Espagne avait des griefs par- ticuliers contre l'Angleterre ; on demandait même qu'elle eût, dans une certaine mesure, le rôle de médiateur. Pitt repoussa l'idée avec un dédain

[1] Stanley à Pitt, 6 août 1761, Gre?iville Cotre spondence. i, 367. [2] Flassan, Diplomatie Française V, 376 [Paris 1809.] [3] Pour ces propositions, voir Bntick, V, 161.

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indigné. " II sera temps de traiter de tout cela, monsieur, lorsque la Tour de Londres aura été prise l'épée à la main." (i) Il maintint son point avec la ténacité qui ne lui manquait jamais, même avec une suprême arrogance, jusqu'au point d'exiger que la forteresse de Dunkerque fût rasée, non qu'elle fût désormais un danger pour l'Angleterre, mais parce que la nation verrait dans sa destruction l'éternel emblème du joug imposé à la France. (2)

Choiseul répondit par des contre-propositions moins humiliantes pour sa nation. Lorsque la question de les rejeter ou de les accepter vint devant le ministère anglais, l'opinion de Pitt prévalut à la majorité d'une voix, et les pourparlers furent rompus, au grand désappointement de Bute et du Roi. Choiseul, de nouveau précipité dans les aventures d'une guerre, avait prévu le cas et j avait pourvu. Ferdinand VI d'Espagne était mort, et Charles III lui avait succédé sur le trône. comme en Angle- terre, changement de roi entraîna changement de politique. Pendant qu'il négociait vainement avec Pitt, le ministre français négociait secrètement, et avec succès, avec Charles ; le résultat fut le traité connu sous le nom de pacte de famille, ayant pour objet l'union des divers membres de la Maison de

[1] Beatson, Military Memoirs, ii, 434. The Count de Fuentes to the Earl of Egremont, 25 décembre 1761 : Bntick V, 264.

[2] Pour ces négociations, voir Mémoire historique sur la~N égociation de la France et de V Angleterre [Paris 1761], publication du gouvernement français contenant les pièces de part et d'autre. Le ministère anglais publia aussi les documents qu'il jugea à propos, sous le titre : Paper s relating to the rupture ivith Spain. Confronter Adolphus, George III, i, 31-39-

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Bourbon dans une commune résistance à l'ascendant croissant de l'Angleterre. Il y était stipulé que dans toute guerre future les rois de France et d'Espagne agiraient comme un seul homme à l'égard des puissances étrangères, de sorte que l'ennemi de l'un fût l'ennemi de l'autre ; et les princes Bourbons d'Italie furent invités à se joindre à cette ligue. (1) Ce qui touchait plus au présent, c'est qu'une convention spéciale se concluait le même jour, par laquelle l'Espagne s'engageait à déclarer la guerre à l'Angleterre à moins que celle-ci ne fît la paix avec la France avant le 1er mai 1762. Pour la sécurité de ses colonies et de son commerce, l'Espagne se croyait intéressée à se joindre à la nation voisine pour mettre un frein à l'énorme expansion de la puissance maritime de la Grande-Bretagne. Elle pouvait fournir une centaine de vaisseaux de g'uerre en aide à la marine ruinée de la France, et les richesses des Indes au service de son trésor épuisé. Pitt devina le traité secret, et ne tarda pas à en avoir la confirmation. Il résolut de demander des explications immédiates à l'Espagne et, faute de réponse satisfaisante, de l'attaquer chez elle et ailleurs avant qu'elle eût le temps de se garer. Le 2 octobre, il exposa son plan devant un conseil de cabinet tenu dans une maison rue Saint-James. Etaient présents le comte de Bute, le duc de New- castle, le comte Granville, le comte Temple, et d'autres membres du ministère. Pitt plaida sa cause avec une extrême chaleur. Il s'écria: " C'est le

[1] Flassan, Diplomatie Française, V, 317 [Paris 1809].

i9o LA PAIX DE PARIS

moment d'humilier la Maison de Bourbon toute entière ! v (i) Son beau-frère Temple l'appuya, Newcastle garda le silence. Bute dénonça le projet et les autres furent de son avis. " Si c'est ce qui doit être fait, dit Pitt, c'est la dernière fois que je puis siéger ici. J'ai été appelé à l'administration des affaires par la voix populaire ; c'est au peuple que je me suis toujours considéré responsable de mes actes ; je ne puis donc rester davantage dans une situation qui me rend responsable de mesures qu'il m'est impossible de diriger plus longtemps." Il ne pouvait y avoir de langage plus offensant pour George III et ses partisans.

Le vétéran Carteret, comte Granville, répondit avec humeur : " Je vois que Monsieur est déterminé à nous laisser ; je ne saurais dire que j'en suis fâché, puisque autrement c'est certainement lui qui nous aurait forcés à le quitter. Si c'est son intention de prendre sur lui-même la responsabilité d'aviser Sa Majesté et de diriger les opérations de la guerre, pourquoi sommes-nous convoqués en conseil ? En se disant responsable au peuple, il tient le langage de la Chambre des Communes ; il oublie qu'ici il n'est responsable qu'au Roi. Il a pu se convaincre lui-même de sa propre infaillibilité ; mais il faudra quelque chose de plus, c'est de nous en convaincre à notre tour avant de nous faire abdiquer notre libre arbitre devant sa volonté et de nous amener à appuyer la mesure qu'il propose. (2)

[1] Beatson, ii, 438.

[2] Annual Register, 1761, p. 44. Adolphus. George III, 40. Thackeray, Life of Chatham, i, 592.

LA PAIX DE PARIS 191

Pitt démissionna, à la joie de ses collègues. (1) Le pouvoir tomba aux mains de Bute et des Tories, et grande fut la chute. La masse de la nation était avec le ministre déchu. Le jour du lord-mayor, comme Bute et Barrington passaient devant Saint- Paul, la foule, prenant leur équipage pour celui de Pitt, se mit à applaudir avec frénésie ; un spectateur, regardant par la portière, cria aux autres : uCe n'est pas Pitt ; c'est Bute, and be damned to him /" Les applaudissements se changèrent en huées, aux cris de "Pas de Bute ! Pas de saumon Newcastle ! Pitt à jamais !" Des poignées de boue s'abattirent sur la voiture ; le jabot de Barrington en fut souillé. (2)

La chute de Pitt fut comme le glas funèbre de Frédéric de Prusse. C'était l'abandon de son unique allié, la perte des subsides qui étaient sa principale ressource. Les ténèbres s'épaisissaient tout autour de lui, et il ne semblait plus rien avoir à espérer, lorsque soudain, comme par miracle, le nuage se dissipa, et la lumière émergea de l'ombre. Le plus féroce de ses ennemis, la Tzarine Elisabeth, celle qu'il avait bap- tisée "l'infâme catin du Nord," venait de mourir, et son neveu Pierre III lui succédait. encore, comme en Angleterre et en Espagne, nouveau souverain, nouvelle politique. Le jeune Tzar, naïf et enthou- siaste, était l'admirateur du roi de Prusse, voyait en lui l'idéal du héros, se proclamait son ami. Il n'eut pas plus tôt pris plaee sur le trône que la Russie

[1] Walpole, George III, i 8o, et note de sir Denis I,e Marchant, 80- 82.

[2] Nuthall to Lady Chatham, 18 novembre 1761, Chatham corres- pondence, i, 166.

192 LA PAIX DE PARIS

faisait volteface. D'ennemie de Frédéric, elle devenait son alliée et, à l'ouverture de la campagne de 1762, l'armée qui devait aider à son écrasement se rangeait à ses côtés. Ce retour de fortune était trop diamétral, trop brusque pour durer. Mal équilibré et excessif en tout, Pierre se précipita tête baissée dans un tas de réformes, exaspéra le clergé et l'armée, s'aliéna sa femme Catherine, qui avait espéré régner à l'abri de son nom, et qui se voyait désormais supplantée par une maîtresse. Six mois après, il était déposé et étranglé. Catherine, dont l'un des amants avait par- ticipé à l'assassinat, prit les rênes à sa place, et se rendit remarquable par les désordres sans frein de sa vie privée, mais en même temps par une puissance intellectuelle qui la désigne comme la plus grande des femmes-rois de l'histoire. Si elle ne partagea pas l'enthousiasme de son époux pour Frédéric, elle n'épousa point davantage la haine que lui avait portée Elizabeth. De son côté, assagi par les rudes leçons de l'expérience, Frédéric se la concilia au lieu de la provoquer ; elle le laissa tranquille.

La paix avec la Russie entraîna la paix avec la Suède, et l'Autriche resta seule contre lui avec l'Empire Germanique. La France n'avait pas trop de toutes ses forces pour se maintenir contre les armées coalisées d'Angleterre et d'Allemagne que comman- dait Ferdinand de Brunswick dans les pays du Rhin. Elle tenta de spasmodiques efforts pour s'emparer du Hanovre, mais n'aboutit qu'à une humiliante défaite.

En Angleterre, George III poursuivait son rêve d'affermissement de prérogative ; jaloux de l'aristo-

LA PAIX DE PARIS 193

cratie whig, il l'attaqua dans la personne de New- castle. C'était en vain que le vieux politique avait joué faux avec Pitt et louvoyé pour plaire à son jeune maître. On lui créa assez d'ennuis pour l'amener à se démettre de son siège dans le cabinet ; Bute, l'obséquieux instrument de la volonté royale, le remplaça comme premier lord de la Trésorerie. La tâche de poursuivre la guerre ne pouvait guère tomber en mains plus débiles et plus mal disposées ; cepen- dant, la nation, grisée de triomphes et de projets belliqueux, ne cessait de demander aux gouverne- ments de nouveaux sacrifices, de nouvelles victoires. Pitt s'était montré bon prophète ; ses ennemis étaient dans la confusion, car l'attitude de l'Espagne força Bute et ses collègues à une rupture ouverte, juste ce que le grand homme d'Etat avait vainement cherché à leur imposer ; une nouvelle guerre, et une formi- dable, allait s'ajouter à l'autre. (1) Dans leurs conseils ils se montraient timides, sans force, pendant que les armées et la marine anglaises sentaient encore la forte impulsion que leur avait imprimée la main dictatoriale de Pitt ; l'esprit indomptable qu'il leur avait insufflé y dominait encore.

Cette impulsion les avait portées de victoire en victoire. En Asie, elles avaient délogé les Français de Pondichéry et de toutes leurs possessions dans les Indes ; en Afrique, elles leur avaient arraché la Gorée et le pays du Sénégal ; dans les Indes Occi- dentales, elles avaient pris la Guadeloupe et Do- mingue ; dans les mers européennes, elles avaient

[1] Déclaration de guerre au roi d'Espagne, 4 janvier 1762.

i94 LA PAIX DE PARIS

pris navire sur navire, mis en déroute et abîmé la grande flotte de l'amiral Connans, saisi Belle-Isle et fait échouer un hardi coup de main sur l'Irlande. La marine française était réduite à l'impuissance. Pitt, avant de résigner, avait projeté toute une série d'opé- rations nouvelles, qui consistaient à attaquer la Martinique, ainsi que les autres îles des Indes Occi- dentales qui restaient à la France, après quoi on se tournerait sur les possessions espagnoles de la Havane, de Panama, de Manille et des Philippines. Jamais la guerre n'était plus manifestement apparue sous son véritable aspect. C'était une guerre de supré- matie maritime et coloniale ; et l'Angleterre avait à faire face à ses deux grandes rivales à la fois.

L'amiral Rodney fit voile pour la Martinique, et le brigadier Monckton le joignit à la tête de troupes d'Amérique. Avant le milieu de février, l'île entière était entre leurs mains ; la Grenade, Sainte-Lucie, Saint-Vincent eurent bientôt le même sort. Le comte d'Albemarle et l'amiral sir George Pococke partirent au commencement du printemps avec une mission plus importante ; en juin, ils débarquaient près de la Havane avec onze mille soldats, et donnaient l'assaut au château de Moro, la clef de la ville. L'impi- toyable soleil de l'été tropical versait ses torrents de feu sur les rochers desséchés les soldats travail- laient aux retranchements. La terre manquait tellement qu'on avait peine à en trouver assez pour fixer les fascines. Les ouvrages de siège n'étaient à vrai dire qu'une masse de fagots desséchés, et lors- qu'après un travail épuisant, la grande batterie put enfin être mise ea action contre les défenses espa-

LA PAIX DE PARIS

*95

gnôles, le feu prit dans les fascines, les consuma, et il fallut les renouveler. L'eau fraîche manquait, les soldats mouraient de soif par douzaines ; la fièvre se mit de la partie, en tua un grand nombre, et désarma près de la moitié de l'armée. La mer était couverte de cadavres flottants, des nuées d'oiseaux de proie planaient sur les cimetières encombrés et sur les camps infectés. Le siège n'en continua pas moins ; une formidable sortie fut repoussée, le château de Moro enlevé d'assaut, et finalement, deux mois et huit jours après le débarquement des troupes, la Havane tombait en leurs mains, (i) En même temps, l'Espagne était attaquée aux antipodes, et la perte de Manille et des Philippines lui fit regretter de nouveau son imprudente alliance avec la France. Elle n'était guère plus heureuse dans son propre voisinage ; elle avait envoyé une armée pour envahir le Portugal, qui était du côté de l'Angleterre, mais une petite armée anglaise, sous les ordres du briga- dier Burgoyne, fit manquer l'affaire, et força les Espagnols à se retirer.

Cette série de succès anglais eut un moment d'interruption à Terreneuve, une escadre française attaqua Saint-Jean et s'en empara avec sa garnison de soixante hommes. La nouvelle fut transmise à Amherst à New-York ; son frère le lieutenant-colonel Amherst fut envoyé sur les lieux, Saint-Jean fut repris, et ses derniers maîtres faits prisonniers de guerre.

La situation financière de la France était déses-

[i] Journal of the siège by the chief Engineer, Beatson, ii, 544. Mante, 398-465. Entick, V, 363-383-

196 LA PAIX DE PARIS

pérée. Son peuple était accablé d'impôts, ses dettes s'accumulaient, et sa dépense annuelle était près du double de ses revenus. Choiseul comprit le besoin d'une paix immédiate; George III et Bute ne la désiraient pas moins, pour détourner le danger du retour de Pitt au pouvoir et aussi pour donner coudées franches à leurs projets d'affermissement de prérogative. Aussi les négotiations étaient-elles reprises en septembre 1762. Le duc de Bedford fut envoyé à Paris pour arrêter les préliminaires, et le duc de Nivernois se rendit à Londres avec une mis- sion analogue. La populace tenait toujours pour la guerre. Bedford fut sifflé lorsqu'il traversa les rues de Londres, et un rassemblement de peuple fit entendre des huées lorsque le minuscule Nivernois débarqua à Douvres.

La grosse question était : Rendrait-on le Canada ? Laisserait-on à la France un dernier pied- à-terre sur le continent nord-américain ? Depuis la capitulation de Montréal, une nuée de pamphlets s'étaient abattus sur cette grosse question. Quelques- uns soutenaient que l'acquisition du Canada n'avait pas été l'objectif premier de la guerre ; que la colonie était de minime valeur et devait être rendue à ses premiers maîtres ; qu'il valait beaucoup mieux garder la Guadeloupe, le commerce sucrier de cette île étant de bien plus grande importance que le trafic de pelleteries du Canada ; enfin, que les colonies auglaises, n'étant plus tenues en échec par la France, s'étendraient sur le continent, apprendraient à se subvenir à elles-mêmes, et deviendraient dangereuses

LA PAIX DE PARIS 197

en atteignant à l'indépendance. Cet aspect de la question n'était pas confiné à l'Angleterre. Il ne man- quait pas d'observateurs étrangers qui prévoyaient nettement que le lien qui unissait la Grande-Bretagne à ses colonies serait un jour brisé par l'extinction de la puissance française en Amérique. Choiseul pré- vint Stanley " qu'elles ne manqueraient pas de secouer le joug dès la cession du Canada" ; treize ans auparavant, le voyageur suédois Kalm n'avait-il pas déclaré que la présence des Français en Amé- rique donnait à la Grande-Bretagne les meilleures garanties de suzeraineté sur ses propres colonies ? (1) Le plus fort argument à l'encontre fut celui de Franklin, dont les paroles devaient avoir une si étrange résonance quelques années plus tard. Il affirmait que les colonies étaient si jalouses les unes des autres qu'elles ne se coaliseraient jamais contre l'Angleterre. 6i Si elles n'ont pu s'entendre pour se battre contre les Français et les Sauvages, peut-on raisonablement supposer le danger de leur coalition contre leur propre nation, à laquelle, on le sait, elles portent beaucoup plus d'attachement qu'elles n'en éprouvent les unes pour les autres? J'irai jusqu'à dire que, loin d'être même probable, leur union dans un pareil but est absolument impossible ; à moins, ajoute-t-il prudemment, qu'il n'arrive des actes de tyrannie et d'oppression monstrueuse", rappelant e "régime sanglant d'Alva dans les Pays Bas." (2)

[1] Kalm, Voyages dans l'Amérique du Nord, i, 207.

[2] Interest of Great Britain in regard to her Colonies [Londres, 1760]. Lord Bath prêche la retenue du Canada, [A letter adtessed to two Great Men on the prospects of Peace [1759]. On lui répondit par un autre

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Pitt, eût-il été en office, aurait imposé des con- ditions absolument ruineuses pour la puissance maritime et coloniale de la France ; Bute fut moins exigeant. En novembre, les plénipotentiaires d'An- gleterre, de France et d'Espagne s'entendirent sur des préliminaires de paix dont voici les points essen- tiels. La France cédait à la Grande-Bretagne le Canada et toutes ses possessions sur le continent nord-américain à l'Est du fleuve Mississippi, à l'exception de la ville de la Nouvelle-Orléans et du petit district adjacent. Elle renonçait à ses droits sur l'Acadie, et rendait au conquérant l'Ile du Cap- Breton, avec toutes les autres îles du golfe et du fleuve Saint-Laurent. L'Espagne reprenait la Ha- vane, cédait en échange la Floride, avec toutes ses autres possessions à l'Est du Mississippi. La France, sauf certaines restrictions, gardait la liberté de faire la pêche dans le golfe Saint-Laurent et au large d'une partie des côtes de Terreneuve, et les deux minuscules îles de Saint-Pierre-Miquelon lui étaient données comme stations de pêche à la condition de ne pas les fortifier ni d'y tenir garnison. Dans les Indes Occidentales, l'Angleterre remettait ses cap- tures de la Guadeloupe, de Marie Galante, de la Désirade et de la Martinique, et la France cédait Grenade et les Grenadines ; il était en même temps

pamphlet intitulé : Remarks on the Letter to two Great Men [1760]. I^e Gentleman' s Magazine de 1759 contient un article ironique intitulé : Reasonsfor restoring Canada to the Ftench, En 1761, parut un pamphlet contre la restitution sous le titre : Importance of Canada considered in two Letters to a Noble Lord. Ce ne sont que quelques-uns des écrits publiés sur la question.

LA PAIX DE PARIS 199

convenu que les îles soi-disant neutres, Saint-Vincent, San Domingue, Tobago, appartiendraient à l'Angle- terre et Sainte-Lucie à la France. En Europe, de part et d'autre on s'engageait à ne plus donner d'as- sistance à ses alliés respectifs dans la guerre d'Alle- magne. La France rendait Minorque, et l'Angleterre remettait Belle-Isle ; la France se désistait des parties d'Hanovre qu'elle avait occupées, et évacuait certaines forteresses appartenant à la Prusse, s'en- gageant en même temps à démolir, sous les yeux d'ingénieurs anglais, sa propre forteresse maritime de Dunkerque. En Afrique, la France cédait le Sénégal, et recevait en échange la petite île de Gorée. Dans les Indes, elle perdait tout ce qu'elle avait gagné depuis la Paix d'Aix-la-Chapelle ; elle recou- vrait certains postes de trafic, mais renonçait au droit d'ériger des forts ou de maintenir des troupes dans le Bengale.

Le jour même de la signature des préliminaires, la France concluait un pacte secret avec l'Espagne, par lequel elle se dépouillait de son dernier pied-à- terre sur le continent nord-américain. A titre de com- pensation pour la Floride, que sa malheureuse alliée avait perdue dans la mêlée, «lie transféra à la cou- ronne d'Espagne la ville de la Nouvelle-Orléans, et sous le nom de Louisiane lui céda tout le vaste territoire s'étendant à l'Ouest du Mississippi jusqu'au Pacifique.

Le 9 décembre, les préliminaires furent soumis aux deux chambres du Parlement pour approbation. Le débat fut long aux Communes. Pitt n'était pas présent, souffrant de la goutte, dit-on ; à une heure

200 LA PAIX DE PARIS

avancée ce jour-là, la Chambre fut mise en émoi par des acclamations répétées du dehors. Les portes s'ouvrirent, et le ministre déchu entra porté dans les bras de ses domestiques, et suivi d'une foule enthou- siaste. Ses gens le mirent sur ses pieds à la barre de la Chambre, et à l'aide d'une béquille il gagna faiblement son siège. "Cette apparition, dit Walpole, qui était présent, avait à la fois quelque chose de très solennel et de théâtral. Le moment était habile- ment calculé ; la gTandeur du personnage, l'impor- tance de ses états de services, son visage pâli par la maladie, sa mise savamment étudiée pour l'occasion, il y avait en tout cela de quoi frapper les esprits patriotiques, tout en prêtant quelque peu à rire aux blasés. Il était vêtu de velours noir, avait les jambes enveloppées de flanelles jusqu'aux cuisses, les pieds chaussés de brodequins en drap noir, et les mains chaudement gantées." Ce n'était pas la première fois qu'il exploitait dramatiquement sa maladie. Il pro- nonça un discours de trois heures, tantôt debout, tantôt assis ; parfois avec de courts éclairs d'énergie, le plus souvent sur le ton de la souffrance et de l'épuisement. Il approuva fortement la retenue du Canada, mais dénonça la part de pêcherie laissée à la France, de même que les autres avantages qui tendaient à la résurrection de sa puissance maritime. Les Communes l'écoutèrent, mais ratifièrent les pré- liminaires de paix par une majorité considérable.

Ces préliminaires furent incorporés dans le traité définitif conclu à Paris le 10 février 1763. La paix entre la France et l'Angleterre entraîna la paix entre

LA PAIX DE PARIS 201

les nations belligérantes du continent. ^L'Autriche, privée de ses alliés, épuisée par ses vains efforts pour écraser Frédéric, abandonna la partie en désespoir de cause, et signa le traité de Hubertsbourg. La guerre de Sept Ans avait pris fin.

1763-1884

CONCLUSION

RÉSULTATS DE LA GUERRE l' ALLEMAGNE LA

France l' Angleterre les provinces britanniques.

CE fut, dit le comte Granville sur son lit de mort, la guerre la plus glorieuse et la paix la plus triomphale que l'Angleterre eût jamais connue." Cette satisfaction fut loin d'être générale ; beaucoup croyaient avec Pitt que la Maison Bourbon aurait être forcée de vider la coupe d'humiliation jusqu'à la lie. Il n'en reste pas moins établi que le Traité de Paris marque une époque à laquelle nulle autre n'est comparable au point de vue de l'importance des résultats. Un nouveau chapitre s'ouvrait dans les annales du monde. Pour emprunter les paroles d'un éminent écrivain, "il n'est pas exagéré de dire que trois des nombreuses victoires de la guerre de Sept Ans fixèrent pour plusieurs siècles à venir les destinées de l'humanité. La victoire de Rossbach fut la renaissance de l'Allemagne ; celle de Plassey fit éclater l'influence de l'Europe sur les peuples de l'Orient pour la première fois depuis les jours d'Alexandre ; avec le triomphe de Wolfe sur les Hauteurs d'Abraham commença 'histoire des Etats-Unis." (1)

Pour ne parler, cependant, que de la guerre livrée

[1] Green, Histoty ofthe English People, IV. 193 [Londres,

CONCLUSION 203

dans les contrées germaniques, il semble à première vue que ce ne fût qu'une infernale débauche de sang" et de rapines, sans autre dénouement que l'épuise- ment de combattants. Les ravages avaient été terri- fiants. D'après les chiffres du ro de Prusse, 850,000 soldats des diverses nations engagées avaient perdu la vie, sans compter des centaines de mille non-combat- tants qui avaient péri de faim, de froid, de maladie ou de violence. Et, malgré cette horrible extermina- tion, pas une ligne de frontière n'avait été déplacée. La rage des deux impératrices et le vaniteux dépit d'une concubine avaient été entièrement déjoués. Frédéric avait tenu tête à tout cela, et sortait de la mêlée intact dans ses propres domaines héréditaires et maître de tout ce qu'il avait enlevé à Y Impératrice- Reine ; la Prusse elle-même, morcelée et partagée entre ses ennemis à titre de dépouilles, était, il est vrai, réduite à l'inanition, presque affaiblie à mort, mais tout de même couronnée de gloire, et à l'aurore d'une carrière qui devait la conduire, à travers l'agi- tation et l'adversité, à la tête d'une Allemagne confédérée.

A travers des siècles de luttes et de vicissitudes, la monarchie française avait triomphé de la noblesse, du parlement et du peuple, concentré en elle-même toutes les forces de l'Etat, brillé d'une splendeur illusoire sous Louis-le-Grand, et jeté des phospho- rescences de décadence sous son méprisable succes- seur ; désormais, dénuée de prestige, ployant sous les dettes, rongée par la corruption, elle roulait de plus en plus rapidement vers le précipice et la ruine.

«04 CONCLUSION

Si cette guerre précipita l'écroulement inévitable de la monarchie française, elle produisit d'autres effets encore plus considérables. La France, sous Colbert, s'était embarquée dans une vaste série d'entreprises maritimes et coloniales, et l'avait poursuivie avec une activité et une vigueur qui promettaient d'en faire une formidable puissance des mers. C'est elle qui avait battu la marche dans l'Orient, elle avait la première appris aux indigènes à se battre sous ses drapeaux, et inauguré ce système compliqué de diplomatie et de force militaire qui, imité par sa rivale, permettait à une poignée d'Euro- péens de gouverner l'Inde entière. Dans l'Amérique du Nord, l'étendue de ses immenses possessions réduisait toutes les autres nations à une apparence de pygmées. Elle avait bâti une marine puissante et créé un commerce extérieur énorme. Tout cela se trouvait désormais changé. Dans les Indes, elle se voyait réduite sans retour à l'infériorité, avec pers- pective de ruine totale dans un avenir plus ou moins éloigné ; de toutes les immenses contrées qu'elle avait possédées dans l'Amérique du Nord, il ne lui restait plus que deux rochers entourés d'eau sur la côte de Terreneuve, que le vainqueur lui avait laissés pour faire sécher son poisson. De toute sa marine, à peine une quarantaine de navires lui restaient ; tous les autres avaient été pris ou détruits. Elle comptait encore au premier rang sur le continent, mais comme puissance mondiale son heure était passée.

En Angleterre comme en France, la bataille incessante entre les différents corps de l'Etat, qui

CONCLUSION 205

durait depuis les débuts de la vie nationale, avait eu pour résultat, non la suprématie sans frein de la Couronne, mais un engrenage de forces équilibrées et dans lequel le Roi, la Noblesse et les Communes avaient leurs places marquées et leur part respective d'autorité. C'est ainsi que dans la guerre qui venait de se terminer on avait vu deux puissants éléments de succès : un peuple imbu du sens d'une liberté bien ordonné, et un bras de fer pour diriger l'énergie populaire.

Tout ce que la France avait perdu, l'Angleterre l'avait gagné, et même davantage. Pour la première fois dans son existence, elle était sans conteste la plus grande des puissances maritimes et coloniales. Le Portugal et la Hollande, jadis ses précurseurs sur les mers, étaient depuis longtemps distancés sans espoir. Des deux rivales restantes, elle en avait humilié une et chassé l'autre de ses parages. L'Espagne, avec ses vastes possessions américaines, roulait rapidement sur la pente de l'abîme, et sa chute est l'un des phénomènes de l'histoire moderne ; d'autre part, la France, jusque-là redoutable con- currente, avait en 4ésespoir de cause abandonné la partie. L'Angleterre se voyait maîtresse des mers ; le monde entier était ouvert à ses marchands, à ses explorateurs, à ses colonisateurs. Ce fut peu d'an- nées après le traité que Cook entreprit sa mémorable série de voyages, visita tant de terres étranges et barbares qui avec le temps devaient se transformer en autant d'Angleterres, de vigoureux rejetons de cette grande mère de nations. A la vérité, un coup terrible allait lui être porté ; mais c'est à sa propre

2o6 CONCLUSION

folie qu'elle dut la perte de l'aîné et du plus grand de ses enfants. Rien ne peut cependant lui enlever la gloire d'avoir donné le jour aux Etats-Unis ; malgré la sécession politique, cette progéniture géante n'en a pas moins été une source de puissance et de prospérité pour la mère patrie, à laquelle l'unit le triple lien des lois, de la langue et du sang. La guerre, ou série de guerres, qui se dénoua par le Traité de Paris ouvrait la route aux forces nationales qui ont répandu la civilisation anglaise dans tous les climats, et semé la terre de garnisons et de comptoirs britanniques.

L'histoire mouvementée de la Nouvelle France prenait fin avec le Traité de Paris : histoire qui aurait été plus digne de ce nom si les vices de sa constitution, la bigoterie et la folie des gouvernants ne l'avaient réduite aux proportions d'un épisode. Histoire remarquable par ses éclats et ses ombres ; par le zèle désintéressé du fondateur de Québec ; par l'admirable abnégation de ses premiers missionnaires martyrs et l'audacieux esprit d'aventures de ses explorateurs ; par un vasselage spirituel et temporel auquel on n'échappait qu'en s'enfonçant dans les solitudes sauvages ; enfin par un état de corruption éhontée, résultat naturel de l'idée de gouverner, de l'autorité absolue d'un maître trônant au-delà de l'Atlantique, un peuple encore ignorant des premiers bienfaits de la liberté civile.

(Ici l'auteur ajoute quelques commentaires que nous croyons devoir passer sous silence ; il ne faut pas oublier que Francis Parkman était protestant.)

CONCLUSION 207

A peine ce peuple était-il libre du joug français, que les provinces britanniques donnaient elles-mêmes des signes de révolte. Les mesures métropolitaines qui provoquèrent ce soulèvement étaient pourtant d'un caractère beaucoup moins oppressif que les lois de navigation que la colonie avait subies depuis long- temps ; cette résistance soudaine à des impôts votés par le Parlement n'avait d'autre cause qu'un principe : l'impôt venait en conflit avec les droits d'hommes libres. Ce ne fut pas, comme il arriva par la suite aux provinces hispano-américaines, un cas de rupture avec une métropole décrépite et décadente ; avec une audace stupéfiante, les colonistes américains bravèrent la colère de l'Angleterre à l'heure même de ses triomphes, oublièrent leurs propres querelles et leurs dissensions, se tendirent la main pour la cause com- mune, se battirent et souffrirent ensemble, et enfin gagnèrent leur point. Ces colonies désunies devinrent les Etats-Unis. Ce cordon de provinces discordantes échelonnées sur la côte de l'Atlantique est devenu un peuple puissant, cimenté par une union que les sinistres de la guerre civile n'ont fait que resserrer et consolider davantage. Ces peuples, qui, jusque-là affaiblis par la discorde, avaient toujours compté sur l'assistance de l'Angleterre contre les sauvages qui désolaient leurs frontières, sont aujourd'hui une nation capable de défier tout ennemi autre que le plus dangereux de tous : elle-même. Un majestueux avenir l'attend, pour peu qu'elle ne se laisse pas perdre par l'excès et la perversion des principes qui l'ont faite grande ; qu'elle se rengorge moins contre les ennemis du passé, et s'arme mieux contre ceux du moment ;

208 CONCLUSION

qu'elle résiste à la démagogie et à la populace comme elle sut tenir tête au Parlement et au Roi ; qu'elle détourne ses énergies du culte du veau d'or et de la poursuite délirante des richesses, et les concentre plutôt sur l'affermissement des bases sur lesquelles repose sa prospérité ; pourvu enfin qu'elle tourne sa vaste mentalité, dans une proportion au moins, sur d'autres objets que le progrès matériel et que l'agiotage des partis politiques. Elle a dompté un continent sauvage, peuplé les déserts, amassé des richesses sans bornes ; elle s'est élevée à une puissance redoutable ; il lui reste à prouver, si elle le peut, que le gouverne- ment des masses est compatible avec le plein déve- loppement de l'individu, que la démocratie peut donner au monde une civilisation tout aussi mûre, tout aussi féconde, des idées aussi fortes, aussi vivi- fiantes, des types d'humanité aussi élevés, aussi supérieurs qu'aucun des systèmes qu'elle se fait gloire d'avoir supplantés.

APPENDICE

i

MONTCALM

(Citons ici quelques fragments des lettres familières de Montcalm, à titre d'échantillons de son style.)

A Montréal, 16 avril 1757.

A Madame de Montcalm.

( Extrait )

" Ma santé assez bonne, malgré beaucoup de travail, surtout d'écriture. Estève, mon secrétaire, se marie. Beau caractère, bon autographe, écrivant vite. Je lui procure un emploi et le moyen de faire fortune s'il veut. Il fait un meil- leur mariage que ne lui appartient ; malgré cela je crains qu'il ne la fasse pas comme un autre ; fort, frivole, joueur, glorieux, petit-maître, dépensier. J'ai toujours Marcel, des soldats

copistes dans le besoin Tous les soldats de Montpellier se

portants bien, hors le fils de Pierre mort chez moi. Tout est hors de prix. Il faut vivre honorablement et je le fais, tous les jours seize personnes. Une fois tous les quinze jours chez M. le Gouverneur général et M. le Chev. de Lévis qui vit aussi très bien. Il a donné trois beaux grands bals. Pour moi jusqu'au carême, outre les dîners, de grands soupers de dames trois fois la semaine. Le jour des dévotes prudes, des concerts. Les jours des jeûnes des violons d'hasard, parce qu'on me les demandait, cela ne menait que jusqu'à deux heures du matin et il se joignait l' après souper compagnie dansante sans être priée, mais sure d'être bien reçue à celle qui avait soupe. Fort

cher, peu amusant et souvent ennuyeux Vous connaissiez.

ma maison, je l'ai augmentée d'un cocher, d'un frotteur, un garçon de cuisine, et j'ai marié mon aide de cuisine ; car je

210 APPENDICE

travaille à peupler la colonie : 80 mariages de soldats cet hiver et deux d'officiers. Germain a perdu sa fille. Il a épousé mieux que lui ; bonne femme mais sans bien, comme toutes . . ..' '

A Montréal, 6 juin 1757. A madame de Montcalm.

( Extrait )

" J'adresse la première de cette lettre à ma mère. Il n'y a pas une heure dans la journée que je ne songe à vous, à elle, et à mes enfants. J'embrasse ma fille, je vous adore, ma très chère, ainsi que ma mère. Mille choses à mes sœurs. Je n'ai

pas le temps de leur écrire, ni à Naujac, ni aux abbesses

Des compliments au château d'Arbois, aux Du Cayla, et aux Givard. P. S. N'oubliez pas d'envoyer une douzaine de bou- teilles d'Angleterre de pinte d'eau de lavande ; vous en mettrez quatre pour chaque envoi. "

A Montréal, 20 février 1757. A Bourlamaque.

( Extrait )

11 Dimanche j'avais rassemblé les dames de France hors Mad. de Parfouru qui m'a fait l'honneur de me venir voir il y a trois jours et en la voyant je me suis aperçu que l'amour avait des traits de puissance dont on ne p ouvait pas rendre raison, non pas pour l'impression qu'elle a faite sur mon cœur, mais bien par celle qu'elle a faite sur celui de son époux. Mercredi une assemblée chez mad. Varin. Jeudi un bal chez le Chev. de L,évis qui avait prié 65 dames et demoiselles : il n'y en avait que trente autant d'hommes qu'à la guerre. Sa salle bien éclairée, aussi grand que celle de l' Intendance, beaucoup

APPENDICE 211

d'ordre, beaucoup d'attention, des rafraîchissements en abon- dance toute la nuit de tout genre et de toute espèce et on ne se retira qu'à sept heures du matin. Pour moi qui ay quitté le séjour de Québec, je me couchai de bonne heure, j'avais eu ce jour-là huit dames à souper et ce soupe était dédié à Mad. Varin. Demain j'en aurai une demi douzaiue. Je ne sçai encore à qui il est dédié, je suis tenté de croire que c'est à LaRoche Beaucourt. Le galant Chev. nous donne encore un bal. "

II

Forces françaises et anglaises au siège de

Québec

11 Les retranchements que j'avois fait tracer depuis la rivière St-Charles jusqu'au saut Montmorency furent occupés par plus de 14,000 hommes, 200 cavaliers dont je formai un corps aux ordres de M. de la Rochebeaucour, environ 1,000 sauvages, Abénakis et des différentes nations du nord du pays d'en haut. M. de Boishébert arriva ensuite avec les Acadiens et sauvages qu'il avoit rassemblés. Je réglai la garnison de Québec à 2,000 hommes. " Vaudreuil au Ministre, 5 octobre

1759-

Le commissaire Berniers dit que la force au complet était d'environ quinze mille hommes, à part des sauvages, ce qui donne un chiffre un peu moindre que celui de Vaudrenil.

Bigot dit : lt Nous avions 13,000 hommes et mille à douze cents sauvages, sans compter 2,000 hommes de garnison dans la ville. " Bigot au Ministre, 25 octobre 1759.

2i2 APPENDICE

Le Journal du Siège (Hartwell) dit : "Il fut décidé qu'on ne laisseroit dans la place que 1,200 hommes, et que tout le reste marcheroit au camp, l'on comptoit se trouver plus de 15,000 hommes, y compris les sauvages. "

Rigaud, le frère de Vaudreuil, écrivant de Montréal à Bourlamaque le 23 juin, dit : "Je compte que l' armée campée sous Québec sera de 17,000 hommes bien effectifs, sans les sauvages. " Puis il établit la liste des sauvages qui avaient rallié l'armée ou s'y rendaient, à treize cents.

A la fin de juin, Wolfe avait environ huit mille six cents soldats effectifs. Les dix bataillons, habituellement appelés régiments, en fournissaient six mille quatre cents ; les grena- diers détachés de Louisbourg, trois cents ; l'artillerie, trois cents ; les "rangers", quatre cents ; l'infanterie légère, deux cents ; les marins, mille.

L'effectif présumé des bataillons était tantôt de sept cents, tantôt de mille (Knox, ii, 25) ; mais en réalité il variait de cinq à huit cents, sauf les Highlanders, qui étaient au nombre de onze cents, leurs rangs étant plus que remplis. Fraser, dans son Journal oj the siège , en donne le tableau complet. A la fin de la campagne, Lévis fixait à environ dix mille la force anglaise restante (Lévis au Ministre, 10 novembre 1759), ce qui correspond au rapport du général Murray : ' ' Les troupes s'élèveront à six mille hommes" (Murray à Pitt, 12 octobre 1759). Le nombre précis est donné dans le relevé intitulé Retur?i oj the State oj His Majesty 's Jorces lejt in Garrison al Québec, daté du 12 octobre 1759, et signé Robert Monckton {Public Record office, America and West Indies, XCIX). Ce document établit l'effectif des rangs à 6,214, et en ajoutant les officiers, sergents et tambours, on arrive à environ sept mille hommes, outre 171 artilleurs.

APPENDICE 213

III L'échec des Anglais à Montmorenci

Autorités

Wolfe à Pitt, 2 septembre 1759./— Vaudreuil au Ministre, 5 octobre 1759. Panet, Journal du siège. Johnstone, "Dialo- gue in Hades". Journal tenu à l'Armée, etc. Journal of the Siège of Québec, by a Gentleman in an eminent Station on the Spot. Mémoires sur le Canada, 1749- 1760. Fraser, "Journal of the Siège". Journal du Siège, d'après un MS. déposé à la Bibliothèque de Hartwell. Foligny, journal mémoratif. "Journal of Transactions at the Siège of Québec (Notes and Queries, xx, 164)". John Johnson, "Memoirsof the Siège of Québec". "Journal of an Expédition on the river St. Law- rence".— "An Authentic account of the Expédition against Québec by a Volunteer on that Expédition". J. Gibson to Governor Lawrence, 1 August 1759. Knox, i, 354. Mante, 244.

IV LA BATAILLE DES PLAINES

Autorités Consultées

L,' une des plus importantes pièces inédites sur les opéra- tions de Wolfe contre Québec est le volumineux et élaboré journal mémoratif de ce qui s'est passé de plus remarquable pendant qu1 a duré le siège de la ville de Québec (Archives de la

2i4 APPENDICE

Marine). L'auteur, M. de Foligny, était un officier de marine qui commandait l'une des principales batteries de la ville pendant le siège. La correspondance officielle de Vaudreuil en 1759 (Archives Nationales) relate les événements du temps à son point de vue ; et l' on trouve des détails addition- nels dans les diverses lettres manuscrites, de Bigot, Lévis, Montreuil et autres (Archives de la Marine, Archives de la Guerre). Les lettres, généralement privées et confidentielles, écrites à Bourlamaque par Montcalm, Lévis, Vaudreuil, Malartic, Berniers et autres durant le siège contiennent beau- coup de choses curieuses et intéressantes.

"Siège de Québec en 1759, d'après un manuscrit déposé à la Bibliothèque de Hartwell en Angleterre' ' , très précieux journal par un citoyen de Québec, rapporté d'Angleterre en 1834 par l'honorable D.-B. Viger ; quelques exemplaires en ont été imprimés à Québec en 1836. "Journal tenu à l'Armée que commandait feu M. le Marquis de Montcalm," journal très détaillé, par un officier sous Montcalm (imprimé par la Société Historique de Québec). "Mémoire sur la cam- pagne de 1759, par M. de Joannès, Major de Québec" (Archives de la Guerre). -"Lettres et Dépêches de Montcalm" (mêmes Archives) ; elles traitent surtout des préliminaires du siège. "Mémoires sur le Canada depuis 1749 jusqu'à 1760" (Société Historique de Québec). "Journal du siège de Québec" en 1759, par "M. Jean Claude Panet, notaire" (vSociété Historique de Québec) ; l'auteur de ce journal vivait à Québec dans le temps.- -Plusieurs autres relations et lettres de personnes présentes au siège ont été imprimées par les soins de la même société sous le titre: "Evénements delà guerre en Canada durant les années 1759 et 1760." Relation de ce qui s'est passé au siège de Québec, par une religieuse de l'Hôpital Général de Québec" (Société Historique de Québec). "Jugement impartial sur les opérations militaires de la campagne, par Mgr. de Pontbriand, Evêque de Québec" (ibidem). Memoirs of the Siège of Québec, from the journal of a frcnch officer on board the Chezine Frigate, taken by His

APPENDICE 215

Majesty's, ship Rippon, by Richard Gardiner, Esc., captain of Marine in the Rippon (Londres, 1761).

General Wolfe' s instructions to young ojficers, Philadelphie, 1778 : titre trompeur, le livre n'étant qu'une collection d'or- donnances militaires. General Orders in Wolfë s Army (Société Historique de Québec) : collection autrement complète que la précédente, pour ce qui concerne la campagne de 1759. Letters of Wolfe (dans le "Wolfe" de Wright), Despatches of Wolfe, Saunders, Monckton and Townshend (dans les magazines du temps). A short authentic account of the expédition against Québec, par un volontaire attaché à cette expédition, Québec, 1872. Cette précieuse relation est attribuée à James Thompson, volontaire dans l'armée de Wolfe, qui mourut à Québec en 1830 à quatre-vingt dix-huit ans, après avoir exercé pendant nombre d'années les fonctions de surveillant des travaux du département des ingénieurs. Un autre manuscrit, pour la plus grande partie identique au précédent, fut retrouvé il y a quelques années parmi les vieux papiers dans le bureau des Ingénieurs royaux à Québec— -Journal of the Expédition on the River St. Lawrence. Il existe deux journaux de ce nom, mais entièrement distincts. L'un parut dans le New- York Mercury de décembre 1759 ; l'autre fut retrouvé parmi les paperasses de George Alsopp, secrétaire de M. Guy Carleton, qui servit sous Wolfe (Société Historique de Québec). Johnstone ; A dialogue in Hades. (ibidem). Le chevalier Johnstone, Ecos- sais Jacobite, eut de magnifiques occasions de se renseigner pendant la campagne, d'abord comme aide-de-camp de Lévis, puis de Montcalm ; il en résulte un récit qui, malgré sa forme fantaisiste de dialogue entre les ombres de Wolfe et de Mont- calm, a une substantielle valeur historique. Le Dialogue est suivi d'une narration personnelle toute sommaire. Fraser, Journal of the Siège of Québec (ibid.) Fraser était officier dans le 78e Highlanders. Journal oj the Siège of Québec, by a Gen- tleman i?i an Eminent Station on the spot, Dublin, 1759. fournal of the Particular Transactions during the Siège of Québec. (Notes and Querics, XX). L'auteur était un troupier ou sous- officier de l'infanterie légère.

2i6 APPENDICE

Memoirs o the Siège of Québec and Total Réduction of Canada, par John Johnson, commis et sergent quartier-maître du 58e régiment : manuscrit de 176 pages, écrit par Johnson lorsqu'il fut retraité àChelsea (Angleterre). IV écriture est re- marquablement nette et lisible, et le style, souvent pompeux à T excès, fait honneur à un auteur de son grade. Cette curieuse production retrouvée parmi le» papiers de Thomas McDonough, Esq., ci-devant consul anglais à Boston, est maintenant en la possession de son petit-fils, mon parent George Francis Parkman, Esq., lequel s'est assuré, par une enquête à l'hô- pital de Chelsea, que Johnson vivait encore en 1802.

J'ai lu et étudié avec un soin extrême toutes les autorités ci-dessus énumérées, de même que d'autres qui peuvent se passer de mention.

Parmi les multiples cartes et plans indiquant les opéra- tions du siège, il en est un que je puis mentionner, intitulé : Plan of the Town and Basin of Québec and Part of tlie Adjacent Country, shewing the principal Encampmenis and Works of the British Arniy by Major Genl. Wolfe, and those of the French Army by Lieutenant- Genl. the Marquis of Montcalm. C'est l'ouvrage de trois ingénieurs de l'armée de Wolfe, sur une échelle de 800 pieds au pouce. J'ai sous les yeux un fac- similé de l'original en la possession des Ingénieurs Royaux.

Parmi les "King's Maps" (British Muséum, cxix. 27) se trouve un très grand plan colorié des opérations à Québec en 1759 et 1760, dont les détails sont superbement exécutés.

APPENDICE 217

V

Forces françaises et anglaises à la bataille de Sainte-Foy

Le Public Record Office (America a?id West Indies, xcix) a conservé les relevés de la garnison de Québec en 1759 et 1760, tels qu'envoyés par Murray au War Office. Ils indi- quent l'exacte condition de chaque régiment, pour tous grades, chaque mois de l'automne, de l'hiver et du printemps. Le rapport du 24 avril, quatre jours avant la bataille, montre que l'effectif total, rang et file, sans compter les sous-officiers et tambours, étaient de 6,808, dont 2,612 étaient valides à Québec, et 654 en d'autres endroits au Canada, c'est-à-dire à Sainte-Foy, l'Ancienne Lorette et autres avant-postes. Voilà un total de 3,266 hommes valides à Québec ou dans les envi- rons ; il y avait en outre de cent à deux cents artilleurs, et une compagnie de "rangers." Telle était toute la force dispo- nible de Murray dans le temps. Quant au reste des 6,808 qui figuraient au tableau, 2,999 étaient invalides à Québec et 669 à New- York ; 538 étaient en service à Halifax et New- York, et 36 absents en congé. Ces chiffres correspondent de près à l'état abrégé de Fraser, et confirment les divers rap- ports de source anglaise sur le nombre qui prit part à la bataille, savoir, 3,140 (Knox), 3,000 (John Johnson), 3,111 et ailleurs en chiffres ronds, 3,000 (Murray). Lévis, par une exagération bien naturelle, dit 4,000. Trois ou quatre cents hommes furent laissés à Québec pour garder les murs pendant que le reste de la troupe sortait de la ville.

J'entre dans ces détails parce qu'nn auteur canadien, Garneau, dit : " Murray sortit de la ville le 28 au matin à la tête de toute la garnison, dont les seules troupes de la ligne comptaient encore 7,714 combattants, non compris Jle8 offi- ciers." Il cite à l'appui la liste de paie de la garnison, laquelle de fait correspond aux rapports de ; même date, si les sous- officiers, tambours et artilleurs sont comptés avec la troupe. Mais Garneau tombe dans une double erreur. Il présume

2i8 APPENDICE

d'abord qu'il n'y avait personne sur la liste des invalides ; secondement, qu'il n'y en avait pas d'absents de Québec, tandis qu'en réalité, d'après les relevés, beaucoup plus de la moitié étaient dans Tune ou l'autre de ces catégories. Les listes de paie, dressées aux quartiers-généraux de chaque corps, comprenaient invariablement l'effectif au grand com- plet qui s'y trouvait enrôlé, malades comme bien portants, présents ou absents. D'après le même procédé, Garneau affirme que Wolfe, à la bataille des Plaines, était à la tête de 8,000 soldats, presque le double de son véritable effectif.

Après avoir dit, comme on l'a vu plus haut, que Murray était sorti de Québec avec au moins 7,714 combattants, Garneau poursuit en disant, assez contradictoirement, qu'il s'avança sur Lévis à la tête de six à sept mille hommes ; il ajoute que les deux armées étaient à peu près égales en nom- bre, parce que Lévis avait laissé quelques détachements en arrière pour garder ses bateaux et son artillerie. La force réelle du côté des Français, quand tous eurent atteint le champ de bataille, était d'environ 7,000 ; au commencement de l'engagement, elle ne semble pas avoir dépassé 5,000. L,a Relation de la seconde Bataille de Québec dit : ' ' Notre petite armée consistait au moment de V action en 3,000 hommes de troupes réglées et 2,000 Canadiens ou Sauvages." Un grand nombre de Canadiens arriva de Sillery pendant les hostilités, et, comme toute l'armée française, à l'exception des détache- ments dont parle Garneau, avait passé la nuit précédente pas plus loin que Sainte-Foy ou Sillery, le dernier homme devait être rendu à son poste avant le milieu de l'engagement.

APPENDICE 219

VI Mort et funérailles de Montcalm

Johnstone, qui était à même de connaître les faits, dit que Montcalm blessé fut transporté dans la maison du chirur- gien Arnoux. Il n'est cependant pas certain que ce fut qu'il expira. D'après Knox, sa mort arriva à l'Hôpital Général ; d'après l'auteur moderne des Ursulines de Québec, ce fut au château Saint-Louis. Mais l'Hôpital Général était à un mille de la ville, et d'un instant à l'autre menacé d'être pris par les Anglais ; d'autre part, le château avait été rendu in- habitable par les batteries de la Pointe Lévis, au feu desquelles il était le premier exposé, Il n'est donc pas probable que le malheureux général ait été transporté dans l'un ou l'autre de ces deux endroits ; il faut plutôt croire qu'on le laissa mourir en paix dans la maison du chirurgien.

On a dit que la légende de l'inhumation de Montcalm dans une fosse en partie creusée par l'explosion d'une bombe ne repose que sur l'inscription de son épitaphe, composé en 1761 par l'Académie des Inscriptions à l'instigation de Bou- gainville. Il existe cependant une autre preuve à l'appui. Le capitaine naval Foligny, écrivant sur les lieux à l'époque des funérailles, dit dans son journal, en date du 14 septembre : <(A huit heures du soir, dans l'église des Ursulines, fut enterré dans une fosse faite sous la chaire par le travail de la bombe, M. le Marquis de Montcalm, décédé du matin à 4 heures après avoir reçu tous les Sacrements. Jamais Général n'avoit été plus aimé de sa troupe et plus universellement regretté. Il étoit d'un esprit supérieur, doux, gracieux, affable, familier à tout le monde, ce qui lui avoit fait gagner la confiance de toute la colonie : requiescat in pace."

L'auteur des Ursidi nés de Québec dit , ''Un des projectiles ayant fait une large ouverture dans le plancher de bas, on en profita pour creuser la fosse du général."

Le Boston Post Boy and Advertiser, dans son numéro du 3 d'octobre 1759, contient une lettre d'un "officier de distinc-

220 APPENDICE

tion" à Québec, adressée à M. M. Green et Russell, proprié- taires du journal. Cette lettre renferme cette mention: "Il (Montcalm) mourut le lendemain; et, avec quelque travail, une trouée pratiquée par un de nos obus de 13 lui servit de tombeau,"

Les détails des funérailles sont pris dans Y Acte Mortuaire du Marquis de Montcalm, dans les registres de l'église de Notre Dame de Québec, et de la précieuse chronique des Ursulines de Québec, composée par la supérieure du couvent, Mère Amable Dubé de Saint-Ignace, avait été, enfant, témoin de la scène, et en garda le vivace souvenir jusqu'à l'âge de quatre-vingt- un ans.

Note du Traducteur. L'une des plus intéressantes reliques du vieux Québec est la maison qu'habitait Montcalm, sur les Remparts faisant face à la Côte de Beaupré. Aujourd'hui connue sous le nom de Montcalm Terrace, elle est la résidence de l'honorable Lomer Gouin, premier ministre et procureur-général de la province de Québec.

INDEX

INDEX

Abraham, Plaines d': 8, 42, 60, 69 ; Wolfe en projette l'escalade, 65 ; l'escalade, 71, 72, ; description, 74, 78, 84, 90, 91, 115, 148 ; posi- tion des troupes, 74.

Acadie, la France abandonne ses droits sur V ; 198.

Aix-la-Chapelle, Paix d' : 199.

Albermarle lord : s'empare de la Havane, 194.

Allemagne, reconstituée par suite de la bataille de Rossbach, 202.

Amherst, général : projet d'attaque contre Ticonderoga, 5, 16, 29; projet contre le Canada, 152, 157 ; rassemble son armée à Oswego, 160 ; s'empare du Fort Lévis, 161 ; descente des rapides, 162 ; capitu- lation de Montréal ; 165, 168, 169, 170.

Amherst, lieutenant-colonel (frère du général ) : reprend St-Jean de Terreneuve, 195.

Amherst, régiment d' : à Québec, 38.

Angleterre : son émotion à la nou- velle de la victoire et de la mort de Wolfe, 110, 111; ses succès, 178; déclaration de guerre à l'Es- pagne, 193 ; revers passagers à Terreneuve, 195 ; Paix de Paris, 200 ; effets de la guerre de Sept- Ans, 202 ; symptômes de révolte de ses colonies, 207.

Anse du Foulon, 60,69, 71,81, 133, 137,144.

Appleton, Nathaniel, sur la chute du Canada, 171.

Argens, D' : lettres de Frédéric de Prusse à, 180, 181.

Arnoux, Dr: 94.

Asie, 193.

Augsbourg, Congrès d': proposé par Choiseu), 187.

"Auguste", naufrage de^l', 176, 177.

Autriche, 192 ; signe le traité de Hubertsbourg, 201.

Barré, major, 51.

Barrington, vicomte, chevalier de

l'Echiquier, 185, 191. Bastille, Vaudreuil etc., jetés à la,

177. Bath, lord, 197. Batiscan, 120. Batteries du château, du Clergé, de

l'Hôpital, du Roi, du Dauphin

et de la Reine, 15. Béarn, bataillon de, à Québec, 38 ;

77, 88, 138.

Beatson, su ri' arrogance de Pitt,188; sur les projets de Pitt pour humi- lier les Bourbons, 190 ; sur la prise de la Havane, 195.

Beaucour, LaRoche, 211.

Beaumont, proclamation placardée sur l'église de, 20, 33.

Beauport, 8, 9, 15, 19, 23, 31, 35, 37, 45, 46, 47, 50, 57, 66, 73, 75,

78, 79, 84, 86, 89, 91, 93, 96, 97, 99, 100.

Bedford, duc de, 185 ; envoyé à Paris, 196.

Belle-Isle, pris par les anglais, 194 ; rendu à la France, 199.

Bengale, 199.

Berlin, pris par les Alliés, 181.

Bernard, gouverneur du Massachu- setts, sur la prise du Canada, 168.

Berniers, le commissaire, sur la défaite des Anglais à Montmo- renci, 42 ; sur l'aspect de Québec après le siège, 116 ; sur l'expédi- tion d' Amherst, y 164 ; sur les forces anglaises et françaises à Québec, 21 1 ; sur la bataille de Québec, 214.

Bernis, abbé de, ministre des affai- res étrangères, 186; perd la faveur de Mme de Pompadour, 186; supplanté par Choiseul, 186.

Berryer, 113.

Bigot: éloge de, par Vaudreuil, 5 ; à Québec, 10 ; luxe de, 11 ; 26;

224

INDEX

sur le projet désespéré de Wolfe, 56 ; protège Vergor, 62 ; sur les forces anglaises et françaises à Québec, 84 ; sur les forces com- mandées par Bougainville, 91, 92 ; assiste Lévis, 100, 106, 110; sur l'expédition d' Amherst con- tre le Canada, 160 ; son arresta- tion, 177 ; son procès, 177 ; con- damnation, 178 ; sur la bataille de Québec, 214.

Boishébert, 211.

Boston, 17.

"Boston Evening Post", sur Ste- vens, 61.

"Boston Post Bov," sur Stevens, 61.

"Boston Post Boy and Advertiser," sur les funérailles de Montcalm, 219.

Bougainville: signale la flotte an- glaise, 5 ; sur les fortifications de Québec, 16 ; envoyé contre Mur- ray, 46 ; reçoit des renforts, 59 ; ses quartiers généraux, 60; dé- joué par Wolfe, 62, 67, 69, 75 ; sur la bataille de Québec, 84 ; sur les revers des Français, 89 ; ses forces, 90, 91, 92 ; à l'Ile-aux- Noix, 152 ; attaqué par les An- glais, 159; se rend à Montréal,

163 ; négociations avec Amherst,

164 ; procure une épitaphe pour Montcalm, 219.

Bourbon, Maison de : tentative de coalition, 188 ; plan de Pitt pour l'humilier, 189, 202.

Bourlamaque, chevalier de: envoyé à Ticonderoga, 3, 6 ; lettres de Vaudreuil à, 19, 41, 58 ; lettres de Lévis à, 153, 157, 161 ; re- traite de, 48, 81, 90, 98, 99 ; let- tre de Berniers à, 116 ; sur la ba- taille de Ste-Foy, 150 ; en com- mandement à Sorel, 156 ; aban- donné de la moitié de ses trou- pes, 157, 160; se rend à Montréal, 163; 212; sur la bataille de Qué- bec, 214.

Braddock, 173.

P.radstreet, lieutenant-colonel John, 5.

Bréard, contrôleur naval à Québec, arrêté et mis en procès, 177.

P>rov/n, lieutenant, sur les Plaines d'Abraham, 82.

Brûlots de Québec, 17, 31, 34.

Buisson, Ls, 162.

Burke, sur Wolfe, 51.

Burton, lieutenant-colonel : à la Pointe de Lévis, 65, 66, 73 ; sur les Piaines d'Abraham, 75, 82.

Bussy,M. de, envoyé en mission à Londres, 187.

Bute, comte de : secrétaire d'Etat, 185 ; refuse d'appuyer Pitt, 190 ; devint premier lord de la Tréso- rerie, forcé de faire la guerre à l'Espagne, 193 ; voudrait la paix, 196 ; Paix de Paris, 198.

Buttes à Nepveu, 75, 134, 136, 144.

Cadet, Joseph: son arrivée à Qué- bec, 5 ; son éloge par Vaudreuil, 7 ; son luxe à Québec, 11 ; 106, 110, 148; son arrestation, 177; son procès, 177 ; sa condamna- tion, 178.

Calvaire, poste français du, 125 .

Cambridge, 171.

Campbell, lieutenant Alexander, son opinion des dames cana- diennes, 117.

Canada : Lévis replie sur le, 151 ; Amherst projette une triple atta- que contre le, 152 ; passe à la couronne britannique, 165 ; Louis XV responsable de la perte du, 168 ; les principaux Français le quittent, 175 ; projet de rétro- cession à la France, 197 ; cédé à l'Angleterre, 198, 201.

Canadiens: à Québec, 7, 9, 11, 20, 22, 24, 25, 26, 29, 30, 38, 39 ; pro- clamation de Wolfe aux, 33 ; vic- times des sévérités de Wolfe, 35, 43, 44, 46, 47, 53, 63, 64, 69, 73, 77, 80, 81, 85, 86, 87, 99, 100 ; ca- jolés par Murray, 119, 124, 127, 129, 130, 131 ; à Sainte-Foy, 134, 139, 140 ; proclamation de Mur- ray aux, 156 ; contre-proclama- tion de Vaudreuil, 157 double- ment ruinés, 157, 162, 163, 165.

Candiac, château de, 104.

Cap Breton, 176 ; cédé à l'Angle- terre, 198.

Cap Tourmente, 12.

Cap-Rouge : 15, 31, 35, 55 ; quar- tiers-généraux de Bougainville, 60, 62, 64, 66, 67, 73, 90, 120, 131, 133.

INDEX

225

Carîeton, colonel Guy : sa descente à la Pointe-aux-Trembles, 32;215.

Oarîyle, sur Frédéric de Prusse, 182.

Cartier, Jacques, 128.

Cascades, les, descente des, par Amherst, 162.

Casgrain, abbé H.-R, sur Québec après le siège, 116.

Cathédrale de Québec, 22, 1 15.

Catherine de Russie, 192.

Cèdres, descente des, par Amherst, 162.

"Centurion, Le", 37, 38.

Chambly, abandonné par les Fran- çais, 160.

Champlain, Lac, 1, 152, 153, 156.

Charlesbourg, 48, 94.

Charles III, roi d'Espagne, 188.

Château, le : batterie du, 15 ; à Québec, 146.

Château-Kicher, incendié par Wolfe, 44.

Château St-Louis, 219.

Châtelet, à Paris, 177.

Chatham, lady. 191.

Chelsea, hôpital de, 216.

Choiseul, duc de : ministre des Affaires étrangères, 186 ; son cf - ractère, 186,187 ; propose un con- grès à Augsburg, 187 ; Pitt re- pousse ses ouvertures, 188 ; pacte de famille avec Charles III, 188 ; sur la présence des Français en Amérique, 197.

Cierge, Batterie du, 15.

Colonies britanniques d'Amérique, leurs perspectives, 112 ; premiers symptômes de révolte, 207.

Conflans, amiral, 194.

Conway, générai, lettre de Walpole à, 149.

Cook, navigateur, voyage de, 250,

Corpron : son arrestation et son pro- cès. 1 77.

Cosnan, capitaine, 28.

Coteau du Lac. 162.

Côte d'Abraham, 132.

Côte Sainte-Geneviève, 84, S;.:, 87, 90, 132.

Coureurn de bois, ;'i Québec, 28.

Couronne, Pointe de la : 48, 152; Ilaviland à, 159.

Courval, à Québec, 35.

Dainb, sur la victoire de Wolfe, 85 ; demande à Ramesay la capitula- tion, 98.

Dalling, major : à Québec, 33 ; en- voyé contre les francs-tireurs ca- nadiens, 124 ; à Sainte-Foy, 137.

Dalquier, lieutenant-colonel," 89 ; à Sainte-Foy, 138.

Darby, major, à l'Ile-aux-Noix, 159.

Daun, général autrichien, sa vic- toire partielle sur Frédéric de Prusse, 179.

Delouche, 17.

Deschambault: Murray à, 46 ; gar- nison de, 131 ; Dumas stationné à, 152.

Désira de, la, 198.

Détroit, 153.

Dettingen, 183.

Diamant, Cap, 15,19, 145.

"Diana" la, arrivée à Québec, 147.

Domingue, 193, 199.

Dresde, 180.

Du Cayla, 210.

Dumas, capitaine: à Québec, 22, 26, 31 ; à Deschambault, 152, 156.

Dumont, moulin de, 136, 138, 139.

Dunkerque, forteresse de, 188 ; dé- truite par les Français, 199.

Durell, amiral, 6,11, 12.

Durham, Terrasse, à Québec, 146.

Dussieux, sur le procès de Bigot et de ses associés, 178.

Eliz \beth de "Russie, 186 : mort de. 191.

Empire Germanique, 192.

Entick, sur la bataille de Sainte- Foy, 150 ; sur l'arrogance de Pitt, 187, 188 ; sur la prise de la Ha- vane, 195.

Espagne, 187 ; Charles III roi d' : 188 ; changement de politique, 188; le "pacte de famille", 189 ; l'Angleterre déclare la guerre à P : 193 ; regrette son pacte avec la France, 195 ; envahit le Portugal, 195 ; reprend ia Havane et cède la Floride. 198 ; la Nouvelle- Orléans et la Louisiane cédées à 1': L99 ; sa décadence, 205.

Etats-Unis: leur histoire commence au triomphe de Wolfe, 196, 202; avenir des, 207.

22Ô

INDEX

Evêque, Palais de F, à Québec, 115.

Faillon ,sur le naufrage deV Auguste, 176.

Faneuil Hall, à Boston, 168, 169.

Ferdinand VI d'Espagne, mort de, 188.

Ferdinand de Brunswick, 192.

Fiedmont, capitaine: à Québec, 98, 101.

Flassan, sur Choiseul, 187 ; sur le Pacte de famille, 189.

Floride, cédée à l'Angleterre par l'Espagne, 198.

Foligny, M. de: sur les brûlots de Québec, 17 ; sur le siège de Qué- bec, 22, 60, 69 ; sur l'assaut par le Foulon, 71 ; sur la mort de Montcalm, 93 ; 214 ; sur les fu- nérailles de Montcalm, 219.

Forbes, Rôv. Eli, sur la chute du Canada, 170,

Foxcraft, Rev. Thomas, sur la chute du Canada, 169.

France : désire la paix, 185 ; tente de s'emparer du Hanovre, 192 ; sa marine réduite, 193 ; délabre- ment de ses finances, 195 ; Paix de Paris, 198,201 ; renversement de la politique de Colbert, 204.

Franklin, Benjamin, sur les dissen- sions coloniales, 197.

Fraser, colonel : à Québec, 34 ; sur la cruauté de Montgomery, 44 ; sur les forces anglaises et fran- çaises à Québec, 84 ; sur la cap- ture du Calvaire, 126 ; à Sainte- Foy, 141 ; sur la bataille de Sainte-Foy, 150 ; sur le siège de Québec, 215 ; sur les forces an- glaises et françaises à Sainte-Foy, 217.

Fraser, honorable Malcolm, 83.

Fraser' s Highlanders: à Québec, 70,78,86; incommodés par l'hi- ver canadien, 123; leur attaque pu ries francs-tireurs français, 125; à Sainte-Foy, 141.

Frédéric de Prusse : ses revers de fortune, 178; ses lettres à D'Ar- gens, 180, 181 ; sa lettre à Vol- taire, 180; ses déboires domes- tiques, 181 ; son esprit indompta- ble, 182 ; sa campagne de 1761, 182 ; coup fatal que lui porte la chute de Pitt, 191 ; Pierre III de

Russie devient son ami, 191 ; pertes causées par la guerre con- tinentale, 203 ; son triomphe sur ses ennemis, 203. Fuentes, comte de, sur l'arrogance de Pitt, 188.

Galops, Rapides des, descente d'Amherst, 162.

Gardiner, Richard, sur le siège de Québec, 215.

Garneau, sur les forces engagées à Sainte-Foy, 217.

"Gentleman's Magazine", sur la question de la possession du Ca- nada, 198.

George II, mort de, 183.

George III : couronné, 183 ; son caractère, 183, 184 ; son antipa- ehie à l'égard de Pitt, 184 ; appuie le parti de la paix, 185 ; son nouveau cabinet, 185 ; dépose Newcastle, 193 ; négocie la paix, 196.

George, Fort, 107.

Givard, 210.

"Goodwill", le, 13.

Gorée, Ile de, enlevée aux Fran- çais, 193 ; rendue à la France, 199.

Granville, comte: 189 ; sa réponse à Pitt, 190 ; sur les conséquences de la guerre de Sept ans, 202.

Gray, Elégie de, 70.

Grenade, la: prise par les Anglais, 194 ; cédée par la France, 198.

Grenadiers, à Québec, 39 ; leurs per- tes, 40 ; réprimandés par Wolfe, 42 ; à la bataille des Plaines, 74.

Grenadiers, français : attaquent l'Ancienne Lorette, 1 24 ; à Sainte- Foy, 138.

Grenadines, les, cédées par la Fran- ce, 198.

Guadeloupe, la, saisie par les An- glais, 193, 196 ; remise aux Fran- çais, 198.

Guienne, bataillon de: à Québec, 38, 40 ; leur campement au bord du Saint-Charles, 60, 69 ; à la bataille des Plaines, 75, 77.

Halifax, 61, 149.

Hanovre, royaume continental du, 183 ; la France tente de s'en em- parer, 192.

INDEX

227

Hardy, major, à Québec, 23, 26. Haute-Ville de Québec : 48, 50, 115. Havane, la, attaque projetée par les

Anglais, 194 ; Albeniarle et Po-

cocke s'en emparent, 195. Haviland, colonel, 152, 153, 157,

158; àrile-aux-Noix, 159, 160. Hazen, capitaine Moses: àLorette,

126, 127 ; blessé à Sainte-Foy,

141. Henderson, à la bataille des Plaines,

82. Herbin, commandant au Calvaire,

125. "Historical Magazine", sur Rou-

baud, 113. Holdernesse, comte de : lettre de

Wolfe à, 55 ; 149 ; supplanté par

le comte de Bute, 185. Holdernesse, lady, 149. Hollande, 205. Holmes, amiral: à Québec, 46,47,

57, 58, 62, 63, 65, 66, 69. Hôpital Général, à Québec, 48, 90,

117,119. Hôpital, Religieuses de T: ce qu'en

dit Knox, 118 ; leur éloge, 119. Hôtel-Dieu, à Québec, 48, 116. Howe, colonel, 67 ; à la bataille des

Plaines, 75. Hubertsbourg, traité de, 201. Hongrie, reine de, 182. "Hunter", le, à Québec, 71.

lLE-Aux-CouDREs:Durell à 1', 6; or- dre d'évacuation, 7 ; Wolfe pro- pose de la fortifier, 43.

Ile-aux-Noix, 1, 48, 94, 152, 159.

Ile d'Orléans, 5.

Ile Sainte-Thérèse, Murray à 1', 157.

1 'Impérial Magazine", 104.

Indes, les, 199.

Indes Occidentales, 194, 198, 212.

Irlande, tentative d'invasion de 1', 194.

Italie, princes Bourbons d', 189.

Jacques-Cartier, 59, 90, 91, 94 ; Lévis à, 98; garnison de, 131 ; Repentigny stationné à, 152, 154.

Jésuites, à Québec, 15 ; collège des, 115.

Joannès, major de Québec, 64 ; re- fuse de rendre la ville, 102 ; en- voyé auprès de Townshend jjour

capituler, 102 ; sur la bataille de Québec, 214.

Johnson, sergent John, sur le siège de Québec, 22, 216 ; sur la loyauté de l'armée à l'égard de Wolfe, 65; sur l'escalade des Plaines d'Abra- ham, 71 ; sur le tempérament des troupes de Murray, 128 ; sur Sainte-Foy, 139 ; sur la condition des troupes de Murray, 142 ; sur la témérité de Murray, 142 ; sur la conduite des officiers anglais, 143; sur la bataille de Sainte-Foy, 150; sur les forces françaises et an- glaises à Sainte-Foy, 217.

Johnson, colonel William, à l'expé- dition d'Amherst contre le Cana- da, 160, 166.

Johnstone, chevalier: à Québec, 24, 39 ; sur le projet désespéré de Wolfe, 56, 69 ; sur les perplexités de Montcalm, 76 ; après la défai- te, 87, 88 ; sur la lâcheté de Vau- dreuil, 89 ; sur la retraite des Français, 93 ; sur la bataille de Sainte-Foy, 150 ; sur l'expédition d'Amherst, 159, 160 ; sur le siège de Québec, 215 ; sur la mort et la sépulture de Montcalm, 219.

KALM,sur la présence des Français en Amérique, 197.

Kanon, flotte de, 5, 9, 114,

Killick, 13.

Knox, capitaine John : sur les pré- paratifs de défense des Français à Québec, 9 ; à bord du GoodwiU, 13 ; à l'Ile d'Orléans, 14 ; sur l'échec des brûlots, 18 ; à la Poin- te de Lévis, 21, 27 ; sur les déser- tions des Canadiens, 30 ; sur les sévérités de Wolfe, 33 ; sur la seconde tentative de Vaudreuil pour incendier la flotte anglaise, 34 ; sur les pertes des Grenadiers et du Royal American, 40 ; sur la cruauté de Montgomery, 45 ; sur la maladie de Wolfe, 49 ; sur la force morale de Wolfe, 61 , 63 ; sur l'escalade des Plaines, 71 ; sur la mort de Wolfe, 83 ; sur les forces anglaises et françaises à la bataille de Québec, 83, 84 ; sur les dernières paroles de Montcalm, 95 ; sur les Canadiennes, 117 ; ses quartiers à Québec,117, 118; surles

228

INDEX

religieuses hospitalières, 118, 119; sur l'hiver de Québec, 122 ; sur la capture du Calvaire, 126 ; sur les exploits des rangers de Hazen, 127 ; sur l'engagement de Sainte- Foy, 140 ; sur l'arrivée des secours à Québec, 146 ; sur la bataille de Sainte-Foy, 150; sur l'expédition de Murray, 154; scènes pittores- ques, 1 54, 155 ; sur Murray à l'Ile Sainte- Thérèse, 157, 159 ; sur l'expédition d'Amherst, 160 ; sur la capture du Fort Lévis, 162 ; sur les forces françaises et anglaises à Québec, 212; sur les forces des deux armées à Sainte- Foy, 217 ; sur la mort et les funé- railles de Montcalm, 219. Kunersdorf , défaite des Prussiens à, 179.

LaCorne/ Saint-Luc de: 3, 6 ; 152, 162 ; son départ pour la France, 176 ; son naufrage et son merveil- leux retour à Québec, 177.

Lacs, les, 153.

Lachine, 162, 164.

La Galette, mission du Père Piquet, 160.

L'Ange-Gardien, paroisse de, 23 ; incendiée par Wolfe, 44.

Languedoc, bataillon du, à Québec, 77.

La Pause, M. de, 165.

La Présentation, mission du Père Piquet, expédition d'Amherst à, 160.

La Rochebeaucour, M. de, voir Beaucour.

LaSarre, régiment de, à Québec, 77.

Lascelles, régiment de, à Québec, 77.

La Suède, 131.

Legge, chancelier de l'Echiquier, 185.

Le Marchant, sir Denis, sur les Plaines d'Abraham, 180 ; sur la résignation de Pitt, 191.

Le Mercier, chevalier: son arresta- tion, 177.

Lévis, chevalier de: à Québec, 24, 25 ; ses préparatifs de défense, 38; Québec affaibli par son absence, 48 ; son éloge par Montcalm, 94 ; son retour, 98 ; ses plans, 99 ; sa lettre à Bourlamaque, 100 ; son

arrivée à Saint- Augustin, 101 ; à Jacques- Cartier, 104; rumeurs de ses projets d'assaut sur Québec, 123 ; espère reprendre la ville, 123, 129 ; se met en marche, 130 ; sss forces, 130, 131 ; attaque l'An- cienne Lorette, 131 ; devant Sainte-Foy, 132 ; attaqué par Murray, 137 ; la bataille, 137- 141 ; sur les pertes françaises à Sainte-Foy, 142 ; attend des se- cours de France, 144 ; échanges courtois avec Murray, 145 ; des- truction de ses vaisseaux, 147 ; lève le siège, 148; sur la bataille de Sainte-Foy, 150 ; prépare la défense de Montréal, 153, 156; ses relations avec Vau- dreuil, 158 ; 161, 165 ; proteste contre la capitulation, 167 ; re- tourne en France, 175; 209, 210 ; sur les forces françaises et an- glaises à Québec, 212 ; sur la ba- taille des Plaines, 214 ; sur les for- ces françaises et anglaises à la ba- taille de Sainte-Foy, 217.

Lévis, Fort: Pouchot en commande- ment, 161 ; attaqué et pris par Amherst, 161.

Lévis, Pointe de, 20; pris par Wolfe, 21,23,26, 27,28, 31, 37, 38, 40, 46, 54, 57, 58, 61, 64, 65, 124.

Liegnitz, Frédéric de Prusse victo- rieux à, 181.

"London Magazine", sur la bataille de Sainte-Foy, 150,

Londres, Tour de, 188.

Long Saut, descente d'Amherst, 162.

Lorette, 69, 94, 124.

Loudon, comte de, 172.

Louis XV, responsable de la perte du Canada, 168; 203.

Louisbourg, abandonné et déman- telé, 154.

Louisiane, cédée à l'Espagne par la France, 199.

"Lowestoffe", le, apporte des se- cours à Québec, 146, 147.

Lowther, Katherine, la fiancée de Wolfe, 68.

Macaktnfy, capitaine, 132. Malartic, sur les perplexités de Montcalm, 77 ; sur la bataille des

INDEX

229

Plaines, 81; sur les plans de Lévis, 99 ; sur la bataille de Québec.

Manille, 194, 195.

Mann, sir Horace, ambassadeur à Florence, 110.

Mante, major Thomas, sur la batail- de Sainte- Foy, 150 ; sur l'occupa- tion de Pile Sainte-Thérèse par Murray, 157 ; sur l'expédition d'Amherst, 159, 160 ; sur la prise du Fort Lévii, 162 ; sur la prise de la Havane, 195.

Marcel, 209.

Marie Galante, Ile de, rendue par l'Angleterre, 198.

Marie-Thérèse d'Autriche, 186.

Martin, Abraham, 74.

Martinique, la, attaquée et prise par les Anglais, 194 ; rendue par les Anglais, 198.

Maurin, François, son arrestation et son procès, 177.

Maxen, défaite des Prussiens à, 180.

Mayhew, Rev. Jonathan, discours prophétique du, 112.

Meech, lieutenant, débarque sur l'Ile d'Orléans. 14.

Mellen, rév. John, 169.

Michel, bonhomme, 95.

Miller, capitaine, 120.

Mille-Iles, 160.

Minorque, rendue à l'Angleterre par la France, 199.

Miquelon, Ile de, 198.

Mississippi, fleuve, 198, 199.

Monckton, lieutenant-colonel Ro- bert à Québec, 20 ; sa proclama- tion, 20, 34 ; lettre de Wolfe à, 49, 58, 58 ; sur les Plaines d'Abra- ham, 75, 80 ; blessé, 90, 103 ; se joint à Rodney pour attaquer la Martinique, 194 ; sur les forces françaises et anglaises à Québec, 212.

Monckton, brigade de, à Québec, 20,38 ; à la bataille de Québec, 84.

Montagu, George, lettre de Wal- pole à, 183.

Montcalm, Louis de, 5 ; se rend en hâte à Québec, 6 ; position de ses troupes, 8 ; ses quartiers-géné- raux, 8 ; ses relations avec Vau- dreuil, 10; 15, 16, 17, 18 ; ses let- tres à Bourlamaque, 19, 58, 210 ; 25, 26, 35, 37, 59 ; se tient sur la défensive, 29; obligé d'affai-

blir son armée de Beauport, 31 ; attaqué par Wolfe, 35 ; ses perplexités, 37 ; voit incendier les paroisses, 45 ; 50, 53, 55 ; trompé par une feinte de l'enne- mi, 57; 60 ; ses forces comparées à celles de Wolfe, 65 ; passe une nuit agitée, 75 ; rassemble ses troupes, 76, 77 ; lenteur de Vau- dreuil à le rejoindre, 78 ; conseil de guerre, 78; l'heure critique, 81 sa défaite, 82 ; blessé à mort, 83 Vaudreuil lui jette le blâme, 86 son dernier conseil, 91; 93; ses derniers moments, 94, 95 ; sa mort, 95 ; sa lettre à Townshend, 95 ; ser funérailles, 96 ; poursuivi dans la tombe par le dépit de Vaudreuil, 104, 1 10 ; ses accusa- tions contre Vaudreuil, 104 : ses fautes, 169, 136 ; ; ses lettres fa- milières. 209-211 ; ses lettres sur la bataille de Québec, 214; auto- rités sur sa mort et ses funérailles. 219. Montcalm, madame de, 209, 210. Montgomery, capitaine Alexandre;

ses cruautés, 44. Montagne, rue de la, à Québec; 103,

115, 123, 133. Montguet, capitaine, 88. Montmorenci, 8, 13, 15, 23, 24, 26,

27, 36, 37, 38, 40. Montréal, 3 ; milice de, 9 ; menacé d'assaut par Amherst, 47; Vau- dreuil à, 105 ; 128, 129, 151, 153 ; Lévis à, 156 ; description de, 163 ; armée française concentrée à, 163. Montreuil, 87; sur la bataille des

Plaines, 214. Moro, château, pris par les Anglais,

194, 195. Murray, brigadier : à Québec, 46 repoussé à la Pointe-aux-Trem blés, 46; à Deschambault, 46 lettre de Wolfe à, 49; traverse l'Etchemin à gué, 57; sur les Plaines d'Abraham, 75; en com- mandement à Québec, 104, 1 19 ; son caractère, 119 ; 120 ; 124 ; attaque les tirailleurs français, 125 ; sur la prise du Calvaire] 125 ; se prépare à recevoir l'attal que des Français, 127; est pré- venu de l'expédition de Lévis

230

INDEX

132 ; se porte sur Sainte-Foy, 133; attaque Lévis, 137 ; la bataille, 138, 139 ; obligé de retraiter, 140; fortifie Québec, 143 ; échanges courtois avec Lévis, 145 ; reçoit du renfort, 146 ; sur la bataille de Sainte- Foy, 149 ; projette de re- monter le Saint-Laurent, 152 ; sa marche sur Montréal, 154 ; sa pro- clamation aux Canadiens, 156 ; à l'Ile Sainte-Thérèse, 157; sur les forces françaises et anglaises à Québec, 212 ; sur les forces en présence à Sainte-Foy, 217. Murray, brigade de, à Québec, 23.

Nécessité, Fort, 61.

Newcastle, duc de : mal vu de George III, 185 ; 189, 191 ; dé- missionne, 193.

Niagara, Fort : attaqué par les An- glais, 29 ; 48.

Nivernois, duc de : 196.

Noblesse canadienne, la ; 175.

Notre-Dame, Eglise, à Québec, 220.

Nouvelle Angleterre ; réjouissance à l'occasion de la victoire de Wolfe, 112 ; et de la perte du Ca- nada, 169.

Nouvelle Angleterre, rangers de la : à Québec, 14, 20, 25, 28.

Ochterlony, capitaine, tué à Qué- bec, 40.

Ohio, rivière : 5.

Ontario, Lac : 3, 5, 152, 160.

Orléans, chenal d' : 11.

Orléans, Ile d' : 12, 13, 37, 133, 153.

Orléans, Pointe d' : occupée par les Anglais, 17, 23, 26, 29, 40, 54, 57,

65.

Oswegatchie, mission du P. Piquet,

160.

Oswego, Fort : 107 ; l'armée d'Am-

herst concentrée au, 160. "Ottawa" 1', brick français pris par

les Anglais, 160. Oudenarde, 183.

Palais, Porte du, à Québec : 9, 77.

101. Panama, 194. Panet, Jean Claude : sur le siège de

Québec, 22, 213, 214. Partouru, Madame de, 210. Paris, Paix de, 196-200.

Parkman, George Francis, 216.

Patten, Thomas, 163.

Péan, major Michel Jean Hugues, 177.

Pénisseault, Antoine, 177.

Perrot, Ile : Amherst à 1', 162.

Peyton, lieutenant, à Québec, 40.

Philippines, Iles, 194, 195.

Pierre III, czar de Russie, 191, 192.

Piquet, abbé, prêtre sulpicien : 160.

Pitt, William : 12, 51, 52 ; dernière dépêche de Wolfe à, 53, 56, 71, 110 ; 120, 135, 157, 162, 166 ; mal vu de George III, 184 ; favorise la guerre continentale, 185; 186- 190; donne sa démission, 191 ; 193 ; 198-200.

Plassey, victoire de : 202.

Pococke, amiral sir George, 194.

Pondichéry, 182, 193.

Pontbriand, évêque, à Québec : 48, 59,95, 116, 214.

"Porcupine", le. 68.

Portneuf, Robineau de, curé de Saint-Joachim : 44.

Portugal, 195, 205.

Pouchot, capitaine : 161.

Poulariez, colonel : avecMontcalm, 76, 89.

Prusse : 203.

Prussiens : défaits par les Russes et les Autrichiens, 179 ; défaits à Maxen. 180; victorieux à Liegnitz et à Torgau, 181.

Québec : préparatifs de défense des Français, 3-10 ; garnison de, 10 ; arrivée de la flotte anglaise à, 12; forteresse naturelle, 15, 48 ; Vau- dreuil l'abandonne à son sort, 93 ; serré de près par Towshend,

101 ; se rend aux Anglais,

102 ; termes de la capitulation,

103 ; Vaudreuil responsable de la perte de, 103 ; occupé par les Anglais. 103 ; Murray en com- mandement à, 104 ; Ramesay blâ- mé par Vaudreuil, 105 ; après le siège, 115 ; un hiver à, 121 ; ru- meurs de l'approche de Lévis, 123 ; les Français espérant re- prendre, 124 ; Lévis avance sur, 130 ; Murray fortifie les défenses de, 143 ; arrivée de secours, 146 ; levée du siège, 148 ; forces en pré- sence à, 211.

INDEX

231

Québec, bataille de : 78-83. Québec, batteries de: 15 ; le Snther-

land passe sous le feu des, 31. Québec, évêque de : lettre pastorale

sur le danger de la colonie, 4. Québec, milices de : 9. Québec, plateau de : 132. Québec, rade de : 15, 20, 34, 66.

"Racehorse", frégate le : 132, 148.

Ramesay, chevalier de : comman- dant la place de Québec, 10 ; Montcalm lui demande du canon, 78, 80 ; dernières paroles de Montcalm à, 94, 96; lettre de Vaudreuil à, 197 ; reçoit une péti- tion en faveur de la capitulation, 98 ; conseil de guerre, 98 ; forcé de capituler, 101 ; termes de la capitulation, 103 ; blàiné par Vaudreuil, 105 ; 112,136.

Rapide Plat, 162.

Récollets, les , à Québec, 15, 115.

Repentignj, lieutenant : à Québec, 24, 25 ; stationné à Jacques-Car- tier, 152.

Rhin, Pays du, 192.

Richelieu, rivière, 9, 120.

'•Ripon", le, 215.

Rigaud, Pierre François, frère du marquis de Vaudreuil : sur les forces en présence à Québec, 213.

Robison, John ; sur Wolfe aux Plaines d'Abraham, 70.

Rochebeau court, 152.

Rodney, amiral, 194.

Rogers, capitaine Robert, 159.

" Rogers' rangers ", 159.

Rollo, lord, 154.

Roquemaure, 159, 163.

Rossbach, 202.

Roubaud, missionnaire Jésuite : 108 ; caractère de, 113.

Royal Americans, 38, 40 ; sur les Plaines d'Abraham, 75, 84.

Royal-Roussillon, 38, 77.

Ruggle's, régiment du Massachu- setts, 170.

Ruisseau Saint-Denis, 72.

Russie : se rallie à la Prusse, 192.

Russes : dans la guerre continen- tale, 179.

.Saint-Augustin : 94 ; Lévis à, 101 ; 125 ; 131.

Saint-Charles, rivière : 8, 9, 15, 69, 74, 75, 76, 83, 85, 90, 93, 100, 138, 211.

Sainte-Claude, Mère : 119.

Sainte-Foy : 92, 121 ; avant-poste fortifié à, 124; Lévis devant, 131; Murray envoie du renfort à, 133 ; Murray attaque Lévis à, 137 ; la bataille, 137-141 ; déroute des Anglais, 140 ; les pertes, 142 ; autorites sur la bataille de, 149 ; 173 ; forces françaises et anglaises à, 217.

Sainte-Hélène, Ile de : 167.

Sainte-Lucie, prise par les Anglais, 194 ; rendue à la France, 199.

Saint- François, mission de : 113.

Saint-Ignace, Mère Amable Dubé de, 220.

Saint-Jean, Faubourg, 87.

Saint-Jean : Roquemaure, stationné à, 159 ; communications coupées entre Bougainville et, 159 ; aban- donné par les Français, 160.

Saint-Jean, Porte : 77, 86.

Saint- Jean, rivière : 177.

Saint-Jean de Terreneuve ; pris par les Français, 195 : repris par les Anglais, 195.

Saint-Joachim, paroisse de, incen- diée par Wolfe, 44.

Saint-Laurent, église de : 14.

Saint-Laurent, fleuve : 3, 5, 8, 9, 12, 15, 17, 20, 26, 27, 31, 36, 70, 74, 90, 94, 131, 132, 146, 151, 160, 176, 198.

Saint-Laurent, Golfe du : 176, 198.

Saint-Laurent, rapides du : 162.

Saint-Louis, Lac : 162.

Saint-Louis, Porte : 77, 83, 86, 135, 143.

Saint-Louis, Rue : 86.

Saint-Michel, Coteau : 50.

Saint-Nicolas, village de : 63.

Saint-Paul, Baie : mise à sac et in- cendiée par Wolfe, 44.

Saint-Pierre, îles du lac : 155.

Saint-Pierre, Ile de : 198.

Saint-Roch : 29, 86.

Saint- Vincent : pris par les An- glais.

Saint-Vincent, comte de, comman- dant du "Porcupine", 68 ; av«« Wolfe à Québec, 68.

232

INDEX

Samos, poste français de : 60, 70 ; réduit au silence par les Anglais, 73, 76.

Saunders, amiral : 51, 57 ; en rade de Québec, 66 ; attaque simulée, 66 ; sur l'escalade des Plaines, 71 ; 75 ; son retour en Angleterre, 104.

Séminaire de Montréal : 163.

Séminaire de Québec : 15, 22.

Sénégal : enlevé aux Français, 193 ; cédé par la France, 199.

Senezergues, brigadier, blessé à mort, 89.

Sept ans, guerre de : 201.

Short, Richard : vues de Québec dessinées par, 115, 116.

Sillery : 22, 58, 60 ; pris par les An- glais, 73 ; 120, 133, 134, 218.

Sillery, bois de : 136.

Smith, William ; sur la bataille de Sainte-Foy, 150 ; sur l'expédition d'Amherst, 164.

Smollett : sur l'escalade des Plai- nes, 71.

Sorel, ville de : Murray à, 156 ; Bourlamaque commandant la place de, 156.

Stanley ; son opinion sur Choiseul, 186 ; envoyé à Versailles, 187.

Stevens, interprète sauvage : son évasion de Québec, 61.

Stobo, major Robert ; à Québec, 61.

Stuarts, les : 184.

Suède, marécage de la : 131.

'•Sutherland", le : brave les batte- ries de Québec, 31 ; vaisseau de Wolfe, 64, 68.

Temple, lord : 189.

"Terrorof France", la: à Québec,

57. Thackeray, sur la réponse de Gran-

ville à Pitt, 190. Thompson, James ; à Sainte-Foy,

141, 145, 215. Ticonderoga : Bourlamaque dépê- ché à, 3 ; Amherst marche sur,

16, 29, 19, 107. Tobago, Ile de : 199. Torgau, victoire de: 181. Tourmente, Cap ; 12, 13. Townshend, Charles; fait Secrétaire

de la guerre, 185. Townshend, brigadier George :

lettre de Wolfe à, 49, 58 ; à la

bataille des Plaines, 74 ; sur les forces engagées à Québec, 84 ; succède à Wolfe, 90 ; lettre de Montcalm à, 95 ; serre Québec de près, 101 ; reddition de Ramesay à, 102 ; termes de la capitulation, 103 ; occupe Québec, 103 ; re- tourne en Angleterre, 103 ; y réclame plus que sa part de gloire, 104.

Townshend, brigade de : 23, 80.

Trahan, Joseph : sur Montcalm, 79.

Traverse, la, 12 ; la flotte anglaise franchit la, 13.

Tribus de l'Ouest; refusent de se battre, 151.

Trois-Rivières, milices des, 9, 47 ; 98, 131, 151, 154.

Ursulines, à Québec : 15, 29, 48, 95, 104, 219.

"Vanguard", le : arrivée à Québec, 147.

Varin, commissaire : son arrestation et son procès, 177.

Varin, madame : 210.

Vaudreuil, madame de : retourne en France, 175.

Vaudreuil, Marquis de : réunit ses forces, 4 ; ses vantardises, 4 ; se rend à Québec, 6 ; son éloge de Cadet, 7 ; ses conseils de guerre, 7 ; ses quartiers à Québec, 10 ; ses relations avec Montcalm, 10 ; 11 ; change ses plans, 16 ; les brûlots, 17, 18 ; sa confiance au succès, 19; ses lettres à Bourlama- que, 19, 41, 58 ; sur la tentative d'attaque nocturne, 22, 25 ; sur la défensive, 26 ; tente de nou- veau d'incendier la flotte enne- mie, 34 ; son échec, 35, 41 ; sur l'échec des Anglais à Montino- renci, 213 ; dénonce les actes de cruauté des Anglais, 45 ; ses pro- pres cruautés, 45 ; voit son erreur, 47; reprend confiance, 48; Vergor protégé par, 62, 69 ; sur l'esca- lade des Plaines, 71 ;; néglige d'envoyer du renfort à Mont- calm, 78 ; jette le blâme sur Montcalm, 86 ; sa consternation, 88 ; son manque de courage, 89 ; sur les pertes françaises à Qué- bec, 91 ; manque une occasion,

INDEX

*33

92 ; abandonne Québec à son sort,

93 ; 94 ; sa fuite, 98 ; ses lettres à Ramesay, 97 ; agrée les plans de Lévis, 99 ; responsable de la perte de Québec, 103 ; poursuit Montcalm jusque dans la tombe, 105-108 ; se retire à Montréal, 104 ; blâme Ramesay pour la red- dition de Québec, 105 ; corrup- tion de son administration, 106 ; accusations de Montcalm contre, 109 ; son procès, 109 ; 113 ; 117 ; sur la capture du Calvaire, 126 ; espère reprendre Québec, 129; ses plans d'attaque, 130, 131 ; sur la bataille de Sainte-Foy, 150 ; prépare la défensive, 153 ; lance une contre-proclamation, 157 ; ses promesses, 158 ; relations de Lévis avec, 158 ; sur l'expédition d'Amherst, 159 ; sa lettre à Lan- glade, 164 ; tient un conseil de guerre, 164 ; offre de capituler, 164 ; Amherst inexorable, 165 ; accepte les termes dictés par l'en- nemi, 165 ; désavoué par le gou- vernement, 167 ; ses qualités, 168 ; retourne en France, 175 ; arrêté, 177 ; mis en procès et acquitté, 178 ; sur les forces enga- gées à Québec, 211 ; sur la bataille des Plaines, 214.

Vaudreuil, vicomte de, frère du gou- verneur : 168.

Vauquelin, commandant "YAré- thuse à Louisbourg, 130 ; 147.

Vergor, capitaine Duchambon de : son poste, 60 ; menaeé de dis- grâce, 62 ; son incurie, 69 ; pris par les Anglais, 72.

Verreau, abbé H; sur Roubaud, 113-114.

Versailles, 144, 187.

Viger, honorable D.-B., 214.

Vitré, Denis de, 12.

Voltaire ; lettre de \ Frédéric de Prusse à, 180.

Von Moltke, 172.

Walker, amiral ; 11.

Walpole, Horace : sur les pressen- timents de Wolfe, 1 10 ; sur la vic- toire et la mort de Wolfe, 110 ; sur la retraite de Lévis, 149; surla mort de George II, 183 ; surla résignation de Pitt, 191 ; sur un discours de Pitt, 200.

Webb, régiment de ; aux Plaines d'Abraham, 75, 83, 84.

Wedell, général ; défait parles Rus- ses, 179.

Wilhelmine, sœur de Frédéric de Prusse, mort de, 181.

William Henry, fort ; 107, 173.

Wolfe, brigadier James : ses forces à Québec, 10 ; débarque sur l'Ile d'Orléans, 14; grandeur de son entreprise, 14-16 ; force de sa position, 20 ; occupe la Pointe de Lévis, 21 ; veut frapper un grand coup, 23 ; occupe les hauteurs de Montmorenci, 23 ; dangers de sa position, 26 ; interdit le scalp, 29 ; sa proclamation aux Cana- diens, 30 ; plus vulnérable que jamais, 32 ; ses sévérités, 33 ; pro- jet désespéré, 35 ; attaque le camp français, 37 ; ordonne la retraite, 39 ; sur l'échec de Montmorenci, 213 ; réprimande les grenadiers, 42 ; son abattement, 43 ; projette de fortifier l'Ile aux Coudres, 43 ; dévaste les paroisses, 44 ; sa maladie, 49 ; nouveau plan d'at- taque, 51 ; sa dernière lettre à sa mère, 52 ; ses dernières dépêches, 53 ; sa lettre à Holdernesse, 55 ; son plan, 56 ; ses mouvements, 57 ; sa force morale, 61 ; mystifie Bougainville, 63 ; ses derniers ordres généraux, 64 ; ses forces comparées à celles de Montcalm, 65 ; feinte attaque, 66 ; embar- quement des troupes, 67 ; ses noirs pressentiments, 68 ; descend le fleuve, 70 ; passe devant les sentinelles, 71 ; escalade la colli- ne, 72 ; sa ligne de bataille, 74 ; l'heure critique, 81 ; la bataille, 81-83 ; blessé à mort, 82 ; ses der- niers moments, 83 ; ses restes portés en Angleterre, 104 ; émo- tion causée par sa victoire et sa mort, 110 ; immenses conséquen- ces de son triomphe, 112 ; 136, 137, 142, 170, 202 ; sea forces à Québec, 213.

Wolfe' s Cove, 62.

Woodhull, colonel Nathaniel ; sur la capture du fort Lévis, 162.

Wright: sur Wolfe, 80.

Wynne ; sur la bataille de Sainte- Foy, 150.

ERRATA

P. 4 Lire exultation au lieu de exaltation.

P. 10-La note au bas de la page renvoie à l'appendice II (non appendice A) .

P. 57 6e ligne, lire : l'escadre de l'amiral Holmes (au lieu de Saunders).

P. 77 Malartic à Bourlamaque (au lieu de Bougainville) .

P. 95 Dans la note (2) au bas de la page, lire, 14,000 hommes (au lieu

de 1,000). P. 169 Dernier paragraphe, lire : le loyal John Meilen (non Mutten).

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